Comment parler de « spiritualité » en théologie protestante ? C’est une question qui me taraude et autour de laquelle gravite mon travail de thèse.
Pour explorer cette question et ses enjeux je me suis intéressé à la manière dont certains ont tenté de parler de « spiritualité » face à Dieu – c’est-à-dire, en perspective théologienne. Certains ouvrages de théologiens et de théologiennes qui ont développé une définition un peu plus approfondie de ce qu’est, selon elleux, la « spiritualité ».
- Kees Waaijman, Spirituality. Forms, Foundations and Methods, Peeters, 2002
- Corinna Dahlgrün, Christliche Spiritualität. Formen und Traditionen der Suche nach Gott, De Gruyter, 2018 (2008).
- Simon Peng-Keller, Einführung in die Theologie der Spiritualität, Wissenschaftliche Buchgesellschaft 2010 & Geistbestimmtes Leben, TVZ, 2012.
- Gilles Bourquin, Théologie de la spiritualité. Une approche protestante de la culture religieuse en postmodernité, Labor et Fides, 2011.
J’ai choisi ces ouvrages parce qu’ils offrent une réflexion de fond sur ce qu’est la « spiritualité » en perspective théologique, en plus de décrire et de discerner des formes de spiritualité (en tout cas pour les trois premiers).
Quels sont leur compréhension de la « spiritualité » et quels sont les traits communs entre ces compréhensions ?
Quelques définitions
Pour chacun de ces auteurs je propose une formulation synthétique de leur compréhension de la « spiritualité ».
Kees Waaijman. La « spiritualité » est le processus de transformation de la relation divino-humaine. L’auteur met particulièrement en avant l’importance du dialogue dans le discernement de cette relation.
Corinna Dahlgrün. La « spiritualité » est le fruit de l’existence relationnelle suscitée par Dieu. L’autrice met particulièrement en avant l’amour comme forme de cette relation – qui est relation à Dieu, à soi-même et au prochain dans le monde.
Simon-Peng Keller. La « spiritualité » désigne une vie menée sous l’action de l’Esprit de Dieu. L’auteur met particulièrement en avant le cheminement sur lequel est placé le chrétien ou la chrétienne à la suite de Jésus-Christ et dans la présence de l’Esprit.
Gilles Bourquin. La « spiritualité » est l’art de gouverner sa vie comme le déploiement de la grâce dans le temps. L’auteur met particulièrement en avant l’effet d’unification de la « spiritualité » dans la vie.
Des axes principaux
De ma lecture de ces auteurs et de leur définition de la « spiritualité », j’ai identifié quatre éléments caractéristiques de la manière de parler de « spiritualité face à Dieu ». Parler de « spiritualité » en théologie (chrétienne) implique de :
i) Affirmer que dans la « spiritualité » c’est Dieu qui agit le premier. Cela ne veut pas dire que l’être humain est strictement passif, mais qu’il n’est pas à l’origine du cheminement qu’est la « spiritualité ». Il est mis sur le chemin plutôt qu’il ne se lance de lui-même dessus.
ii) Faire référence à un vécu / une expérience – qu’elle soit personnelle, ou portée par une tradition, la réflexion sur ce qu’est la « spiritualité » implique d’interpréter une expérience donnée. La « spiritualité » n’est pas quelque chose d’abstrait, mais quelque chose qui se rapporte à une expérience concrète (située dans l’espace-temps et dans notre histoire de vie) et à son interprétation.
iii) De manière conjointe, faire référence à Jésus-Christ et à l’activité de l’Esprit-Saint. L’expérience ou le vécu est interprété à partir ce qui se présente à nous en Jésus-Christ dans le passé, et à partir de l’action de l’Esprit qui fait que l’histoire passée de Jésus est aussi notre histoire présente.
iv) Prendre en considération l’évolution du Soi dans la durée. Dans l’interprétation de l’expérience on constate les évolutions du Soi personnel dans le cheminement avec Dieu – et on aura également en vue l’accomplissement ultime de ce Soi. Parler de « spiritualité » implique en somme de raconter notre propre histoire à partir de sa fin.
Enjeux
Ces définitions et axes sont propres à ce que se discute dans la sphère de la « théologie chrétienne ». Le risque est que ces compréhensions, aussi orientées qu’elles soient sur la dimension de l’expérience, fonctionnent en vase clos et ignorent la dimension de « lieu commun » propre à la « spiritualité ». Si je veux parler de « spiritualité » en théologie protestante, il faut essayer de mettre en contact ce qui se dit là, avec ce qui se dit ailleurs – dans l’Eglise, la société et dans les institutions publiques notamment.
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- La thèse (I)
- La communication de Dieu (II)
- Cellui qui nomme (III)
- La “Spiritualité” comme lieu commun (IV)
- Le problème (V)
- Le cheminement (VI)
- L’approche (VII)
- Théories de la communication (VIII)
- Pâques comme récit (IX)
- Communication Pascale (X)
- Identité Narrative (XI)
- La vie des enfants de Dieu (XII)
- La création comme scène de la spiritualité (XIII)
- La mission, mouvement de la spiritualité (XIV)
- Ascèse, gouvernance et droit (XV)