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Intégration institutionnelle de la « spiritualité » (Communication pascale XVII)

Comment parler de “spiritualité” en théologie protestante ? C’est la question que j’essaie d’approfondir dans ma thèse.

Pour explorer cette question et ses enjeux je me suis d’une part intéressé à la manière dont certains ont tenté de parler de “spiritualité” en théologie, mais aussi à la manière dont le lexique de la « spiritualité » est intégré dans des textes et dispositifs institutionnels. J’en avais déjà esquisser des éléments dans des précédents articles (La compétence spirituelle & La reconnaissance étatique du spirituel).

Je me suis concentré sur trois domaines où s’intègre le « spirituel » :

Les buts de l’intégration de la « spiritualité »

Dans la Constitution Vaudoise la mention faîte à la « dimension spirituelle de la personne » (art. 169) donne une assise anthropologique à la reconnaissance des communautés religieuses d’intérêts et de droit public. Elle fonde l’articulation entre communautés religieuses et Etat laïc dans une société pluraliste autour du bien commun. C’est au nom de la dimension spirituelle que la contribution spécifique des communautés religieuses en faveur du bien commun est reconnue par l’Etat.

L’aumônerie du CHUV s’est développée en un service d’accompagnement spirituel intégré à la direction des soins. Le « spirituel » est une dimension prise en charge de manière transversale dans l’institution de soins. En se redéfinissant autours du « spirituel », l’aumônerie sort d’un paradigme confessionnel et s’adresse à toute personne indépendamment de son appartenance religieuse. L’accompagnant·trice spirituelle offre une expertise et une posture spécifique dans la prise en charge interprofessionnelle des patients·es.

Selon le cursus de formation au ministère pastoral proposé par l’OPF, le « spirituel » est un aspect central de la profession pastorale. La transmission de la « spiritualité » est l’une des activités propres au ministère pastoral. La « spiritualité » est également considérée comme une ressource fondamentale à l’exercice de la profession. Se former dans l’OPF à la pratique du ministère pastoral implique ainsi de valider des acquis en matière de « compétence spirituelle ».

Des axes principaux

i) L’intégration du lexique du « spirituel » vise à donner voix à la personne au sein de l’institution. Face aux effets de réductionnisme ou de totalisation la référence faîte au « spirituel » vient créer l’espace pour l’existence personnelle. Le corollaire de cette fonction du « spirituel » est le renoncement à toute définition substantielle de la « spiritualité ». Ce qu’est le « spirituel » dans le concret dépendra à chaque fois de ce que la personne communique à ce sujet. La définition du « spirituel » vise dans ce contexte à indiquer l’espace d’expression et de communication où le « spirituel » se définira de manière personnelle.

ii) L’intégration du lexique du « spirituel » crée du jeu dans l’espace-temps de l’institution. La référence faîte au « spirituel » ouvre l’espace de jeu nécessaire pour qu’une diversité de personne puisse cohabiter et vivre en tant que personne au sein de l’institution. Ceci ouvre sur une part d’interactions, d’évolutions et d’événements imprévisibles pour l’institution, sans qu’elle ne perde pour autant sa fonction de régulation. La présence et la reconnaissance d’un tiers joue un rôle important dans l’ouverture de ce jeu.

iii) L’intégration du lexique du « spirituel » génère de la professionnalisation et de la spécialisation. Là où le « spirituel » est reconnu on peut constater l’apparition de nouveaux métiers, de nouvelles compétences-métiers ou encore d’une expertise scientifique spécialisée sur la thématique de la « spiritualité ».

iv) L’intégration du lexique du « spirituel » se fait au prix d’un effet de fonctionnalisation. Si le « spirituel » est identifié à la gratuité et à l’ouverture, sa reconnaissance par un dispositif institutionnel implique de lui assigner une certaine fonction pour l’institution. Cette fonction peut avoir un caractère « paradoxal », en ce qu’elle introduit un moment de « non-fonction » au sein de l’institution – favorisant notamment l’existence des personnes en tant que personnes au sein de l’institution – mais elle reste soumise à la logique de fonctionnalisation de l’institution moderne.

Enjeux

On voit comment l’intégration institutionnelle de la « spiritualité » gravite autour de la maximisation des effets positifs de la « spiritualité » comme lieu commun dans le langage quotidien. Cette intégration implique l’absence de définition substantielle de la « spiritualité », ainsi qu’une certaine capacité de la notion à s’adapter à la raison d’être de l’institution dans laquelle elle s’intègre. Comment faire sens de ce geste en théologie, là où l’on affirme que la « spiritualité » est d’abord ce qui provient de l’action de Dieu sur l’être humain ? Doit on refuser ou valider ce geste ? Ou doit-on encore le redire tout autrement ? Autrement dit : est-il possible en théologie d’affirmer la centralité de la personne et de ce qu’elle exprime pour la compréhension de la « spiritualité », sans nier pour autant que c’est Dieu – Père, Fils et Saint-Esprit – qui le premier détermine, dans la « spiritualité », ce qu’est la personne ?


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