Table des matières
Cet article me sert de préparation à une brève présentation lors d’une rencontre de théologiens et théologiennes des universités de Suisse
Introduction et problématisation
Je pose d’abord un point de repère de type doctrinal.
En christianisme, la spiritualité s’adresse à toutes les parties de l’existence. Il n’y a pas une parcelle de la réalité qui ne soit concernée par l’appel que Dieu lui adresse. Pour la vie chrétienne, c’est l’ensemble de la vie qui est placée sous le signe de l’action de l’Esprit-Saint, que ce soit dans la lutte ou dans la paix. La compréhension de ce que cette promesse signifie se présente en Jésus-Christ, à celui qui veut bien faire crédit au récit pascal et à la narration qu’il propose.
Cela étant dit, comment la vie chrétienne se déploie dans le concret ? Si la vie chrétienne mène à transgresser les limites habituels du pur et de l’impur, du religieux et de l’irréligieux, du théisme et de l’athéisme, en plaçant la totalité de l’existence sous le signe de Dieu et de son règne, comment comprendre la praxis de la spiritualité chrétienne ?
Le terme praxis désigne le domaine de l’action. Interroger la manière de comprendre la praxis chrétienne, c’est essayer de comprendre une action qui introduit une différence dans le monde. Mais la visée de cette action n’est pas de justifier sa propre différence – de produire un domaine d’activité parmi d’autres dans le réel : une énième conduite religieuse, une énième vie de piété, une énième conduite de vie, etc. – mais de faire signe vers Dieu, qui fait et réconcilie toute différence.
Ma proposition c’est de comprendre la praxis de la spiritualité chrétienne comme une interaction entre trois perspectives pratique : l’ascèse, la gouvernance et le droit.
La praxis spirituelle comme ascèse
Comme ascèse, la spiritualité se concrétise dans l’exercice régulier et extraordinaire de la foi.
Le terme ascèse vient du grec est signifie initialement « s’exercer ». L’exercice de la foi a une visée principale : s’exposer à ce que Dieu communique à l’être humain, afin de grandir dans son identité propre. Exercer sa foi, ce n’est autre chose que de s’exercer à être celui que l’on est, s’exercer à être soi-même, dans la liberté des enfants de Dieu.
Pour la foi chrétienne, cela se fait notamment par l’exposition de soi-même Pâques, à ce qui s’y communique dans le monde : parce que la personne n’est soi, qu’à partir du moment où elle consent à ce que ce soit un Autre – Dieu – qui lui fasse don de ce soi – et en Jésus-Christ, il le fait en se donnant lui-même pour la personne. L’exercice de la foi peut se faire dans des moments réguliers, seul ou en groupe. Mais il peut aussi survenir de manière imprévue.
Quels sont les points de repères (les normes) de cet exercice ? En vue de quoi cet exercice se fait-il, ou plus généralement, en vue de quoi ce soi existe-t-il ? Quels sont les traits caractéristiques de cette identité ?
La praxis spirituelle comme gouvernance
Comme gouvernance, la spiritualité se concrétise dans le processus de la prise de décision concertée et dans l’action qui en procède.
L’identité reçue à Pâques est une identité fondée dans la liberté de Dieu. La vie des enfants de Dieu est une vie libérée de toute puissance aliénante. En conséquence, la prise de décision et l’orientation de l’action sont de leur ressort. La personne peut décider et agir en fonction de sa décision. Elle est même appelé à le faire.
En conséquence, elle sera appelée à discerner ce qu’elle devra faire, quel sera son prochain pas, comment elle va agir – ou ne pas agir. Ce discernement ne se fait pas seul : il se fait dans le passage par autrui, dans le compagnonnage et dans l’appel au Tiers qui peut accompagner un individu ou un groupe dans son discernement.
Comment exerce-t-on sa liberté ? Qu’est-ce que cela dit de l’identité de celles et ceux qui font cela ? D’où sait-on que l’on peut réellement faire cela ?
La praxis spirituelle comme droit
Comme droit, la spiritualité se concrétise dans la réception et l’écriture renouvelée de règles reconnues et appelées à l’être toujours à neuf.
En Pâques, la foi découvre l’intention de Dieu dans son action : elle vise une création en paix. Ceci veut dire que ce qui se déroule dans le monde, dans l’histoire, la réalité, la vie personnelle, etc. suit une certaine orientation, est orienté selon un certain droit. Autrement dit, ce que Dieu a fait, fait et fera n’est pas arbitraire. En Pâques, la personne participe de ce droit.
Le droit se pratique au-travers d’un mouvement de réception et de réécriture. Le droit est appelé à être reçu par la personne et cette réception ne s’effectue pas sans que ce droit soit réécrit, c’est-à-dire : approprié de manière publique et explicite par la personne. L’appropriation personnelle du droit est elle-même ensuite appelée à être reçue par autrui, relançant la dynamique.
Comment le droit est-il en lien avec l’identité ? Comment se fait le passage entre la réception et la réécriture du droit ? Qu’est-ce qui garantit que cet exercice ne soit pas un jeu arbitraire ?
Point de fuite
Ces trois perspectives pratiques renvoient l’une à l’autre. Les questions que l’on posera à partir d’une perspective peuvent être approfondie et travaillées à partir d’une autre. Mais tout cela dépend d’un point autour duquel ces trois perspectives pratiques tournent. En définitive, on aurait pu répondre de manière beaucoup plus rapide à la question initiale : la pratique la praxis de la spiritualité chrétienne n’est rien d’autre que l’amour.
Le soi que l’on exerce en exerçant la foi, n’est autre que le soi donné dans l’amour. La liberté que l’on exerce et l’action que l’on tente de discerner en fonction de cette liberté n’est autre que l’amour. Le droit que l’on est appelé à recevoir et à réécrire n’est autre que celui de l’amour.
Mais l’amour est un point de fuite. Il ne se laisse pas saisir et pourtant il est à l’oeuvre. Il se révèle, nous forme et nous conduit et pourtant il reste un mystère. Dieu.
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- La thèse (I)
- La communication de Dieu (II)
- Cellui qui nomme (III)
- La “Spiritualité” comme lieu commun (IV)
- Le problème (V)
- Le cheminement (VI)
- L’approche (VII)
- Théories de la communication (VIII)
- Pâques comme récit (IX)
- Communication Pascale (X)
- Identité Narrative (XI)
- La vie des enfants de Dieu (XII)
- La création comme scène de la spiritualité (XIII)
- La mission, mouvement de la spiritualité (XIV)
Cher Elio
J’aimerais te remercier pour cette réflexion argumentée et à mes yeux pertinente.
Chaque jour devant des décisions à prendre j’essaie par ma pratique spirituelle, par mon amour de Dieu, de faire, de mettre en route le discernement. Que c’est ardu et exigeant. Mais je ne vois aucune autre route que celle là. Au plaisir de lire la suite.
Bon chemin.