Une fuite laisse apprendre la possible disparition du journal Réformés – à distinguer du site internet du même nom. Prochaine étape dans l’histoire de la refonte de la presse protestante romande, dont Jacques Poget retrace les traces dans l’émission de la RTS Du bon pied (30 mars 2024). Une décision de la plateforme stratégique de la Conférence des Eglises réformées de suisse romande (CER), qui ferait suite au refus par l’assemblée générale d’un rapport qui proposait un scénario pour l’avenir du journal. Un article de blog publié par Pierre Farron en retrace certains éléments.
Les fuites ne sont évidemment jamais très heureuses : même si la décision n’a pas été démentie, elle n’a pas été prise pour autant. Situation politique où le projet de communication des Eglises réformées romandes est mis à l’épreuve suite à des réductions budgétaires. Mais aussi un cas singulier d’une crise plus générale de la presse écrite et du journalisme qui s’est structuré autour, comme l’illustre la succession des vagues de licenciements dans la presse romande.
Nous verrons bien ce qui en ressortira : cela dépend notamment des discussions qui auront lieu (ou non) au sein de l’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud, comme financier majoritaire de la CER. Des changements auront lieu de toute manière et des choix douloureux devront être fait. Ce que j’aimerais en revanche souligner, c’est que le choix d’assurer ou non un travail journalistique en son sein profile la forme à venir de ces Eglises.
La communication constitue la société
La communication n’est pas une réalité annexe, anodine. Elle ne se réduit pas au « transport » d’une information d’un endroit à un autre – comme le laisserait croire une vision simpliste réduite à la relation émetteur-message-récepteur. Dans une vision systémique, la communication structure en profondeur notre société, les différents secteurs qui la compose, ainsi que les identités qui y prennent formes. Notre manières de vivre et la forme sociale de notre vie est structurée par la communication.
Il en ressort que les moyens de communication que l’Eglise favorise ne sont pas neutres : ils font quelque chose avec elle et avec leur environnement. L’orientation de la réflexion ecclésiologique et de la théologie pratique contemporaine sur la communication de l’Evangile signalent cette prise de conscience. C’est par la Communication de l’Evangile que l’Eglise trouve sa place dans le monde et donne forme à son existence.
Le journalisme nourrit un réel commun
Une formule dit que le journaliste est un « historien du présent » 1. Il rassemble des informations, agence des faits et en donne une interprétation. Il donne à connaître l’état du présent. Il fait en ce sens un travail d’intellectuel. Le produit du travail journalistique n’est du coup pas neutre : sa qualité dépend d’une déontologie, mais aussi de l’horizon social dans lequel il prend forme2.
Le travail journalistique est aujourd’hui en en tension entre les impératifs liés à son financement, les évolutions technique des médias de communication, la nature inévitablement politique des interprétations offertes par les journalistes et une déontologie professionnelle guidée par l’idéal d’un travail journalistique au service de l’intérêt public (associant démocratie et liberté de la presse).
Par son intervention propre le ou la journaliste nourrit deux dimensions distinctes de la communication : celle de la relation et celle de la perception du monde, notamment sous l’aspect de la nouveauté3. Ielle donne forme à la qualité des liens et aux représentations qui guident le débat social4.
Ainsi, la question de la place du journalisme au sein de l’Eglise est fondamentalement liée au type de relations et de dynamiques sociales que celle-ci est appelée à entretenir.
L’Eglise comme espace public différencié
L’homologie structurelle entre la démocratie et la structure presbytéro-synodale des Eglises réformée en Suisse, appelle une forme ou une autre de travail journalistique – la forme politique des synodes, mais aussi des paroisses, invite à disposer d’une ressource qui permette de nourrir une perception du réel commun. Les décisions prises dans ces organes supposent en effet la possibilité d’une prise de position individuelle à l’aune de ce réel commun, ainsi que la possibilité d’un débat contradictoire qui s’organise à partir de lui. L’Eglise se comprend ici comme génératrice d’espace public – plus ou moins en tension ou en conformité avec d’autres espace publics dans la société5.
Ce dispositif est fondamentalement lié à la liberté qui jaillit de la communication de l’Evangile. Celle-ci n’offre en effet pas une identité et une forme sociale toute faite. Le don d’identité qui a lieu dans la foi en Jésus-Christ ouvre un temps et un espace commun où un différend persiste, sans qu’il n’ait à générer d’exclusion violente. Seul le Christ est Seigneur dans son Eglise et ses membres ont à discerner leur action commune à l’écoute de sa parole et dans l’accueil de son Esprit. Le différend prend forme dans la poursuite de l’interprétation de l’Evangile à la source de cet espace. Qu’un travail de type journalistique se développe à un moment ou à un autre dans ce contexte me semble inévitable – bien que les conditions matérielles ne soient pas toujours remplies.
Dans l’Eglise, le journalisme structure l’espace du différend dans l’interprétation commune de l’Evangile en nourrissant la perception d’un réel commun. Une Eglise peut ne pas avoir d’organe dédié à cet effet. Cette fonction va se reporter sur les initiatives et ressources individuelles. Mais à partir d’une certaine taille, un tel organe devient nécessaire. Sans quoi elle risque une fragmentation de l’espace communicationnelle que la communication institutionnelle ne peut (vouloir) surmonter à elle seule.
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- Vincent Quivy, « Le journalisme. Une histoire sans historien« , Communication & Langages, vol. 102, 1994, pp. 79-92[↩]
- Voir la présentation du journalisme sur le site Microplume.ch par Jean-Blaise Held[↩]
- C’est une reformulation de la distinction courante entre communication et information dans le journalisme[↩]
- Ielle joue d’ailleurs un rôle de premier plan dans la négociation des limites de ce débat : en donnant la parole à telle ou telle perspective, il renégocie les frontières de la participation à la dynamique sociale. Autrement dit : il permet l’inclusion, dans la perception du réel propre au débat social, de voix qui en sont exclues ou qui s’y trouvent minorisées[↩]
- Je renvoie ici à la présentation de Florian Höhne, Öffentliche Theologie. Begriffsgeschichte und Grundfragen, Leipzig, 2015, pp. 110-118[↩]