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Parler « théologie » en synode. Analyse et réflexion

L’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud n’a pas de définition de la « théologie ». Pourtant, son synode en a la responsabilité.

Je me suis du coup demandé s’il était possible de déceler un ou plusieurs éléments de compréhension de ce qu’est la « théologie » pour le synode de l’EERV via la lecture des textes qu’il produit. Dans la suite de cet article je présente un bout de chemin dans cette enquête.

Limites de l’exercice

(i) Mon point de départ n’est pas une définition de la « théologie », mais les occurrences du lexique dans les textes. Cela masque peut être d’autres interventions dont on pourrait dire – si l’on disposait d’une définition – qu’elles ont un caractère théologique.

(ii) Je n’ai examiné que le procès verbal de la session des 11-12 décembre 2020 et le rapport de la commission de gestion pour la session des 11-12 juin 2021. Pour une analyse pertinente, il faudrait faire une enquête plus générale, à l’échelle d’une ou de plusieurs législatures par exemple. On peut trouver une liste (non-exhaustive) de citations sur une autre page.

Ma question directrice est qu’est-ce que l’usage du mot « théologie » dans la discussion synodale dit de la compréhension de la théologie pour le synode de l’EERV?

Des définitions de la théologie

Comme autorité pour la gouvernance

Les interventions de la commission de gestion soulignent l’importance de la théologie pour les axes de développement de l’Eglise. Selon ses textes et ses intervenants, une décision de gouvernance doit être motivée par une réflexion théologique de fond. Cette compréhension de la théologie vient dans un contexte où l’on questionne la présence de cette base de réflexion théologique dans les documents produits par le conseil synodal.

Comme cheminement

Dans la méditation d’ouverture du synode, un conseiller synodal propose une compréhension de la théologie comme cheminement qui se fait dans les échanges et dans le présent, qui est « itérative ». Pour appuyer cette compréhension il se saisit de l’image d’un Dieu qui se fait proche de son peuple et qui lui ouvre le chemin en direction de la terre promise.

Comme réflexion critique

L’un des délégués évoque la nécessité de renouveler le discours théologique lui-même. En s’appuyant sur un théologien catholique, la visée de la théologie serait d’équiper les personnes des outils qui leur permettent d’interroger leurs croyances et leurs « dieux ». Cette question intervient au moment où l’on discute de l’un des axes prioritaires proposés par le conseil synodal dans le développement d’Eglise.

Comme marqueur d’identité

Dans certaines interventions la théologie est ce qui identifie une certaine communauté (libéral, réformé, charismatique, revivaliste, classique, etc.). Une certaine théologie dit une certaine identité, un profil et une certaine exigence – différemment marqué selon les « théologies ».

La théologie est associée à d’autres termes

Ecclésiologie

Les textes, questions et interventions de la commission de gestion soulignent régulièrement la relation entre « théologie » et « ecclésiologie » – en valorisant d’ailleurs leur forme dans le cas de l’identité « réformée ». À mon sens, dans le contexte d’une interrogation sur la gouvernance de l’Eglise, cette relation fait sens. Dans la tradition protestante moderne, la théologie a d’ailleurs belle et bien une fonction de gouvernance pour l’Eglise. Mais la relation entre ces deux termes n’est pas claire dans l’usage qui en est fait dans les textes.

Spiritualité

Cette seconde association vient dans le cadre d’une discussion sur les fondements de la transition écologique et sociale. La proposition est que celle-ci soit précédée d’une réflexion sur la transition « théologique et spirituelle ». S’en suit une discussion à l’issue de laquelle n’est retenue que la dimension spirituelle. La discussion a soulevé que la « théologie » et la « spiritualité » sont pour certains une partie indissociable de ce qu’est l’Eglise. Suivant leur perspective, à chaque fois qu’on parle d’Eglise, on parle aussi de théologie et de spiritualité. L’association entre théologie et spiritualité revient plus tard dans une intervention au sujet de la catéchèse.

Les porteurs de la théologie

D’après le règlement ecclésiastique, la responsabilité théologique appartient au synode comme ensemble. Cependant, l’appréciation de « qui » est reconnu comme théologien ou théologienne diffère entre les interventions. Une intervention distingue « théologiens et diacres » alors qu’une autre intervention souligne la bonne fréquentation du cursus de formation théologique nécessaire au diaconat. Une autre intervention souligne l’importance de théologiens « docteurs » ou enseignants pour l’Eglise et en conséquence de l’importance du passage par un master, par rapport à d’autres formations en théologie. Une intervention d’un conseiller synodal identifie les théologiens « ministres et laïcs » comme des ressources pour la réflexion ecclésiale.

Réflexions

Mes questions

Concernant les définitions, elles ne renvoient pas aux mêmes enjeux et la théologie ne présente pas la même fonction dans ces différents usages. Ces fonctions sont-elles complémentaires ou, au contraire, y en a-t-il qui s’excluent mutuellement ? Lesquelles faut-il prioriser en ce qui concerne la « responsabilité théologique » du synode ?

Concernant les associations, il me semble qu’elles sont à approfondir. En quoi la référence à la théologie complète-t-elle celle faîte à l’ecclésiologie ? Y a-t-il une ecclésiologie sans théologie ? Quelle est le rapport entre la théologie et la spiritualité ? Pourquoi est-il plus important in fine de faire référence à la spiritualité et non à la théologie ?

Concernant les porteurs de la théologie, là aussi il me semble que des clarifications sont nécessaires. Si le synode a une responsabilité théologique dans son ensemble, cela implique-t-il pour autant que toustes ses membres sont théologiens·nes ? Quelle est la fonction de la formation théologique pour le ministère en Eglise et sa représentation au synode ? Y a-t-il des compétences différenciées en fonction du degrés de formation théologique ? Si oui, comment s’expriment-elles dans la pratique synodale ?

Des esquisses des propositions

Concernant les définitions, je la concentrerais autour des enjeux de la « responsabilité théologique » du synode. Je rejoins l’affirmation suivante : l’exercice de la théologie fait bien partie de la gouvernance d’Eglise. En revanche, il me semble que l’image de la théologie comme « base » qui soutient et légitime telle ou telle décision – qui confère pour ainsi dire à telle ou telle décision une solidité proportionnelle à celle de la théologie qui la soutient – doit être rejetée. Elle soutient une pratique de la théologie comme « privilège des initiés » qui est interdite par l’affirmation du sacerdoce de toustes les croyants·es : par la foi, toustes ont accès à Dieu, sans médiation autre que celle offerte par Jésus-Christ lui-même, par le don de son Esprit. Une théologie qui a pour tâche d’oeuvrer à la gouvernance d’Eglise n’est donc jamais un préalable qui (r)assure, mais une exigence, une responsabilité et une pratique constante et continue de toustes à chaque étape du chemin.

Ce que je pose ici, oriente pour un bout la compréhension des associations identifiées plus haut. La théologie commence avec le travail de l’Esprit-Saint dans la personne individuelle elle-même et dans le collectif. Là où la spiritualité personnelle tente de s’exprimer de manière intelligible, il y a théologie vécue. Ensuite, là où il y a ecclésiologie, il y a aussi théologie. Mais c’est la praxis théologique commune qui met en évidence quelle est l’ecclésiologie de l’Eglise à tel moment, dans le contraste entre les textes qui parlent de cette Eglise et le témoignage qui est rendu à la vérité de ces textes par le vécu ecclésial – et l’on devrait prendre le temps d’attester des concordances et/ou des discordances entre les deux.

Ceci oriente également ce qu’il faut comprendre au sujet des porteurs de la théologie. Il me semble qu’en ce qui concerne le synode, tous et toutes doivent être reconnus comme théologiens. Entre toustes ces théologiens et théologiennes, on pourrait distinguer celles et ceux qui ont la charge d’un service spécifique, qui est de permettre aux théologiens et théologiennes membres du synode d’accoucher à leur propre parole sur Dieu, telle qu’elle se met au service de la gouvernance d’Eglise aujourd’hui. La définition des préalables ou du degré d’adéquation culturel que nécessite ce service doit être déterminé à partir des exigences de ce service et à partir de la fidélité au Dieu qui est Père, Fils et Saint-Esprit.

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2 réflexions sur “Parler « théologie » en synode. Analyse et réflexion”

  1. Laurent Lasserre

    Même si je me retrouve dans une part de ton article, à mon avis, il y a deux éléments qui mériteraient d’être approfondit. Il me semble qu’une grande part des décisions prises par le synode est bien liée à une théologie. Que des délégués à cause d’une théologie différente peuvent voter différemment. Donc je pense que cette phrase pour autant que je la comprenne juste est un raccourcit délicat. « En revanche, il me semble que l’image de la théologie comme “base” qui soutient et légitime telle ou telle décision – qui confère pour ainsi dire à telle ou telle décision une solidité proportionnelle à celle de la théologie qui la soutient – doit être rejetée ».
    La question d’être tous théologiens est elle aussi délicate. Il est évident que tout le monde peut avoir une spiritualité et un foi et devenir théologien. La question est de savoir si on est théologien au moment où l’on pratique l’étude de Dieu, si c’est réservé à ceux qui commencent des études de théologie universitaire ou qui les ont finies.
    Je pense qu’à juste titre de nombreux délégués au synode ne se entent pas théologiens parce que sachant que les études font cheminer et donnent des connaissances, ne se sentent pas sur un pied d’égalité « en études théologiques » avec des pasteurs par exemple.

    1. Salut Laurent !
      Merci beaucoup de ton commentaire ; moi-même j’observe cela de loin, donc je suis très reconnaissant que tu lances la discussion.
      Il y a effectivement de quoi approfondir – et je souhaite encore le faire, donc merci pour tes remarques !

      En retour : quelle est selon toi la contribution de celles et ceux qui n’ont pas de formation en théologie à la responsabilité théologique du synode ? De même, quelle est la contribution de celles et ceux qui disposent d’une formation en théologie à la responsabilité théologique du synode ? (en amont : faut-il différencier?)

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