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Une responsabilité théologique non définie. Problématisation

L’article 18 du Règlement Général d’Organisation de l’EERV énonce la règle suivante :

Le Synode assume la responsabilité théologique et ecclésiologique dans l’EERV. Il veille à en préserver l’unité et la cohésion, en cohérence avec les positions des Eglises issues de la Réforme. Il fixe les grandes lignes de son organisation et de son action. 

Règlement Général d’Organisation, art. 18, EERV, 2016

Cet article justifie que l’on se préoccupe du travail « théologique » du synode. Cependant, ce que recouvre l’idée de « responsabilité théologique » reste en l’état complètement indéfini.

Dans ce qui suit j’esquisse un début de problématisation sur la « responsabilité théologique » du synode de l’EERV, en partant de cette situation d’indétermination et du type de personne qu’est le synode. Dans cet article le mot « théologie » reste donc un signifiant vide.

L’absence de définition

Dans l’EERV, ni le Règlement Ecclésiastique, ni le Règlement Général d’Organisation, ni les Principes Constitutifs, n’offrent de définition, ou même une esquisse de compréhension, de ce qu’est la théologie.

Les textes de l’EERV ne proposent pas non plus de renvoi à d’autres textes ou autorités qui pourraient faire office de définition opérationnelle.

En l’absence de définition propre, ou de renvoi explicite à une autre définition opérante, ce qu’est le « théologique » pour l’EERV demeure indéterminé.

On pourrait essayer d’offrir une reconstruction des sens possibles de la « théologie » à partir du contexte romand immédiat. Cependant cette reconstruction n’a aucune importance : le sens de la « responsabilité théologique » doit pouvoir être présenté, indépendamment d’un tel effort de reconstruction.

Le but d’une définition

Elle permet à toute personne élue de pouvoir endosser activement la responsabilité qu’on attend apparemment d’elle en tant que membre du synode. En l’absence d’une telle définition, il est impossible à l’élue de savoir quand la dimension théologique est convoquée, c’est-à-dire de repérer les moments où elle est concernée dans sa responsabilité théologiques des moments où elle ne l’est pas.

Il ne lui est pas non plus possible en conséquence de discerner quand il est fait un usage abusif du terme « théologie ». Ce discernement est important si l’on veut maintenir une dignité propre au terme « théologie ».

Cette définition est d’autant plus important dans le mesure où l’on parle de « responsabilité » théologique au sein de l’EERV.

Une « responsabilité » théologique ?

On peut comprendre « responsabilité » en deux sens.

Il peut désigner d’une part une tâche ou une mission conférée à un individu ou à un groupe. En ce sens, c’est au synode qu’il revient de discuter ou de décider ce qui concerne la « théologie » pour l’EERV. Avec la reconnaissance de la tâche vient donc aussi la reconnaissance d’une certaine autorité.

La responsabilité désigne également la capacité d’une personne à assumer ce qu’elle dit et ce qu’elle fait au regard d’une réalité donnée. Cela veut dire que le synode, dans le cas présent, assume pour l’EERV ce qui est dit et fait en son sein en matière de « théologie ».

Cette responsabilité à une fonction de régulation. C’est au synode d’assumer ce qu’il en est du théologique dans l’EERV à ses différents niveaux. C’est lui qui détermine les « règles du jeux » pour ce qui concerne le théologique dans l’EERV et c’est donc lui aussi qui détermine les « frontières » pour ce qui concerne le théologique.

Une personne collective

Dans le cas du synode, la responsabilité personnelle ainsi engagée est celle de l’EERV comme institution. En conséquence, la responsabilité est incarnée par un processus de prise de décision complexe, qui comprend des moments de débat, de prise de décision régulée, de mise par écrit de la décision, de reconnaissance de la décision, de son application, etc.

Le choix fait par l’EERV d’adopter une structure démocratique implique déjà une complexification accrue de la responsabilité. Au regard de la « responsabilité théologique » la complication est accrue du fait que le synode est composé de 2/3 de personnes, pour lesquelles aucune formation « en théologie » est présupposée et de 1/3 de personnes pour lesquelles une telle formation est un pré-requis professionnel.

Dans la mesure où la responsabilité théologique doit être assumée par le synode dans son ensemble, il n’est pas possible en l’état de partir du principe que ce serait la formation « en théologie » qui fournirait la définition implicite de ce qu’est le « théologique » pour la personne collective qu’est le synode – à moins d’assumer explicitement, qu’au sein du collectif, cette responsabilité est déléguée à celles et ceux qui ont le papier « en théologie ». Mais ce n’est précisément pas le cas.

Les risques d’une absence de définition

Je vais terminer avec quelques hypothèses quant aux risques d’une absence de définition.

Une connivence théologienne

Le contenu de ce que recouvre la « responsabilité théologique » sera déterminé implicitement. Le collectif va générer des usages habituels du terme « théologie » sans formuler explicitement de règles pour cet usage. À ce moment, la personne extérieure ou le nouveau venu devra deviner à l’usage ce que ce lexique recouvre, mais n’aura jamais de certitude quant à la validité de son propre usage de ce terme. En d’autres termes : aucune reconnaissance explicite n’est possible en matière de « théologie ».

Cela peut au mieux mener à une « impression » de responsabilité théologique, de par l’utilisation explicite du mot « théologie » dans les discussions synodales. Mais on ne peut identifier cette impression avec une responsabilité explicite – il manque pour cela la référence commune (ce qui définit l’usage du mot « théologie ») par laquelle la reconnaissance mutuelle se construit.

On peut à la limite imaginer la constitution d’une reconnaissance par connivence, qui scinde le synode entre « celles et ceux qui savent ce qu’est la théologie » et « celles et ceux qui ne le savent pas ». Le problème est que ce type de reconnaissance ne permet aucun contrôle possible sur le contenu de ce savoir, et donc aucune contestation en cas d’abus. À ce moment, la pondération initiale entre ministres (licenciés en théologie) et laïques (non-licenciés) devient caduc – voire est pervertie, vu que cela met les laïques dans une situation de double contrainte : d’être responsable d’une dimension dont, par effet de connivence, on leurs refuse les clefs.

La disparition des experts

En l’absence de définition, il n’est pas non plus possible de spécifier les attentes que l’on peut avoir à l’égard de celles et ceux qui ont acquis un papier « en théologie ». Elles ont beaux être élues du fait de disposer d’une telle compétence, mais celle-ci ne peut être mise à profit pour le collectif, l’absence d’une référence commune ne permettant pas la reconnaissance qui leur permettrait d’activer cette compétence.

Cela ouvre la porte au fait que les experts·es en théologie démissionnent de leur compétence. En l’absence d’attentes explicites, les experts·es en théologie peuvent renoncer à endosser la responsabilité qui leur revient par leur formation et leur engagement salarié. Cette démission peut simplement résulter du fait de l’impossibilité d’activer la spécificité de leur compétence dans un collectif où les experts·es sont minoritaires. Tenter d’activer sa compétence implique alors de porter entièrement sur sa propre personne la crédibilité de ce que l’on pose et l’on avance en matière de « théologie » – s’exposant au discrédit, aux railleries et en définitive au désintérêt face à leurs propres contribution dans la discussion.

À la limite, ce dispositif valorise la brillance et la force rhétorique de celles et ceux qui osent prendre la parole en matière de « théologie ». Le problème est alors que la définition de ce qu’est l’expertise théologienne pour le synode est plus liée à leur personne qu’à la pertinence de leur propos, la personne seule étant en définitive ce qui soutient la possibilité de prendre la parole en tant que « théologien » au sein du synode.

Conclusion provisoire

À mon sens, ces deux éléments ouvrent sur le risque d’un discrédit complet de la « théologie » au sein du synode – avec la perspective qu’en définitive il serait mieux de renoncer à cette responsabilité (et donc à l’article 18 du RGO) que d’entretenir des interactions perverses et aliénantes.

Cela étant, il faudrait faire un travail d’analyse de l’usage du lexique de la « théologie » au sein des sessions synodales, pour vérifier la validité empirique de ces hypothèses. Il faudrait également l’adosser d’une enquête sur la « perception de soi » des synodaux par rapport à leur responsabilité théologique.

L’autre voie serait, pour le synode, de clarifier ce qu’il en est de sa responsabilité théologique : ce qu’elle recouvre et ce que l’on peut attendre des membres du synode à son égard, notamment dans la distinction entre « ministres » et « laïques ». Il s’agirait d’un travail de fond, dont les résultats ne pourront toujours qu’être provisoires, mais qui permettraient de baliser le cheminement commun de l’EERV (synode) dans ce qu’elle témoigne de « Dieu » dans le monde et face à « Dieu » lui-même.


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Dans le même horizon, on peut lire :

2 réflexions sur “Une responsabilité théologique non définie. Problématisation”

  1. Jean-Pierre Thévenaz

    Ton texte sur la gouvernance a paru ailleurs, mais les 2 textes se complètent: y a-t-il un sacerdoce universel de la resp.théol.? Qui sont les personnes appelées à être Eglise, à se faire sortir pour ça (ek-kalesthai)? Membres confessants, quelle Eglise les cherche et les convoque? Ministres seuls ou un mélange de peuple et de servants? Ou une assemblée du peuple? Aucune Eglise du NT ne semble s’être voulue démocratique : le faudrait-il désormais pour que la théologie soit de resp.partagée et universelle? Telles sont mes questions auxquelles aucun de tes 2 textes ne me semble avoir répondu.

    1. Merci Jean-Pierre pour ta relance ! ça me donne des questions à travailler. Peut-être un article par question ? C’est à voir : mais de toute manière, il me semble que c’est bien au collectif ecclésial de s’atteler à cette réponse. Les individus peuvent stimuler, mais pas répondre à sa place (ce qui pose la question évidemment de « qui » participe de ce collectif, comment on tient ouverte la tension entre Eglise locale et Eglise universelle). Je viens de lire le petit livre de Sabrina Müller intitulé « Gelebte Theologie. Impulse für eine Pastoraltheologie des Empowerments » ; je vais en faire un résumé pour lundi prochain sur le blog. Peut-être que ça va offrir des pistes de réponse à certaines de ces questions.

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