Il me semble que nous avons de la peine avec notre pratique de la « théologie » dans l’EERV.
Cela ne veut pas dire que nous n’en faisons pas. Mais j’ai l’impression que nous sommes peu conscients de ce que nous faisons – ce qui fait que nous ne savons pas structurer le débat de manière non aliénante et inclusive, ni reconnaître ou aménager des lieux pour des disputes théologiques pertinentes pour la décision ecclésiale.
Pourtant, le synode de l’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud a bel et bien une responsabilité théologique. L’article 18.1 de son Règlement d’organisation l’indique clairement.
Depuis les dernières discussions synodales sur la « vision » du conseil synodal de l’EERV (cf. les documents de la session du synode extraordinaire du 5 septembre 2020), je potasse à nouveau le problème du discernement théologique en Eglise.
Après avoir déjà discuté avec quelques personnes, je vais me risquer à quelques articles à ce sujet.
Disclaimer : je n’ai jamais assisté en présence à une discussion synodale. Je n’ai aucune prétention d’autorité avec ce que je propose. Ceci n’est qu’un petit caillou à côté de bloc de marbres bien plus imposant.
Ici je veux prendre le temps de présenter trois coordonnées qui me semblent essentielles face à ce problème.
Le pluralisme théologique
Depuis le dernier quart du 19e siècle, il n’y a plus de confession de foi contraignante pour la plupart des Eglises réformées en Suisse. Ceci permet en régime protestant qu’une pluralité d’expressions théologiques se tiennent sous un même toit ecclésial. Ceci impose entre autre un exercice institutionnel du discernement théologique et la mise en place des conditions pour l’exercice de ce discernement au-travers de la pluralité des expressions théologiques.
L’absence de confession de foi officielle et contraignante ne veut pas dire pour autant que l’espace de la dispute théologique au sein d’une Eglise donnée soit laissé à l’arbitraire des préférences individuelles. Dans le cadre d’une dispute théologique interne à l’EERV, les Principes Constitutifs (09 avril 2005) offrent un balisage du terrain de jeu à investir. Les disputants-es trouvent en ces principes les points de référence pour situer leur propre position, que ce soit par affiliation ou par opposition.
Celui ou celle qui refuse de reconnaître une forme de légitimité aux Principes Constitutifs, refuse aussi de se situer comme partie prenante de la dispute théologique interne à l’EERV.
Pour que les Principes Constitutifs puissent jouer leur rôle régulateur, il faut que les participants-es du discernement théologique et de la décision ecclésiale aient l’occasion de s’approprier ce texte – d’en assurer une réception personnelle et argumentée.
Le caractère excessif du théologique
La théologie n’appartient pas aux théologiens-nes. Il y a des personnes auxquelles on reconnaît un statut de théologien-ne et une compétence théologique, souvent en fonction d’une formation publique. Mais le théologique ne leur appartient pas. La théologie ne se limite pas à être un ensemble de connaissance ou un set de compétences. Elle transgresse le statut des experts pour se manifester et s’actualiser dans la parole, la vie et les actes, de toute personne prête à engager personnellement sa parole pour un autre.
Le théologien protestant français Raphaël Picon (1968-2016) avait aussi développé cet universalisme de la théologie dans son petit livre Tous théologiens! aux éditions Van Dieren.
Ceci est une évolution notable par rapport à une théologie protestante traditionnelle. Celle-ci considérait que la « théologie » appartient aux professionnels de l’Eglise uniquement (pasteurs, dirigeants, enseignants, etc.).
Cette évolution ouvre le cercle des personnes qui peuvent participer au discernement théologique. Ce point est implicitement reconnu au moment où l’on pose que l’organe ecclésial décisionnel est composé d’une majorité de laïcs. On peut le considérer comme une chance.
Cela implique par contre de clarifier le statut de ceux qui sont reconnus officiellement comme théologiens-nes. Vu que la « théologie » est fondamentalement en excès sur leur statut officiel, la posture des théologiens et théologiennes ne pourra pas être celle d’une « autorité théologique » – ils ou elles pourront être experts d’une thématique ou d’un problème spécifique, mais pas de la théologie « en général ».
Leur spécificité réside peut-être dans leur capacité conjointe à prendre la parole lorsqu’on l’attend d’eux sur des questions dîtes « théologiques » et à aménager un espace de prise de parole théologique pour d’autres lorsque le besoin se présente – par exemple lorsqu’un discernement théologique au sujet d’une décision ecclésiale est en jeu.
Le caractère théologique de la décision ecclésiale
Il est possible et peut-être souhaitable de faire la distinction entre le débat politique et la dispute théologique. L’un est orienté sur les conflits en cours entre différents partis, l’autre sur l’annonce et la réalisation du Royaume en Jésus-Christ (ce qui implique aussi une forme de conflit, mais d’un autre ordre).
Cependant dans la mesure où un synode adopte une forme démocratique et un principe de représentativité par élection pour prendre ses décisions, le débat politique sera nécessairement un moment d’une décision ecclésiale. Il y aura des jeux de pouvoir et différents partis vont se constituer.
Ainsi, l’église réformée du canton de Berne assume directement la présence de 6 fractions au sein de son Synode. Sauf la fraction qui concerne l’espace francophone jurassien, elles représentent toutes des options théologiques spécifiques. Ici la discussion théologique assume directement la forme du débat politique démocratique – sans qu’il ne puisse y avoir de prise de pouvoir d’une fraction sur l’autre (si j’ai bien compris l’organisation du Synode).
Sous ces conditions, le politique ne peut pas être dissocié du théologique. Il n’est pas possible, ni souhaitable de reléguer le théologique à l’espace extra-institutionnel et de réserver l’espace institutionnel au débat politique. Une décision ecclésiale affirmera forcément quelque chose au sujet du Dieu de Jésus-Christ et de son évangile. En conséquence, sa décision sera nécessairement théologique.
Sous les conditions du pluralisme théologique, il devient donc nécessaire que le débat et la délibération politique ecclésiale soit comprise comme une occasion de discernement spirituel – ce qui impliquera l’exercice et la mise en place d’espace de discernement théologique.
On peut d’une part souhaiter qu’à ce moment l’on puisse s’assurer de la compétence théologique générale des différents membres du synode – ou tout du moins d’assurer qu’ils bénéficient d’une préparation adéquate au discernement théologique en cours afin qu’ils puissent endosser la responsabilité qui est la leur.
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Merci Elio de lancer le débat! Et de lui poser des limites externes.
Mais il a aussi des limites internes : qui participe et qui tranche, dans ces « décisions »? D’où vient le droit et l’autorité de trancher, sinon de l’intervention même de Jésus? Or la limite tient à l’espace qu’on lui donne (et qu’on se donne!) pour faite entendre cette intervention!
J’ai tendance à dire qu’on ne peut jamais « maîtriser » la décision que l’on prend. En définitive, une décisions ecclésiale, si elle est une décision ecclésiale, sera une décision prise avec le concours de l’Esprit-Saint (cf. Ac 15,28) dans l’obéissance à la Parole de Dieu – j’ai bien conscience que dire cela ne résout aucun problème : au contraire, ça les ouvre et demande en partie une réponse institutionnelle.
Par contre, on peut s’interroger sur le parcours qui nous mène à cette décision : se fait-il dans l’écoute de la Parole ou non? Vise-t-il une décision qui obéit à la décision de Dieu à l’égard de sa création ou non? (j’utilise ici des catégories barthienne – on pourrait en utiliser d’autres). Tenter de répondre à ces questions implique à mon sens l’introduction de pratiques « disruptives » au sein du processus décisionnel – qui reste un processus régulé, dont on peut reconnaître publiquement les règles.
Il me semble que les réflexions de Armin Kressmann sur la « spiritualité en institution » restent les plus pertinentes sur ce point : qui est le garant de l’Esprit dans le processus décisionnel ? Qui est le Tiers qui permet que le jeu se fasse ? Il s’agit de tenter d’expliciter – aussi insatisfaisant que soit la réponse – la « spiritualité » de notre institution. Cette explicitation se fait dans le discours, mais aussi dans les règles qu’on met en place et l’espace de transgression que l’on reconnaît (pratiquement et théoriquement) au sein de ces règles, afin que ces règles puissent jouer leur rôle.
On continue la réflexion!
Amitiés,
Elio
Il est intéressant d’observer qu’au même moment où se présente dans ce blog la question du rapport entre le discernement et les règles institutionnelles lors la prise de décisions en Église, la société civile se penche elle aussi un peu partout dans le monde et aussi en Romandie, sur la mise en oeuvre « d’assemblées citoyennes » dans le jeu démocratique (cf. les nombreuses lectures accessibles sur le sujet en libre accès sur la toile).
Le besoin de mettre en place des lieux de réflexion permettant d’investir suffisamment de temps pour mûrir la pensée à la lumière d’avis pluriels se respectant les uns les autres, dans le but d’élever le débat au dessus des intérêts partisans, me semble être dans l’air du temps.
Merci pour votre message! Vous avez sans doute raison ; il y a je pense à la fois un besoin et un désir du mouvement que vous décrivez – en même temps je doute aussi que l’on dépasse jamais la dimension « partisane » (parce qu’elle cristallise la dimension « personnelle » derrière toute décision). Tout l’enjeu est d’investir ce jeu de manière féconde et responsable. Je vais bientôt lire des documents concernant la gouvernance partagée (https://igipartners.com/sites/default/files/constitution_4.1_0.pdf) : il me semble que ça participe de cette même ambiance.