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En protestantisme, comme d’autres confessions, nous devons aussi recevoir nos textes ecclésiaux. Lorsqu’une autorité ecclésiale prend une décision et qu’elle produit des textes, suit un temps de réception. Celui-ci permet la contestation, dans la foi et l’espérance en la communion.
Lors d’une discussion avec Michel Kocher sur le discernement théologique en Eglise, nous est apparu à nous deux l’importance du moment de la « réception ». Celui-ci a plutôt été thématisé en contexte catholique, notamment avec la réception du concile Vatican II.
À ce sujet, on peut lire le petit article d’Emmanuel Lanne (1923-2010), moine bénédictin de l’abbaye de Chevetogne. « La notion ecclésiologique de réception », Revue théologique de Louvain, vol. 25 (1), 1994, pp. 30-45, accessible sur Persée.
Ce n’est qu’une intuition, mais j’ai l’impression que ce moment gagnerait à être plus soigné dans le contexte réformé vaudois, face au défi posé par le discernement théologique.
La réception comme processus
En Eglise, « recevoir » c’est avant tout se recevoir soi-même dans l’action de Dieu. Pour la foi, cela signifie avoir reçu la parole incarnée et l’Esprit-Saint. Cela se concrétise dans le canon scripturaire que l’Eglise reçoit et par la suite dans toutes les autres décisions qu’elle « reçoit » dans l’Esprit-Saint tout autant qu’elle les « formule » (Cf. Ac 15,23).
Dans ce contexte, il est important d’expliciter le rapport et la différence entre les instances de décisions et ceux qui par la suite – et à leur suite – reçoivent la décision dont elles sont porteuses. C’est dans la relation qui s’établit entre les décisionnaires et les récipiendiaires par le processus de réception que la communion ecclésiale est mise à l’épreuve.
Emblématiquement, la réception commence au moment de recevoir les paroles d’institution de la sainte Cène :
23 En effet, voici l’enseignement que j’ai reçu du Seigneur et que je vous ai transmis : Le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain 24 et, après avoir remercié Dieu, il le partagea et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. » 25 De même, il prit la coupe après le repas et dit : « Cette coupe est la nouvelle alliance, qui est conclue grâce à mon sang. Toutes les fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi. » 26 En effet, jusqu’à ce que le Seigneur vienne, vous annoncez sa mort toutes les fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez de cette coupe.
1 Corinthiens 11,23-26 (NFC)
Symboliquement – mais aussi pratiquement – c’est bien dans la célébration eucharistique qu’est rendue manifeste l’état de la relation qui est structurée par la « réception ».
Les temps du processus
La « réception » me semble être une dimension fondamentale lorsque l’on tente de réfléchir au discernement théologique en Eglise. La décision ecclésiale et le discernement qui l’accompagne ont lieu dans un processus de « réception ».
Il me semble que l’on peut distinguer différents moments de ce processus.
a) Le temps de la réception
Dans le cadre de la « réception » de l’Evangile, l’autorité ecclésiale reconnue formule une proposition ou une décision. Celle-ci est appelée à être accueillie par le reste de l’Eglise et proclamée dans le monde.
La réception implique que l’on mette en place certaines conditions pour sa réussite. Garantir l’accès au « texte », la possibilité de se l’approprier et le maintien de la communication me semble faire partie de ces éléments essentiels.
b) Le temps de la contestation
La réception de la Parole de Dieu avec l’aide du témoignage scripturaire peut venir contester la décision ou la formulation ecclésiale et marquer une rupture. Il y a contestation au moment où la réception de la proposition ecclésiale contredit la réception de la Parole de Dieu.
La contestation à l’égard de ce qui est à recevoir n’a de sens que si elle est ancrée dans une protestation évangélique. Cette protestation comprend la foi et l’espérance en l’unité de l’Eglise dans l’obéissance à la Parole de Dieu. L’Eglise protestante, dans sa catholicité, tend à particulièrement mettre l’accent sur ce moment. Sacrementellement, il se cristallise autour de l’impossibilité de partager l’eucharistie. Mais cette contestation n’a de sens que sur l’arrière-fond de la catholicité donnée en Jésus-Christ.
La contestation espère et se bat pour la communion qui est à sa base. Elle ne peut pas refuser la réception ou y échapper.
c) Le temps de la communion
Une réception réussie se manifeste dans la célébration commune de l’eucharistie. Avec l’écoute de la Parole, le sacrement manifeste dans le monde l’unité de l’Eglise en Christ.
La « réception » ne trouve son terme que dans l’avènement final du Royaume, et donc dans le retour final de Jésus-Christ. Dans l’intervalle, la communion n’est jamais parfaite : elle est toujours marquée d’une brisure.
Quelques points d’interrogations
À titre personnel, je n’ai en tant que membre de l’Eglise réformée que peu expérimenté la « réception » – voire jamais. Même en ce qui concerne le débat très médiatisé sur la reconnaissance d’un rite bénédiction pour les couples de même sexes (2012), on peut s’interroger sur la « réception » des décisions prises par le synode au sein des régions et des paroisses. Je ne vois pas en quoi j’en aurai reçu quelque chose dans ma vie ecclésiale concrète.
Cela m’interpelle sur quelques points.
a) Dans l’interaction entre Conseil Synodal, Commissions et Synodes il y a déjà des processus de « réception » interne au processus de décision. Les décisions synodales consistent souvent dans la reconnaissance d’un rapport qui prend en charge un sujet donné et le détaille. Ce rapport peut être écrit par une commission spécifique ou par le conseil synodal lui-même. Mais une fois la décision synodale prise, la « réception » se poursuit-elle dans le reste de l’Eglise?
b) L’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud participe de différentes communions ecclésiales : l’Eglise Evangélique Réformée de Suisse, de la Communion Mondiale d’Eglises réformées, le Conseil Oecuménique des Eglises. Dans quelle mesure participe-t-elle de la réception de ce qui y est formulé ? Dans quelle mesure ai-je les moyens, moi aussi, de participer de cette réception ?
c) En conséquence, avec quelle Eglise est-ce que je suis en communion quand je participe à la Sainte Cène ? Plus profondément : puis-je réellement communier?
Cette question est importante : comme sacrement, l’efficacité de l’eucharistie réside dans la lumière qu’elle jette sur la vie de l’Eglise du Christ et ses contradictions. Lorsque l’apôtre Paul insiste sur l’auto-examen qui précède la Cène (1 Co 11,28), il invite au discernement. C’est de ce discernement dont il est question au moment de réfléchir au discernement théologique en Eglise.
Est-ce que je peux être membre de ce corps auquel je communie, dans la forme tout à fait concrète qu’il prend ici et maintenant ? Participer à la Cène, c’est alors consentir et affirmer personnellement ma participation à ce corps ecclésial très concret.
Puis-je faire cela, alors que je n’ai pas « reçu » ce que ce corps décide et proclame ? Ou bien ce corps n’a-t-il en fait rien décidé, ni proclamé ? Ni l’un, ni l’autre ne sont possibles dans le corps du Christ.
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Pour d’autres articles en réflexion de ce sujet :
Sans avoir eu le temps de tout lire, je te remercie pour cette réflexion ô combien importante en Eglise. A ce sujet, nous avions reçu Pierre Emonet sj en 2019 pour une journée de réflexion oecuménique sur cette question du discernement. Tu pourras retrouver les enregistrements de ses deux interventions (discernement communautaire et individuel) ici : https://podcast.philippegolaz.ch/sermons/?wpfc_service_type=conference