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Souvent on s’écharpe pour savoir ce qu’est la théologie, ce qu’on y fait, où elle doit se faire. Mais pour moi, ayant fait des études de théologie, faisant un doctorat en théologie, me profilant pour un ministère ecclésial, le problème réside plutôt dans la difficulté de savoir ce que je suis en tant que théologien-ne, plutôt que ce que je fais. Par ce qu’il y a un tas de choses que je fais en tant que « théologien », mais ça ne règle pas le problème : mes études m’ont laissée à moi-même la tâche de développer ce que je suis, sans jamais me présenter des exemples d’incarnation du-de la théologien-ne.
Le théologien Karl Barth (1886-1968), dans le contexte de la montée au pouvoir de Hitler en Allemagne, affirmait la spécificité de l » »existence théologique ». Qu’est-ce qu’une telle existence pour le-la théologien-ne contemporaine?
Je veux essayer de te livrer ici ma compréhension de ce qu’est un-e théologien-ne. Il y en a sans doute de meilleures. Peut-être que la tienne est différente ?
Si tu veux directement voir ma compréhension, tu peux aller au dernier titre!
Détenteur-trice d’un papier ?
Un-e théologien-ne est détenteur-trice d’un grade universitaire « en théologie ». Ou tout du moins, il est passé par une formation qui lui reconnaît ce titre.
Souvent on rencontre la théologie via des institutions qui forment à la théologie. En tout cas c’est là que j’en ai eu ma première expérience. D’ailleurs, à ce sujet je te recommande etudierlatheologie.ch !
Mais c’est là aussi qu’il y a la grosse difficulté : les études de théologies sont un composite de disciplines et de domaines distinctes. Elles sont souvent en débat les unes avec les autres. Les besoins d’un domaine ne sont pas les besoins de l’autre. Les attentes non plus.
Tes professeurs, sont des spécialistes d’un domaine, et ne font pas eux-mêmes au quotidien ce travail étrange qui est de tenir ensemble ces différentes disciplines : ce qui constitue la base de ton savoir-faire de théologien-ne une fois que tu as fini tes études. En fait, il n’y a que l’étudiant-e en bachelor et en master qui à l’université pratique l’ensemble des disciplines de la théologie.
Un-e théologien-ne détient un papier « en théologie ». Mais les études ne semblent pas encore dire ce qu’est le-la théologien-ne.
Un-e responsable religieux ?
La théologie a bien quelque chose à voir avec la religion et la spiritualité, avec les lieux où l’on développe des discours et des pratiques qui concernent la transcendance, Dieu, l’expérience que l’on en fait, la vie que l’on mène à lumière de la foi, etc.
Mais en protestantisme le-la théologien-ne n’est pas un-e religieux-se à proprement parlé. Ou tout du moins, il ne l’est pas moins que n’importe qui d’autre.
Il n’est pas quelqu’un qui, en tant que tel, serait séparé du reste des êtres-humains, parce qu’il aurait un rapport spécifique au sacré, ou quelque chose de cet ordre. De même, le-la théologien-ne n’est pas nécessairement un-e responsable religieux.
La théologie ne peut jamais complètement se détacher de la relation à une tradition religieuse. Et en même temps, ce n’est pas la raison de sa spécificité parmi les sphères du savoir.
Un-e autorité en Eglise ?
Dans la tradition protestante réformée, on attend de la part des ministres – diacres et pasteurs-es – d’avoir une formation en théologie. Pour le-la pasteur-e il lui faut un papier en théologie d’une formation reconnue.
Anciennement on peut rattacher cela à l’appellation verbi dei minister. Le-la théologien-e est celui-celle qui a la charge de faire résonner le verbe divin dans le monde et de former le peuple de Dieu à l’écoute de cette parole – il le fait par la prédication, par l’enseignement, pas l’accompagnement des personnes et de la communauté. Le-la théologien-ne a du coup aussi la responsabilité de la direction d’Eglise. D’ailleurs, si t’es curieux-se de ce que c’est le ministère pastoral, va voir : https://devenir-pasteur.ch.
Jusqu’au siècle passé, il était attendu que la direction d’Eglise ait une formation théologique, que les « clercs » aient une place importante dans l’organisation de l’Eglise. Mais le processus de dé-cléricalisation et la reconnaissance d’un pluralisme théologique au sein des Eglises protestantes mène à ce qu’on ne puisse plus simplement réduire le « théologien-ne » à la fonction d’autorité.
On peut lui reconnaître une certaine expertise. Sa parole a du poids, et en même temps elle ne fait pas autorité per se au sein de la communauté religieuse – de même que dans la société ou dans l’université.
On est d’ailleurs peut-être à un point où l’autorité propre à la parole théologique n’est plus tout à fait claire, est en attente d’être réarticulée.
Un-e érudit ?
Il y a une certaine gratuité dans ce que fait le-la théologien-ne. Il a aussi une certaine indépendance dans ses projets de recherche. Au fond, l’activité du-de la théologien-ne gagne à être ancrée dans un désir, un élan vital, un intérêt pour ce qu’il étudie.
Sa recherche peut se constituer indépendamment des intérêts institutionnels, religieux, sociaux, politiques, etc. C’est ce qui fait que par la suite il peut aussi se profiler comme expert dans l’édition, dans le journalisme, voir dans des ONG, etc. À partir de son intérêt propre, il peut se constituer un profil spécifique.
En même temps, les thèmes qu’il travaille sont tous sauf anodins. Ils touchent à des objets extrêmement importants pour les communautés religieuses, académiques, politiques et pour la « spiritualité » d’un grand nombre d’individus. Textes sacrés, pratiques, traditions, dogmes, connaissance, réflexion éthique, etc. Ce sont des éléments qui ont une place importante, une place normative, pour un grand nombre de personnes.
En tant qu’expert, il a donc également une certaine responsabilité à l’égard des communautés religieuses, de la société et l’université. Si de l’argent a été mis dans ces lieux de formation, c’est que l’on estime qu’ils sont importants pour le développement de l’Eglise, de la société et de l’université.
Si le-la théologien-ne a un peu les traits d’un érudit, en même temps son expertise est attendue. Sa Parole est précieuse et c’est à chaque fois un drame lorsqu’un-e théologien-ne renonce à sa parole : « au fond c’était juste valable durant les études, maintenant c’est fini ».
Un-e théologien-ne a quelque chose de l’érudit, et en même temps il-elle est attendue. Il-elle est plus qu’un-e « expert-e du religieux », bien qu’il-elle le soit aussi. Autour de lui-elle s’organise l’attente d’une parole à propos de « Dieu ».
Comment je le comprends et constate
Qu’est-ce que le-la théologien-ne ?
Je n’ai pas encore trouvé le dénominateur commun. Je n’ai pas encore réussi à trouver la formule qui dit de quoi je suis expert. Je n’ai pas encore réussi à trouver la formuler qui dit exactement quel est mon rôle. Je n’ai pas encore réussi à trouver la formule qui résume exactement mon savoir-faire.
Communauté
(1) Avec ma parole, mes analyses, mes propositions, je dépends fondamentalement des autres, de leur propre parole, pour pouvoir développer mon propre discours. À moi tout seul, je ne peux pas résumer le tout de la théologie, ni de l’être-théologien. Cela implique que je me lie fondamentalement à une communauté de recherche. Je suis théologien parce que je me lie à cette communauté de recherche bigarrée et plurielle. Je consens à ce qu’on m’identifie comme faisant partie de cette communauté.
Risque
(2) Avec ma parole, mes analyses, mes propositions, je consens à me « risquer ». Risquer un regard sur une réalité qui importe beaucoup, même fondamentalement. Risquer une parole par rapport à des situations aux problèmes inépuisables – Dieu, le bien et le mal, la vérité, l’être-humain, le monde, les tracas du quotidien, les valeurs, les références fondamentales, la Bible, la foi, la religion, etc. Risquer une parole qui s’ancre dans mes désirs, mes intérêts, ma spiritualité, etc. Risquer une parole en sachant qu’en face de moi j’ai des personnes qui attendent aussi quelque chose. Risquer une action décalée, qui prépare à « autre chose », à ce qu’on appelle le Royaume, à ce qu’on appelle « Dieu ». Risquer une parole, une action et un regard, tout en sachant que quelqu’un d’autres, depuis ailleurs, aura la légitimité de dire autre chose. Ce risque je peux le prendre et on attend de moi que je le prenne, parce qu’on me reconnait comme « théologien », parce que j’ai fait une formation académique qui me confère ce status.
Structure et ouverture
(3) Avec ma parole, mes analyses, mes propositions, je permets à des groupes, des personnes, des communautés, d’éclore sur la compréhension de ce qui les rassemble. Je leur permets d’éclore sur la compréhension de ce qui fait leur unicité, de leur source spirituelle, du vécu qui est au point de départ et à l’horizon de leur être-ensemble. Je propose une parole, une présence, des actions qui structure et qui donne de la place, tout en sachant que ce n’est pas moi qui aurait le dernier mot et que ce n’est pas moi qui ait le premier.
Vérité
(4) Avec ma parole, mes analyses, mes propositions, je ne cherche pas à défendre mon opinion personnelle, mais je suis en quête de quelque chose de commun, de l’expression d’une vérité qui me dépasse et qui en même temps m’ancre dans la réalité et ses strates innombrables. En même temps, tout ce que je vais bien pouvoir développer, sera irrémédiablement lié à ma personnalité.
Evangile
(5) Tout cela, je le comprends comme étant fondamentalement une expression de l’Evangile. Tout cela, je ne pourrais le faire sans un rapport fort à la tradition, à la prière, à la communauté, aux Ecritures, sans entretenir un rapport bienveillant, curieux et lucide à tous ces éléments qui balisent mon existence.
C’est au-travers de ces différents aspects que j’arrive pour l’instant, et à défaut de mieux, à dire ce qui fait mon être-théologien.
Et toi ?
Qu’est-ce qui fait de toi un-e théologien-ne ?
Pour d’autres « profils », voir :
- Jean-Marc Leresche, Ce que j’imaginais avant d’être diacre
Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.
Ce qui fait de moi un théologien est que je me sais engendré, et que je suis infiniment curieux de ce savoir.
Pour différencier, ce qui fait de moi un pasteur, c’est que je postule que l’autre est aussi engendré, et que j’ai le désir de parler de ça avec lui.
Pour moi, si être « théologien.ne » signifie qqch dans mon contexte d’Eglise réformée de Suisse romande – car je présuppose que mon contexte géographique et sociale influence beaucoup ma compréhension de ce rôle – c’est être à la fois un « emmerdeur » et un témoin de l’espérance/reconnaissance possible.
Emmerdeur car si mes études (théologie – sciences des religions – un peu de Géosciences) ne m’ont que peu donner les moyens de créer des solutions, elles m’ont appris à repérer et analyser des problèmes : dès lors qu’on commence à se rendre compte des « problèmes » observables en églises et en sociétés alors je conçois que mon rôle doit être de les dénoncer et donc, d’empêcher le système de tourner en rond. Et on peut avoir des outils constructifs – même si sans doute maladroits – pour rendre compte des problèmes qu’on observe et on ne doit pas les taires.
Mais être juste un type énervé qui crie à l’insuffisance et l’incapacité du monde serait fort inutile si nous ne tentons pas de témoigner (autant lors d’une conférence / séminaire / simple discussion) d’autres voies et rapports au monde, autrui et à soi-même possibles..
Bref j’ai une vision très constructiviste du rôle d’un.e « théologien.ne » – entre déconstruction et reconstruction – et je pense pas du tout que ce soit une spécificité d’un.e théologien.ne mais par contre c’est vraiment ce que les études m’ont donnée comme outils : même si ça reste limité.
En tant que théologien, je comprend mon rôle comme étant celui qui interroge. J’interroge la société au regard de la Parole de Dieu, et j’interroge la Parole de Dieu au regard de la société qui est la mienne. Ceci, afin que les deux puissent entrer dans une relation féconde, qu’une rencontre puisse avoir lieu. Mais peut-être que là je déborde déjà un petit peu sur mon rôle de pasteur…
En tant que « presque » théologienne, mon rôle est d’être témoin de ce qui me dépasse et m’appelle….
Je ne suis pas théologien au sens académique du moins mais je crois que chaque chrétien, chaque chrétienne et même chaque être humain est appelé à dire Dieu par sa vie ses actes et sa parole. Pour soi-même d’abord et pour le monde ensuite.
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