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Formes juridiques de l’Eglise en Suisse | Communauté religieuse

Dans cet article je m’intéresse à la notion de communauté religieuse telle qu’elle est utilisée dans la formalisation juridique de la religion en Suisse.

Communauté religieuse

Dans une perspective de neutralité religieuse, la notion de communauté religieuse (all. Religionsgemeinschaft) donne l’arrière-plan du statut juridique de la religion en Suisse. Cette notion a pour fonction de servir de catégorie-parapluie pour l’organisation publique de la diversité religieuse – qui était d’abord une pluralité confessionnelle. Initialement, dans le cadre des paix de religions, c’était la terminologie de la Religionspartei qui permettait d’établir une base « religieusement neutre » pour la négociation de la pluralité confessionnelle. La notion de communauté religieuse est aujourd’hui utilisée d’un point de vue juridique pour traiter à égalité les différentes expressions religieuses au sein de la société suisse contemporaine 1.

Il faut cependant souligner le fait que de parler de communauté religieuse au niveau juridique est relativement récent (vraisemblablement pas avant le XXe siècle) et ne va pas forcément de soi.

Quelques alternatives terminologiques

En Allemagne la terminologie de la Religionsgemeinschaft a été introduite à la suite de la seconde guerre mondiale et remplace la terminologie de la Religionsgesellschaft (société religieuse)2. En Suisse, la Constitution de 1874 – ainsi que la constitution du canton de Zoug – parlent encore de Religionsgenossenschaft. Cette terminologie plus ancienne comprend en fait l’organisation religieuse sous la forme d’une association d’individus.

La France pour sa part, dans sa Loi 1905, parle de manière générale de Culte – restreignant à cet horizon pratique la négociation juridique de la thématique religieuse. Mais là aussi, ce sont des associations cultuelles qui sont reconnues comme forme organisée de la religion par l’Etat de droit – là où le régime des articles oraganiques de 1803 reconnaissaient des établissement cultuels – ce qui est encore une toute autre terminologie.

Logique d’association

Du point de vue de l’histoire des idées, cette conception associative de la religion trouve ses racines dans les travaux des juristes collégialistes allemand du 18e siècles : face au développement de l’Etat absolutiste d’Ancien Régime, ils essaient de développer une conception de la forme juridique de l’Eglise qui permette d’affirmer son indépendance organisationnelle. « La construction collégiale repose en substance sur une conception radicalement individualiste de la conscience, elle-même justifiée théologiquement »3. C’est l’accord entre les croyant-e-s qui fonde l’organisation juridique de l’Eglise.

En Suisse, cette conception associative rentre fortement en résonance avec les pratiques d’organisation collective que l’historien du droit allemand Otto von Gierke (1841-1921) a conceptualisé avec la notion de Genossenschaft – notion difficilement traduisible en Français : une association de personnes guidée par le fait de jouir d’un même bien et d’en administrer l’exploitation. Cette logique associative structure en profondeur la pratique organisationnelle Suisse – surtout sur son versant alémanique.

Logique d’appartenance

La notion de communauté / Gemeinschaft a elle une autre coloration. Dans la communauté, ce qui fait lien précède la décision individuelle. Dans le cadre du romantisme, la « communauté est pensée comme une totalité donnée, supposant un engagement inconditionnel (unbedingte Verbindlichkeit) »4 La communauté n’est pas créée par la décision des individus qui s’associent : elle est à reconnaître comme une réalité pré-donnée, que l’on peut objectiver dans le partage de pratiques ou d’imaginaires particulier ou par l’affirmation subjective d’un « sentiment d’appartenance ».

D’un point de vue théologique-doctrinal, cette terminologie correspond mieux à la compréhension que les Eglises ont d’elles-mêmes comme communautés qui témoignent de la restauration de la communauté entre Dieu et sa création. En perspective sociologique, la communauté est un type de forme sociale (comme le mouvement, ou le milieu) qui précède ou se distingue de l’organisation, elle même une forme sociale parmi d’autres 5. Du point de vue sociologique, la notion de communauté religieuse peut ainsi avoir une fonction descriptive qui la distingue du domaine de l’organisation.

Mais la notion de communauté correspond mal avec une logique juridique libérale-continentale où la personnalité morale (à laquelle on peut reconnaître des devoirs et des droits) est l’entité clef.6 La pensée de la communauté indique dans ce contexte éventuellement ce qui précède le droit, mais qui est une sphère que le droit libéral ne peut que reconnaître par la négative : en reconnaissant notamment la liberté de conscience et de croyance (Art. 15), ainsi que la liberté d’association (Constitution Fédérale, art. 23). L’Etat de droit libéral est aveugle sur ce qui fait qu’une communauté est une communauté.

Limites de la notion de « communauté religieuse » ?

On peut se demande à ce titre si la notion de communauté religieuse, par-delà son caractère de fait peu problématique, ne tend pas à brouiller les limites propres à la reconnaissance juridique en Suisse : l’Etat ne reconnait jamais une communauté comme telle (comme il ne reconnait pas une religion comme telle), mais une forme organisée de la communauté religieuse, que cette organisation se fasse selon le droit privé (Code Civil Suisse, art. 60) ou selon la reconnaissance de droit public (variant en fonction des cantons). Elle semble mieux correspondre à la logique associative propre aux lexiques antérieurs (Religionsgesellschaft, -genossenschaft).


Voir aussi :

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  1. Cf. Peter KARLEN, Das Grundrecht der Religionsfreiheit in der Schweiz, Schulthess Verlag, Zürich, 1988, p. 12[]
  2. Cf. Hans Michael HEINIG, « ‘Religionsgemeinschaft/Religionsgesellschaft’ : Herkunft, aktuelle Bedeutung und Zukunft einer religionsverfassungsrechtlichen Zentralkategorie », Zeitschrift für evangelisches Kirchenrecht, vol. 64 (1), 2019, pp. 1-23[]
  3. Wolfgang BOCK, « Der Begriff der Kirche in juristischer Sicht », in Gerhard Rau, Hans-Richard Reuter & Klaus Schlaich (éds.), Das Recht der Kirche. Band 1. Zur Theorie des Kirchenrechts, Gütersloh, C. Kaiser Verlag / Gütersloher Verlagshaus, 1997, p. 135. Voir aussi Klaus Schlaich, Kollegialtheorie. Kirche, Recht und Staat in der Aufklärung, München, Claudius-Verlag, 1967[]
  4. BOCK, p. 136. Difficile à traduire : « Gemeinschaft wird als vorgegebenes Ganzes von unbedingter Verbindlichkeit gedacht ».[]
  5. cf. HEINIG, p. 6[]
  6. Il faudrait peut être encore distinguer ici le statut de la community dans le modèle juridique états-uniens, qui n’a pas connu la municipalisation des communes d’Ancien Régime. Selon les contextes « communautés » n’a pas tout à fait la même signification.[]

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