Être de terre et de souffle. L’humiliation de Jésus-Christ

Prédication énoncée le 20 février 2022 à Combremont-le-Grand, paroisse de Granges et environs.

Lectures

Première lecture

6 Seigneur, tu ne veux plus de ton peuple, les descendants de Jacob. Car les pratiques de l’Orient abondent chez lui ; il exerce l’astrologie comme les Philistins. Ton peuple fait des affaires avec les païens. 7 Son pays est plein d’argent et d’or ; il n’y a pas de limite à ses trésors. Son pays est plein de chevaux ; il n’y a pas de limite au nombre de ses chars de combat. 8 Son pays est plein de faux dieux, et ils se prosternent devant l’œuvre de leurs mains, devant ce qu’ils ont façonné de leurs doigts. 9 C’est pourquoi tous les humains devront s’incliner et mordre la poussière. Et toi, Seigneur, ne les relève surtout pas ! 10 Cachez-vous sous les rochers, rentrez sous terre, pour fuir la terreur qu’inspire le Seigneur, pour vous mettre à l’abri devant la grandeur de sa majesté. 11 Le regard orgueilleux des humains sera abaissé, les personnes hautaines devront s’incliner. Ce jour-là, le Seigneur seul sera reconnu grand. 12 Car le Seigneur de l’univers se réserve un jour pour prononcer son jugement contre tout ce qui prétend être grand ou supérieur, afin de le rabaisser : 13 contre tous les cèdres du Liban à la taille si haute, et les chênes du Bachan ; 14 contre toutes les hautes montagnes et toutes les collines dominantes, 15 contre toutes les tours surélevées et les murailles inaccessibles ; 16 contre tous les grands navires de Tarsis et les bateaux de luxe. 17 L’orgueil des humains devra s’incliner et les personnes hautaines seront abaissées. Ce jour-là, le Seigneur seul sera reconnu grand. 18 Les faux dieux disparaîtront entièrement.

Esaïe 2,6-18 – Nouvelle Français Courant

Deuxième lecture

27 Les soldats de Pilate emmenèrent Jésus dans le palais du gouverneur, le prétoire, et toute la troupe se rassembla autour de lui. 28 Ils lui enlevèrent ses vêtements et le revêtirent d’un manteau de pourpre. 29 Puis ils posèrent sur sa tête une couronne tressée avec des branches épineuses et placèrent un roseau dans sa main droite. Ils se mirent ensuite à genoux devant lui et se moquèrent de lui en disant : « Salut, roi des Juifs ! » 30 Ils crachaient sur lui et prenaient le roseau pour le frapper sur la tête. 31 Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier.

Evangile selon Matthieu 27,27-31 – Nouvelle Français Courant

Prédication

Trois situations 

Le 8 juillet 2014, dans le stade de foot Estadio Mineirao, à Belo Horizonte, l’équipe du Brésil perd la demi-finale du Mondial face à l’Allemagne, avec un score de 7 contre 1. Les spectateurs brésiliens en étaient à soutenir l’Allemagne – pourtant un rival historique du Brésil. Le sélectionneur démissionne, des membres de l’équipe font des excuses publiques au peuple brésilien. Des supporters mettent le feu au drapeau brésilien. Les média parlent de la « plus grande honte de l’histoire » ou déclament encore que « Le Brésil a été tué ». 

Prenons une autre situation, que vous avez peut-être connu : à l’école, vous avez un peu chahuté, rigolé ou chuchoté avec votre voisin ou voisine. Le proviseur vous interpelle, d’un regard sévère vous dit de venir devant la classe. Vous savez ce qui va suivre : vous tendez les mains avec les doigts levés vers le haut, attendant les coups sous le regard de vos compagnons de classes, mi-amusés, mi-effrayés. En septembre 2020, dans des établissement scolaires genevois, on dénonce les t-shirt de la honte : ces habits amples dont doivent s’affubler les écolières et les écoliers dont la tenue ne respecte pas les codes de la pudeur. Autre époque, autres mesures.

Le 20 octobre 2011, le célèbre dictateur Mouammar Kadhafi meurt dans une ambulance – blessé « au combat », assassiné, exécuté. La communauté internationale salue sa mort, pendant que l’on peut voir circuler sur internet différentes photos, voire des vidéos, du corps du général, meurti – vivant ou mort, difficile à dire. Des combattants de la liberté en liesse danse sur le corps du « Guide de la révolution ».

Indignation 

Trois situations différentes, une thématique qui les relient : l’humiliation. Quelles sont les émotions qui vous ont traversé pendant ces histoires ?

Pour ma part ce sont globalement la colère et la tristesse. Mais aussi la révolte et l’incompréhension. Dans ces situations, il semble que, d’une manière ou d’une autre, ont ai porté atteinte à quelque chose de sacré – atteinte à quelque chose qui est de l’ordre de la dignité : dignité d’une nation face à la défaite, dignité de l’enfant face au système d’éducation, dignité du corps et de la personne face à la mort. 

Trois histoires différentes et une même thématique. J’en rajoute une quatrième : celle que nous avons entendu dans le texte d’Esaïe, celle du peuple d’Israël pour lequel Dieu promet l’humiliation.

« Tous les humains devront s’incliner et mordre la poussière. Et toi, Seigneur, ne les relève surtout pas ! […] le Seigneur de l’univers se réserve un jour pour prononcer son jugement contre ce qui prétend être grand ou supérieur, afin de le rabaisser » 

Dieu qui humilie son peuple ? Dieu qui est auteur de l’humiliation ? Certes nous savons bien de quoi l’être humain est capable : l’humiliation fait partie des vices les mieux entrentenus. Mais Dieu ? Et surtout, le Dieu de Jésus-Christ, comme le chante ce cantique de Noël « Humble et doux Jésus : Du ciel où règne un Dieu clément, tu viens selon sa volonté, en notre pauvre humanité ; Tu nais et c’est l’apaisement. La crainte a fui, du passé mort, un temps de grâce éclot encore ! » (Alléluia 32/19)

Comment ces paroles peuvent-elles consonner avec le jugement destructeur d’un Dieu qui promet d’humilier son peuple ? Comment comprendre cela ?

Recul

Prenons un peu de distance et penchons nous sur le sens de ce lexique de l’humiliation.

D’abord l’humilité. C’est un terme qui nous semble peut être déjà moins gênant : c’est même une vertu bien valorisée « Heureux les humbles de cœur, car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3). L’humilité désigne notre condition humaine : le mot « humilité » vient du latin humus, la terre dont nous provenons tous et toutes, à la matière inerte qui a besoin du souffle de vie pour pouvoir s’animer. Humain vient d’ailleurs de la même racine latine.

Cette humilité, ce rapport à la terre, nous distingue de Dieu, qui lui appartient au monde du ciel, de l’éternité, de ce qui n’est que vie et jamais mort – de ce qui n’est pas inerte. Mais dans cette distinction, dans cette humilité, se dessine également notre dignité : fait de terre et animé d’esprit, nous sommes appelés à être image de Dieu dans le monde. Chaque personne, dans son humilité, porte en elle une trace du caractère sacré et intouchable de Dieu lui-même – sans pour autant jamais se confondre ave Dieu.

L’humiliation alors ? Nous pourrions simplement la comprendre comme le fait d’être resitué à notre place, d’être replacé dans notre humilité, dans notre condition d’être de terre, créé pour être image de Dieu dans le monde – mais pas pour être eux mêmes Dieu. Vivre l’humiliation n’est alors rien d’autre que de redevenir qui l’on est en vérité et depuis toute éternité devant Dieu.

Mais quelque chose sonne faux lorsqu’on le dit ainsi. Et à juste titre : à l’humiliation nous associons plutôt la violation de notre dignité – la honte qui fait suite à la correction, la rage et le dépit après la défaite subie à domicile, la défiguation du corps de l’oppresseur enfin vaincu. À chacun de ces moments, quelque chose de la dignité semble avoir été violée. L’humiliation est exercée par le dominant sur le dominé : le plus fort rabaisse le plus faible – et le plus faible souffre – pour son propre bien, parce qu’il l’a mérité, parce qu’il n’était pas assez fort ou assez bon.  

Chères sœurs, chers frères – ceci n’est pas la voie de Dieu pour l’humiliation qu’il promet.

Jésus-Christ

Je vais tenter de le dire ainsi : Jésus de Nazareth est l’humiliation promise par Dieu, pour le rétablissement de notre dignité. 

Un premier point d’abord : en Jésus, Dieu relève celles et ceux qui sont sur le bord de la route, soigne les malades et les blessés, restaure les relations et rétablit le lien entre les personnes. Il réconcilie et ouvre le monde à l’avenir de Dieu et de son règne. 

Ces actes – et leur écho dans la population – attirent les foudres des dominants du moment. Leur réponse sera celle de tout dominant : trainer Jésus dans l’humiliation suprême, en le défigurant sur la croix.

Mais c’est là que l’humiliation de Dieu a lieu, disons, par effet de contraste : en ressuscitant Jésus d’entre les morts, Dieu humilie toutes celles et ceux qui ont nié les fruits des actes et des paroles de Jésus. Il les remet à leur juste place. Non pas en les massacrant, en les défigurant, ou en les renversant, mais en leur disant : voilà une personne qui a été réellement humain, le plus proche sa dignité d’être de terre créé pour être image de Dieu dans le monde, celui qui s’est montré le plus humble dans la présence de Dieu, qui n’a pas abandonné cette humilité, même là où l’on portait la plus grande atteinte à sa dignité.

En ressuscitant Jésus d’entre les morts, Dieu annonce à la face du monde qu’il était réellement présent auprès de Jésus, dans ses actes et ses paroles, mais aussi dans sa souffrance, dans l’humiliation qu’il a subi. Jésus n’était pas seulement un faiseur de miracles, un réformateur social ou un révolutionnaire un peu plus efficace que la moyenne : en lui, le règne de Dieu était présent. Non pas parce qu’il s’avérait plus divin que les autres, mais parce qu’il s’est montré être le plus humain ­– et c’est pour cela que Dieu est présent auprès de lui.

Notre humiliation

Nous aussi avons à subir cette humiliation, cette remise à notre place, ce retour à notre humanité, à notre poussière et notre humilité. 

Premièrement : nous n’avons pas à exercer nous-mêmes une quelconque forme d’humiliation – que ce soit à l’égard d’autrui ou à l’égard de nous-mêmes. L’oeuve de l’humiliation appartient uniquement à Jésus-Christ. Nous ne sommes que les témoins de cette œuvre – parce qu’elle a d’abord lieu en nous, parce que c’est d’abord nous que Jésus-Christ humilie. Et c’est le deuxième point : nous avons à nous laisser humilier par le Christ. Quand et comment ? 

Là où je m’estime plus grand et élevé qu’autrui, lorsque j’ai l’ascendant sur une personne ou une situation, à ce moment j’ai à porter mon regard sur Jésus et à me laisser humilier par lui. 

Là où je me trouve interpellé par la dignité d’autrui, lorsque l’on m’appelle à agir en faveur de sa dignité : j’ai à porter mon regard sur Jésus et à me laisser humilier par lui.  

Là où j’estime qu’il n’est pas nécessaire de rendre gloire à Dieu, lorsque j’estime qu’il ne m’est pas nécessaire de m’en remettre à lui, j’ai à porter mon regard sur Jésus et à me laisser former par sa vie, son histoire, ses paroles et ses actes – c’est-à-dire : à me laisser humilier par lui.

S’exposer au Christ et à l’humiliation qu’il exerce sur nous est une exigence quotidienne, un art de vivre qui requiert tout de nous. 

Il ne s’agit pas là de la discipline des forts – mais de l’amour de Dieu et de l’être humain. 

Cet amour commence avec l’écoute de la parole de Dieu, telle qu’elle murmure dans les textes bibliques et par l’attention portée aux échos de cette parole par-delà le monde, dans les paroles et les visages humains : par exemple, à la fin d’un match d’envergure, dans l’éducation quotidienne ou lors d’une révolution politique et sociale. Et aussi dans le visage d’une nature exploitée, dans l’usage que nous faisons de notre propre terre – en définitive : de notre propre humus, de nous-mêmes.     

Consentir à cette humiliation, c’est finalement consentir à rien d’autre qu’à une authentique humanisation. L’humiliation que Dieu nous promet, c’est l’humanisation qu’il a réalisé pour nous, pour notre salut en Jésus-Christ. L’humiliation que Dieu nous promet n’est rien d’autre que sa propre entrée dans l’histoire et la vie humaine, en notre faveur.

Finalement, frères et sœurs, l’humiliation que Dieu nous promet est une Bonne Nouvelle. Et une part de nous a bien des raisons de craindre cette nouvelle – cette part qui s’abreuve à l’orgueil, au mal et à la souffrance d’autrui. Mais c’est une part encore bien plus grande qui va s’en réjouir : celle qui, jour après jour et jusque dans l’éternité, nait et grandit dans la lumière de Dieu.

Amen. 


Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.

Voir aussi Humiliation active.

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