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Lire la Théologie Systématique de W. Pannenberg – ou pas

Résumé

La Théologie Systématique de Pannenberg est un monument de la théologie germanophone du 20e siècle. Une personne curieuse sur le plan de l’histoire des dogmes, du dialogue de la théologie avec l’ensemble du champ scientifique, du dialogue doctrinale entre théologie catholique et protestante et avide d’une pensée complexe et dense y trouvera son compte.

Elle a le revers d’être relativement conservatrice, patriarcale et difficile à lire.

L’auteur

Wolfhart Pannenberg (1928-2014) est un théologien allemand de confession luthérienne. Il a fait son travail de doctorat auprès de Edmund Schlink (1903-1984) sur la doctrine de la prédestination chez Duns Scot et sa thèse d’habilitation sur le rapport entre analogie et révélation. Ordonné au ministère ecclésial en 1953, il a enseigné à la haute-école ecclésiale de Wuppertale (1958-1961), à la faculté de théologie de l’université de Mayence (1961-1967) et à la faculté de théologie protestante de l’université de Münich (1967-1994).

Mon intérêt personnel pour la théologie de Wolfhart Pannenberg vient de mon tout premier travail en théologie systématique (2013). J’avais étudié dans ce cadre ses développements au sujet de la résurrection de Jésus dans son Esquisse d’une christologie. J’ai particulièrement été frappé de sa manière d’articuler recherche historique et réflexion systématique sur la foi chrétienne – ici particulièrement sur la figure du Christ.

Les travaux de Pannenberg bénéficient d’une bonne réception dans l’espace germanophone et anglophone. Une première réception a eu lieu en francophonie dans les années 80 – notamment au-travers de la thèse de doctorat de Denis Müller et par la traduction de l’Esquisse d’une christologie en 1971. Mais sa réception francophone s’est faite principalement en milieu catholique, avec la traduction de plusieurs de ses textes aux éditions du Cerf à partir des années 2000.

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Sa théologie

La théologie de Pannenberg a pour centre de gravité l’affirmation suivante : Dieu s’est révélée dans l’histoire et cette révélation est au fondement de la foi. L’histoire est un processus total dont la fin est ouverte – cette ouverture étant constitutive de la liberté humaine. Mais la connaissance de cette ouverture et de la vie vers laquelle elle fait signe dépend de la révélation de Dieu dans la personne de Jésus de Nazareth. Par cette auto-révélation Dieu donne à connaître la finalité vers laquelle tend l’histoire : la communion de toute la création avec lui.

La vie du Jésus historique, ainsi que le contexte de la tradition juive du second temple (ses imaginaires, ses textes et ses pratiques), jouent un rôle important dans cette théologie et l’historicité de la résurrection prend une importance cruciale – plus dans le fait qu’il y ait eu un événement historique appelé « résurrection », plutôt que dans la connaissance exacte de cet événement. Mais l’histoire de l’Eglise et de la tradition chrétienne, ainsi que l’histoire du cosmos jouent également un rôle important, dans la mesure où elles participent toutes de cette même histoire de Dieu révélée en Jésus : une histoire où il apparaît que Dieu lui-même agit et oeuvre dans le monde. Ceci souligne pour Pannenberg la nécessite d’une discussion continue entre la théologie chrétienne et les autres sciences.

Intérêt et limites de sa Théologie Systématique

J’ai mis quelques années à lire progressivement les trois tomes de la Théologie Systématique de Pannenberg. Ce texte d’ampleur (2060 pages au total) donne un bon aperçu de la manière dont Pannenberg fait de la théologie, mais également de son ampleur. Le théologien hongrois Alexandre Ganoczy a publié en français un résumé accessible de cette oeuvre monumentale : Théologie en modernité (Cerf, 2018).

L’intérêt de la Théologie Systématique de Pannenberg

Panorama historique

En lisant la Théologie Systématique de Pannenberg, on lit également une histoire des doctrines. Pannenberg rend systématiquement compte de la manière dont une thématique doctrinale évolue au fil de l’histoire du christianisme, en soulignant à chaque fois les problèmes et les tensions qui caractérisent telle ou telle manière de prendre en charge la thématique. C’est en relation avec cette vision historique que Pannenberg formule ses propres propositions doctrinales.

Outre la pertinence de la démarche par rapport à la dimension historique de la doctrine, elle donne notamment accès en langue française à toute une série d’auteurs qui restent globalement inconnus : surtout ceux de l’orthodoxie protestante (luthérienne et réformée) – 16e et 17e siècle.

Dialogue avec les sciences

Tout du long de sa carrière, Pannenberg a tenu à soutenir le caractère rationnel de la foi chrétienne et de sa théologie. Ceci l’a mené à entretenir un dialogue constant avec la philosophie, l’histoire, les sciences humaines et les sciences de la nature. C’est aussi une exigence qu’il pose à l’égard de la réflexion systématique sur la vérité de Dieu et de la foi chrétienne.

Cette exigence se répercute de manière stimulante dans la Théologie Systématique. Ainsi la thématique de la création est traitée en relation avec des discussions en cosmologie et en physique. La réflexion théologique sur l’identité de l’être-humain se fait en discussion avec les domaines de l’anthropologie. À cela se rajoute que Pannenberg essaie également d’intégrer les données de la recherche historico-critique dans son utilisation des textes bibliques – même si cela ne réussit pas toujours.

Dialogue catholique-protestant

Le temps de son enseignement à Münich, Pannenberg a entretenu un dialogue constant avec la théologie catholique. Comme l’atteste son engagement dans le document sur les Anathèmes du XVIe siècle, il est animé par la perspective de l’unité manifeste de l’Eglise. Il travaille les tensions doctrinales – notamment par rapport aux thèmes de la justification par la foi ou de l’Eglise – sur l’arrière-plan de leur développement historique, ce qui lui permet à la fois d’identifier ce qui par le passé était cause de dissension, pourquoi cela ne l’est plus maintenant suite aux évolutions historiques des doctrines respectives et quels sont les raisons valables des dissensions actuelles.

Ancrage trinitaire

Plutôt que de renoncer au dogme trinitaire, sa théologie l’intègre dès le départ. Ceci implique que sa réflexion doctrinale est sous-tendue par le paradigme d’un mouvement auto-différenciation interne à la vie divine. Les questions relatives à l’identité – qu’il s’agisse de celle de Dieu, du monde ou de l’être humain – mettent ainsi systématiquement en jeu une dynamique relationnelle où unité et différence ne se nient pas, mais s’articulent l’une à l’autre. C’est une théologie de la communion qui n’efface pas les différences entre les créatures, entre les créatures et Dieu, parce qu’une dynamique de différenciation est à l’oeuvre en Dieu lui-même.

Les limites de la Théologie Systématique de Pannenberg

Conservatisme et patriarcat

Soulignons tout de suite ce qui, à mon sens, fait une limite de l’entreprise de Pannenberg : elle présente un certain conservatisme. Celui-ci est peut être dû à son dialogue avec la théologie catholique. Le conservatisme n’est pas en soi une mauvaise chose – et Pannenberg n’est pas conservateur par rapport à tous les points. Cependant son éthique familiale et sexuelle fonde sur une binarité des genres qui aujourd’hui semble vraiment difficile à suivre, tant elle paraît simpliste et bibliciste et qui soutient une discrimination éthique de l’homosexualité.

De plus, alors que par ailleurs il se prononce en faveur du ministère pastoral féminin, les références sollicitées dans cette Théologie Systématique sont d’une masculinité écrasante – Dorothee Sölle faisant ici figure d’exception. Le texte subit ici peut être le décalage de sa traduction. La théologie germanophone du 20e siècle reste encore très androcentrée et la théologie de Pannenberg écrite entre 1988 et 1993 l’illustre tout particulièrement.

Le langage et la forme

Pannenberg est un théologien germanophone. Pour le lectorat francophone, c’est déjà une difficulté. S’y rajoute que le langage de Pannenberg est complexe – bien qu’il ne soit pas non plus d’une complexité extrême en allemand – et la réflexion dense. Cela résulte en un texte qui n’est franchement pas agréable à lire. Autant il pourra fasciner ceux qui apprécient ce style, autant il en rebutera beaucoup.

Il s’agit peut être du revers d’une théologie qui tente de tenir un dialogue critique et intégratif avec autant de disciplines scientifiques différentes. Dans sa tentative de tenir tous ces éléments ensembles sans nier leur complexité respective, le langage atteint des degrés de convolution et d’abstraction assez élevés. Paradoxalement, ceci se réfléchit dans la tendance totalisante de la théologie de Pannenberg, où la totalité de la réalité pointe en direction d’une même communion – même si la différenciation est au coeur de cette communion, de même que l’ouverture sur l’avenir en est constitutive. Les proximités avec la philosophie de Hegel sont importantes ici.

Une dernière remarque formelle : si la Théologie Systématique se construit à partir d’un geste de problématisation historique, elle renonce à se structurer autour de thèses. Ceci a pour revers que l’on ne peut pas faire une lecture rapide des thèses de Pannenberg : on n’échappe pas à une plongée dans la densité du texte – même si les derniers paragraphes de chaque chapitre tendent à résumer à gros traits la position de Pannenberg sur le thème doctrinal qui y est abordé.

Bibliographie

Textes de W. Pannenberg traduits en Français

  • « La signification du christianisme dans la philosophie de Hegel », Archives de Philosophie, vol. 33 (4), 1970, pp. 755-786.
  • Esquisse d’une christologie, A. Liefooghe (trad.), Paris, Cerf, 1971 (rééd. 1999).
  • Avec Karl Lehmann, Les anathèmes du XVIe siècle sont-ils encore actuels? Les condamnations doctrinales du concile de Trente et des Réformateurs justifient-elles encore la division de nos Eglises ? Propositions soumises aux Eglises catholique, luthérienne et réformée en Allemagne, Pierre Jundt et Joseph Hoffmann (trads.), Paris, Cerf, 1989.
  • Métaphysique et idée de Dieu, Olivier Riaudel (trad.), Paris, Cerf, 2003.
  • Théologie Systématique, Olivier Riaudel (dir. trad.), 3 vols., Paris, Cerf, 2008/2010/2013.
  • Le symbole des apôtres. Commenté en réponse aux questions actuelles, Véronique Delhay (trad.), Paris, Cerf, 2012.
  • Théologie et royaume de Dieu, Denis Müller (trad.), Genève, Labor et Fides, 2021.

Textes en Français au sujet de W. Pannenberg

  • Denis Muller, Parole et Histoire. Dialogue avec Wolfhart Pannenberg, Genève, Labor et Fides, 1983.
  • Olivier Riaudel, Le monde comme histoire de Dieu. Foi et raison dans l’oeuvre de Wolfhart Pannenberg, Paris, Cerf, 2007.
  • Karsten Lehmkühler, « Le théologie Wolfhart Pannenberg dans l’histoire de la théologie protestante du 20e siècle », Revue des sciences religieuses, vol. 83 (3), 2008, pp. 411-427 (DOI).
  • Xavier Gué, La christologie de Wolfhart Pannenberg. De la modernité à la postmodernité, Vienne, Lit Verlag, 2016.
  • Alexandre Ganoczy, Théologie en modernité. Une introduction à la pensée de Wolfhart Pannenberg, Paris, Cerf, 2018.

Autres textes important de W. Pannenberg en allemand

  • (éd.), Offenbarung als Geschichte, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1961.
  • Anthropologie in theologischer Perspektive, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1983.
  • Beiträge zur systematischen Theologie, 3 vols., Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999/2000.

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