« La théologie est une fonction de l’Eglise »1. Cette définition bien connue de Karl Barth tient encore aujourd’hui, spécialement pour l’Eglise protestante. Il faut cependant lui rajouter une deuxième : la théologie n’appartient pas à l’Eglise. Le·a chrétien·ne ne peut pas ne pas faire de la théologie. Ielle ne la possède pas, et se doit de la reconnaître ailleurs – et donc sous d’autres formes que celles qu’ielle reconnait comme juste pour sa propre pratique2.
La théologie de l’Eglise protestante
J’ai été formé en théologie protestante et je me considère comme un théologien de l’Eglise réformée3. Dans ce contexte, on se réfère volontiers à ce qu’on appelle l’organon, c’est-à-dire l’ensemble de disciplines qui s’articulent autour de la Parole de Dieu, comme centre d’attention de la pratique théologique4. À partir de cette concentration sur la Parole de Dieu, l’Eglise protestante organise et formalise sa pratique de la théologie. Si cette forme tient pour la théologie des Eglises protestantes et des institutions qui lui sont affiliées, elle ne tient pas pour la théologie en général.
Nous avons aujourd’hui besoin d’une discussion ouverte et continue sur la théologie comme pratique dont la forme ne peut pas être déterminée exclusivement par une seule tradition. Cet exclusivité ecclésiale de la définition de la « théologie » était un enjeu politique et social important durant la période du confessionnalisme européen. Aujourd’hui ça ne l’est plus. C’est en revanche un enjeu que la théologie puisse être pratiquée de manière publique dans la société civile5.
À cause et pour la vie épanouie
Une manière de parler de cette pratique de la théologie qui n’appartient pas exclusivement à un groupe, serait la suivante : il y a théologie lorsque des personnes se préoccupent de la vie épanouie – ou plus classiquement, de la vie bonne – et que Dieu6 rentre en compte dans la compréhension et l’exploration de ce qu’est cette vie7.
Quelques compétences centrales
Cette compréhension de la théologie pourrait se caractériser par le développement de quatre compétences :
- Identifier les éléments de normativité qui interviennent dans les conceptions de la vie bonne et expliciter leur relation à Dieu.
- Former des pratiques qui invitent à l’exploration individuelle et collective de la vie bonne.
- Lire et analyser de manière critique les sources qui nourrissent les conceptions de la vie bonne.
- Engager sa propre personne dans la formation de la vie bonne.
L’organisation concrète de l’acquisition de ces compétences et des savoirs qui s’y rapportent implique le génie des traditions particulières, ainsi que la créativité des personnes engagées dans la recherche. Elle peut également avoir une forme académique et scientifique – et je pense même que c’est bon et important qu’elle se fasse de manière scientifique et académique.
À mon sens, la théologie protestante mène déjà au développement de ces compétences – ou peut le faire en tout cas. Dans la perspective de la foi au Dieu de Jésus-Christ, elle en organise l’acquisition et la mise en oeuvre en mettant la Parole de Dieu au centre de son attention. Au nom et à partir de ce centre, elle est capable de reconnaître que de la théologie se fait aussi ailleurs et autrement que de la manière dont elle l’a formalisée pour elle. À partir de et au nom de ce centre elle reconnait aussi qu’avec et pour d’autres, elle est prête à s’engager dans d’autres manières de faire de la théologie. « Tout ce que je désire, c’est qu’il change de conduite et qu’il vive! » (Ezéchiel 18,23)
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Pour d’autres articles sur cette thématique
- Le·la Théologien·ne
- Théologie et religion
- Faire de la théologie
- La théologie comme science de la lumière – voir en général le dossier Théologie sur Theologus.
- Karl Barth, Dogmatique, vol. 1, 1953, p. 1[↩]
- Je m’inspire ici de la médiation introductive sur la relation entre foi chrétienne et humanité chez Gérard Siegwalt, Dogmatique pour la catholicité évangélique, tome 1, 1986, pp. 7-12[↩]
- Ce qui est aussi mon métier maintenant[↩]
- Cet organon est traditionnellement composé des disciplines que sont l’exégèse de la Bible, l’histoire de l’Eglise, la dogmatique et la théologie pratique. Les appellations au sein de cet organon varient avec le temps et d’autres disciplines peuvent également s’y ajouter. Pour une des formulations classiques de cet organon, voir Friedrich D. E. Schleiermacher, Le statut de la théologie, 1994 – édité originellement en 1810 et 1830. Ce texte est l’une des références centrales pour la compréhension que la théologie protestante moderne a d’elle-même[↩]
- Ici je pense donc surtout aux sociétés occidentales qui vivent sous les régimes de la neutralité religieuse de l’Etat et la laïcité des institutions publiques[↩]
- On peut comprendre « Dieu » comme symbole de l’ultime, ou en lien avec l’idée de l’absolu. Cf. respectivement Paul Tillich, Théologie Systématique, vol. 2, 2003, pp. 75-86 et Wolfhart Pannenberg, Métaphysique et idée de Dieu, 2003, pp. 27-45[↩]
- Je m’inspire ici du projet What is a life worth living ? du Yale Centre for Faith and Culture, ainsi que de l’ouvrage de Miroslav Volf et Matthew Croasmun, For the Life of the World, 2019[↩]