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Dieu dans l’institution de soins

Pour une intervention auprès de l’aumônerie oecuménique du CHUV, j’ai essayé de proposer une compréhension du travail de l’aumônier en institution de soins, dans une perspective ecclésiale. Cette réflexion prolonge mon travail sur l’intégration institutionnelle de la « spiritualité ».

Eglise et institution de soins

En principe, dans la société vaudoise contemporaine, aucun système de la société (économie, culture, santé, science, droit, justice, politique, éducation, religion, etc.) ne peut prétendre avoir un pouvoir total sur les personnes membres de la société 1

Les concrétisations institutionnelles de ces différents systèmes sont donc dans une relation de collaboration et de négociation des limites de leurs domaines respectifs, dans le cadre donnée par l’Etat de droit. Dans ce contexte, la « spiritualité » n’est le bien propre d’aucun des systèmes de la société. Elle est transversale et se manifeste notamment dans la négociation des limites et des frontières entre ces systèmes.

L’aumônerie est typiquement un de ces lieux de collaboration et de négociation, entre le système « santé » et le sytème « religion » – le cadre plus général de l’institution de santé impliquant également d’autres systèmes, comme l’économie et la science par exemple.

Le sens théologique du « Spiritual Care »

Dans ma compréhension de l’aumônerie en institution de soins, celle-ci participe d’un « Spiritual Care » plus large. Je suis ici la définition proposée par Traugott Roser.

Le Spiritual Care est l’organisation du soucis (Sorge) commun de la participation individuelle du patient – de la patiente – à une vie qui, dans sa compréhension globale, a du sens.

Roser, 2017, p. 4632

En perspective théologique, il me semble possible de soutenir que le spiritual care ainsi compris participe du travail de l’Esprit-Saint en faveur d’une vie vécue en plénitude – celle que Dieu veut lorsqu’il crée et celle qui est promise lors de l’advenue finale du Royaume. L’organisation commune du spiritual care dans une institution de soins peut être considérée comme un signe en direction de ce travail de l’Esprit – comme peut l’être l’engagement dans le domaine de la santé en général.

Le rôle de l’acteurice ecclésial dans le « spiritual care »

La spécificité de l’acteurice ecclésial3 dans l’organisation commune du « spiritual care » est qu’ielle est envoyé par une communauté religieuse. Ielle représente le système « religion » dans l’institution de soins. Ici je suis également la définition de la tâche de l’acteurice ecclésiale donné par Traugott Roser.

La tâche de [l’acteur ecclésial] dans le spiritual care, pris dans son ensemble, est d’explorer les valences religieuses de l’espace liminal entre la mort et la vie et de les communiquer dans le système de santé, aussi et surtout vis-à-vis des groupes professionnels qui y travaillent et des disciplines qui y dominent – la médecine, l’économie et le droit

Roser, 2017, p. 467

La perspective de la « vie en plénitude » prend une tournure précise dans le témoignage ecclésial : d’une part, l’Eglise porte l’idéal d’une vie « rassasiée » (cf. Genèse 25,8). C’est une vie qui assume sa limite tout en affirmant une plénitude. D’autre part, dans la lumière de Pâques, l’acteurice ecclésiale se fait le témoins de la vie qui lutte pour son existence, la vie en crise. Ielle assume une solidarité avec celles et ceux à qui la « satiété » se refuse4.

Au-travers du rite, des actes symboliques, de l’accompagnement des personnes dans l’exploration de leur cohérence biographique, par le fait de se faire témoins de la « vie rassasiée » du-de la patient-e dans la délibération éthique, l’acteurice ecclésiale se fait témoins de la vie en plénitude dans l’institution de soins.

Un élément de plus mérite d’être souligné : l’Eglise qui envoie ses membres dans l’institution de soins, sait que l’acteurice ecclésial est toujours plus et autre chose qu’un-e représentant-e d’une communauté religieuse. L’action de l’acteurice ecclésial dans l’institution de soins a un effet transformateur tant sur le sytème « religion » que sur le système « santé ». Il fait la frontière entre les systèmes, la renégocie et lutte contre ses effets délétères.

Les défis de la présence de l’aumônerie en institution de soins

Je vois deux défis principaux.

Réussir à maintenir un flou relatif dans la compréhension de la « spiritualité ». D’une part, la définition de la « spiritualité » n’est pas réservée à un système de la société en particulier. D’autre part, la compréhension de la « spiritualité » porté par l’Eglise peut offrir des éléments d’orientation, notamment dans le rapport à la mort, mais elle reste elle-même fondamentalement ouverte – l’interprétation de l’accomplissement de la vie humaine sur la croix, une fois pour toute, doit encore se manifester pleinement dans la vie de chaque baptisé, et ce d’une manière qui ne peut être anticipée (cf. Jean 14,12)

Organiser le travail commun dans le flou relatif. En organisant le travail autour de la « spiritualité » au sein de l’institution, les différents groupes de collaborateurices manifestent une « spiritualité » sur le plan collectif. La définition des contours définitifs de ce travail, en tant qu’il manifeste une certaine « spiritualité », doit rester un lieu de négociation et de délibération collective, où la « spiritualité » des collaborateurices peut trouver une place pour s’exprimer – sans étouffer le différend qui demeure5. Bien compris, il ne s’agit pas d’un flou total – certaines règles sont posées et demandent à être reconnues par tous et toutes – mais une part de ce qu’il en est de la « spiritualité » échappe aux formes objectives, tant pour ce qui concerne le vécu personnel, que pour ce qui concerne l’articulation collective du travail autour de la « spiritualité ».

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  1. Initialement, je disais qu’il n’y avait pas d’institution totale. Ce serait peut être quelque chose à aborder de manière plus nuancée dans le cas des instituions de soins, en reprenant la notion développée par Erving Goffman.[]
  2. Traugott Roser, Spiritual Care. Der Beitrag von Seelsorge zum Gesundheitswesen, Stuttgart, W. Kohlhammer, 20172.[]
  3. Traditionnellement on parle ici d’aumônier ou de Seelsorger:in en Allemand, mais de nouveaux titres apparaissent aujourd’hui, comme celui d’accompagnant·atrice spirituel·le[]
  4. Concrètement, l’acteurice ecclésial peut tenir une interprétation des états de crise du patient, de la patiente, sans avoir à les considérer comme l’indice d’une pathologie[]
  5. Initialement je voulais parler de la définition des contours « exacts » de ce travail. Ceci est apparu comme problématique lors de la présentation à l’équipe du CHUV, parce qu’ouvrant un champ de contestation trop large : peut-on remettre en questions les règles de comportements que l’hôpital demande à chacune et à chacun de signer au moment d’être employée? À plus grande échelle, peut-on contester les règles posées par l’Etat de droit ? Il me semble que la liberté évangélique permet de se retirer d’engagements dont on estime, à la lumière de l’Evangile, qu’ils nous sont inacceptables, mais qu’elle ne permet pas per se de contester l’autorité des règles posées par une institution dans le domaine qui la concerne – ou seulement dans les limites de la contestation que l’institution permet par ailleurs, pour sa propre dynamique évolutive. Ce serait un sujet à creuser plus loin.[]

2 réflexions sur “Dieu dans l’institution de soins”

  1. Cher Elio,

    Merci pour ce texte lu avec attention et grand intérêt.
    Dans l’EREN, suite à un projet de partenariat avec un EMS du haut du canton, une complexité s’est imposée à l’acteur ecclésial (pour reprendre ta terminologie) du projet, et par contagion à l’ensemble du secteur: quelle est la différence entre un aumônier et un accompagnant spirituel?
    Le contexte voulant, arguant de la laïcité, que l’EMS en question, au demeurant très acquis au projet, souhaitait soutenir plutôt la partie « accompagnement spirituel » que la partie « aumônerie ». Une définition s’imposait.
    J’ai fini par arbitrer (à l’interne comme à l’externe) avec la définition suivante qui clarifie et néanmoins maintient le flou dont tu parles : Un-e aumônier-ère est un-e accompagnant-e spirituel-le envoyé-e au nom d’une Eglise au sein d’une institution.
    Cette définition simple et pragmatique (enfin, je crois) à l’avantage de ne définir ni le ministère, ni les critères, ni les tâches. Aucun véritable distinguo n’en découle, les mots-clés étant « Envoi »,  » Eglise » et  » Institution ».

    L’EMS a fini par proposer un « pack commun » et financer le tout en large part, mais bien des enjeux ont pu être ainsi discutés.
    Bien amicalement et au plaisir de te lire prochainement,

    Yves

    1. Cher Yves,

      Merci pour ce retour et le partage de cette expérience / situation.
      Je pense effectivement qu’à court terme, c’est effectivement la solution pragmatique qui s’impose. En prenant un peu du recul, il faudrait voir comment cela redéfinit la conception de l’aumônerie / Seelsorge par rapport à celle que nous recevons habituellement – j’ai encore de la peine à trier correctement les enjeux, mais il me semble que cela a un impact important sur la compréhension de la relation entre Eglise et sphère civile et sur l’auto-compréhension de l’Eglise.

      Bref : pas toutes les conceptions de l’église, de sa mission, de son rôle et de sa relation à la société civile, seront compatibles avec ce geste pragmatique et la conception de l’aumônerie qu’il développe. Il faudrait être prêt à débattre et à clarifier les positions en présence.

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