Table des matières
Récemment j’ai repris l’écriture d’un article sur le rapport entre corps, temple et environnement. À cette occasion j’ai pris le temps de consulter un ouvrage de la théologienne Margaret Barker. On me l’a conseillé à la suite d’une intervention lors d’un colloque doctoral.
J’ai donc pu prendre le temps de lire quelques chapitres de son ouvrage Creation. A Biblical Vision for the Environment (Londres – New York, 2010).
Dans ce qui suit je souhaite partager quelques informations à ce sujet.
L’autrice et la temple theology
Margaret Barker
Margaret Barker est une théologienne anglaise méthodiste, spécialiste du christianisme ancien, du judaïsme ancien et des textes de l’ancien testament.
Elle présente un site personnel où l’on peut trouver des informations sur ses différents ouvrages et sur son approche.
Elle se distingue pour avoir initiée ce que l’on appelle la Temple Theology. Cette approche me semble relativement originale dans le milieu des sciences bibliques et de la recherche sur le christianisme et le judaïsme antique.
Dans le canon des disciplines de la théologie, Margaret Barker se situe dans la case « Ancien Testament ». Mais son approche détonne un peu des études usuelles de l’Ancien Testament – de la Bible Hébraïque. Notamment par rapport à ce que j’ai connu durant mes études.
L’univers de sens des premiers chrétiens
Pour elle, la lecture des textes qui composent l’ancien testament est nécessaire, parce qu’ils sont essentiels à l’identité de Jésus lui-même. Ces textes l’ont formé. Il connait ces textes et ces textes sont connus des premiers chrétiens–nes. Et c’est avant tout dans une perspective « Jésus-centrée » qu’elle va lire les textes de l’ancien testament, mais aussi ceux de la littérature juive et chrétienne antique.
Attention : il ne s’agit pas de lire les textes de l’Ancien Testament « à la lumière » du Nouveau. Dans sa perspective, c’est plutôt qu’une connaissance de l’univers de sens des premiers chrétiens–nes et de Jésus implique une connaissance de l’univers de sens dont témoigne l’ensemble des textes qui composent la littérature juive antique – dont fait partie ce que les chrétiens reçoivent comme « Ancien Testament ».
En conséquence, il ne faut pas uniquement se cantonner aux textes canonisés plus tardivement, mais à l’ensemble des textes qui étaient déterminant pour la vision du monde du judaïsme du second temple et les différents groupes qui le compose : notamment le judaïsme rabbinique naissant et les premiers chrétiens-nes. Elle va donc mettre en lumière les textes du canon chrétien avec des textes de la littérature dite « inter-testamentaire » (tels le livre des Jubilés, Enoch, etc.), les textes apocryphes, les textes deutéro-canoniques, les textes récupérés à Qumran, les targum ou encore l’oeuvre de Philon d’Alexandrie.
La théologie du temple
Son hypothèse centrale est que la vision du monde des premiers chrétiens-nes, ainsi que celle du judaïsme antique, est fortement influencée par un courant théologique qui met le temple au centre.
Pour parler jargon, c’est de dire que « P » (courant sacerdotal) a une place beaucoup plus importante que ce qu’on lui accorde habituellement dans la construction de la vision du monde du christianisme ancien. Elle va jusqu’à dire que le christianisme ancien se situe dans le prolongement de la religiosité portée par « P ».
Il s’agirait d’une ligne théologique qui prend ses racines encore dans le premier temple – détruit par les babyloniens en 586 av. C’est une ligne théologique alternative à celle défendue par la littérature deutéronomiste et à sa vision de l’histoire.
Pour ce mouvement, le temple est au centre de tout. Il structure une cosmologie complexe et sophistiquée. Il met en lien pratiques rituelles, expériences mystiques et sagesse. Le temple représente le cosmos. En son centre se trouve le saint des saints et en son sein : Dieu et l’origine constamment réactualisée de toutes choses.
Cette ligne ne se serait pas éteinte avec la destruction du premier temple, mais persévère et continue à être influente jusque dans les premières périodes de la communauté chrétienne.
Création – une vision biblique pour l’environnement
L’ouvrage de Barker de 2010 a pour thème la Création. Je ne l’ai pas encore lu en entier, mais il y a quelques éléments que j’ai trouvé particulièrement stimulant.
Barker invite à mettre les « anges » en analogie avec ce que sont pour nous les « lois de la nature ». Ils sont les « agents » du Dieu créateur dans sa Création et sa présence dans la création dans son ensemble – cette lecture irait assez bien de paire avec les développements actuels sur la « cour céleste » de YHWH. Jubilés 2,2 est ici un témoins important, en parallèle avec Gn 2,1 (cf. Creation, p. 75).
Le Saint des saints désigne dans le temple non seulement la présence de Dieu, mais aussi le commencement de toute chose – ce qu’elle appelle « Day One ». Il y aurait dans la compréhension du temple déjà une articulation complexe de l’unité et de la différence en Dieu.
Ses développements sont très décomplexés. Elle met en résonance tant les textes antiques entre eux qu’avec des écrits théologiques ultérieurs des traditions juive et chrétienne. Vu qu’au centre du texte se trouve la thématique écologique, elle va aussi mettre en résonance ce qu’elle observe à partir du paradigme de la théologie du temple avec les problématiques environnementales. Elle convoque tant des scientifiques que des philosophes à son propre texte.
Cette mise en résonance n’est pas naïve : Margaret Barker a bien conscience de la distance historique. Le but visé est que la connaissance et l’étude de cette cosmologie antique inspire notre propre manière de donner du sens à ce que nous faisons et vivons aujourd’hui. Il y a quelque chose d’une joie créatrice dans ces textes
Un bout d’évaluation
Je garde plusieurs points positifs de cette lecture – que je vais poursuivre.
Elle m’invite à renouveler mon regard sur un certain nombre de textes qui restent parfois obscurs (Apocalypse, construction du tabernacle, certaines visions prophétiques, certaines expressions). La thématique du « temple » est finalement peu investie dans la théologie protestante : elle invite à l’être plus.
Elle aiguise aussi ma curiosité à l’égard de tout ce corpus de textes antiques que je ne connais pas si bien. Ils permettent effectivement de faire sens de toute une série d’éléments de la théologie chrétienne antiques et du nouveau testament.
J’apprécie aussi tout particulièrement le caractère décomplexé de son écriture.
J’ai aussi quelques réserves.
Dans l’ensemble ça va un peu vite. Beaucoup de choses sont mises en lien les unes avec les autres. Je me dis qu’il faudrait plus de temps pour souligner la pertinence des parallèles qu’elle établit. Autant c’est stimulant, autant je crains le risque de sur-interprétation.
Je ne suis pas expert de son domaine. J’ai donc moi-même de la peine à juger si elle est fantasque ou non. Cela étant, je n’ai pas trouvé de polémiques à son sujet sur internet. Je me dis du coup que ça doit bien être valable jusqu’à un certain point.
Dans sa réflexion, la réforme de Josias prend beaucoup de place comme un moment de rupture. Je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire, ni fructueux de vouloir remonter jusqu’à cette période pour la réflexion sur une « temple theology » – j’ai l’impression que toute reconstruction historique à ce stade serait aventureuse.
Son recentrage sur le Jésus historique me laisse perplexe. D’un côté elle met vraiment en relief l’importance de l’étude des textes de l’antiquité et de la tradition juive pour la compréhension de l’univers de sens du christianisme antique. Par contre j’ai plus de peine avec la manière de comprendre le rôle du Jésus historique. Par exemple, en discutant de la théologie naturelle contemporaine elle dit la chose suivante :
Dans la quête d’une théologie de la création biblique, nous devons retourner aux sources, et pour les chrétiens cela veut dire retourner à la Bible, comme elle était au temps de Jésus et telle qu’elle était comprise à ce moment.
Creation, 2010 (p. 13)
Même si je suis contre toute compréhension trop rigide du canon, je pense que l’existence du canon a son sens. Il structure la construction d’une tradition et le processus créatif de transmission. C’est le Christ vivant aujourd’hui qui me converti et pas uniquement ma connaissance historique de Jésus de Nazareth – bien que ce ne soit pas délié. Dans cette vision, le moment du canon a de l’importance, même si elle n’est pas absolue.
Et dernier point : elle veut souligner les rapports entre platonisme et textes bibliques. Se faisant elle reprend l’idée que les pythagoriciens auraient été inspirés par la culture du premier temple… cela me laisse vraiment pour le moins perplexe ! (mais à nouveau, en soi je ne suis pas compétent pour juger correctement de ces conjectures).
Je serai très intéressé d’avoir l’avis de biblistes au sujet des travaux de Margaret Barker. N’hésitez pas à commenter!
Pour lire un article connexe voir :
Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.