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Sur le fil de la prière

Prédication prononcée le 15.06.2023 au temple réformé de Prangins

Lectures

Lettre aux Colossiens 1,24-29

Maintenant, je me réjouis dans les passions qui sont liées à vous et je comblerai ce qui manque des souffrances du Christ dans ma chair en faveur de son corps, l’Église,24 Νῦν χαίρω ἐν τοῖς παθήμασιν ὑπὲρ ὑμῶν καὶ ἀνταναπληρῶ τὰ ὑστερήματα τῶν θλίψεων τοῦ Χριστοῦ ἐν τῇ σαρκί μου ὑπὲρ τοῦ σώματος αὐτοῦ, ὅ ἐστιν ἡ ἐκκλησία,
dont je suis devenu le serviteur selon le mandat que Dieu m’a donné vous concernant : annoncer pleinement la parole de Dieu,25 ἧς ἐγενόμην ἐγὼ διάκονος κατὰ τὴν οἰκονομίαν τοῦ θεοῦ τὴν δοθεῖσάν μοι εἰς ὑμᾶς πληρῶσαι τὸν λόγον τοῦ θεοῦ,
mystère caché depuis les siècles et les générations – qui a été manifesté à ses saints,26 τὸ μυστήριον τὸ ἀποκεκρυμμένον ἀπὸ τῶν αἰώνων καὶ ἀπὸ τῶν γενεῶν– νῦν δὲ ἐφανερώθη τοῖς ἁγίοις αὐτοῦ,
celles et ceux à qui Dieu veut faire connaître la richesse de la gloire de ce mystère parmi les nations : Jésus Christ en vous, l’espérance de la gloire ;  27 οἷς ἠθέλησεν ὁ θεὸς γνωρίσαι τί τὸ πλοῦτος τῆς δόξης τοῦ μυστηρίου τούτου ἐν τοῖς ἔθνεσιν, ὅ ἐστιν Χριστὸς ἐν ὑμῖν, ἡ ἐλπὶς τῆς δόξης·
ce que nous annonçons, avertissant et enseignant chaque personne en toute sagesse, afin que nous présentions chaque personne parfaite en Christ ;  28 ὃν ἡμεῖς καταγγέλλομεν νουθετοῦντες πάντα ἄνθρωπον καὶ διδάσκοντες πάντα ἄνθρωπον ἐν πάσῃ σοφίᾳ, ἵνα παραστήσωμεν πάντα ἄνθρωπον τέλειον ἐν Χριστῷ·  
C’est à cela que je travaille, luttant avec son énergie qui se trouve en moi, avec puissance.29 εἰς ὃ καὶ κοπιῶ ἀγωνιζόμενος κατὰ τὴν ἐνέργειαν αὐτοῦ τὴν ἐνεργουμένην ἐν ἐμοὶ ἐν δυνάμει.
Colossiens 1,24-29 (traduction personnelle selon Nestlé-Aland 28e éd.)

Evangile selon Matthieu 10,16-20

Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez prudents comme des serpents et purs comme des colombes.16 Ἰδοὺ ἐγὼ ἀποστέλλω ὑμᾶς ὡς πρόβατα ἐν μέσῳ λύκων· γίνεσθε οὖν φρόνιμοι ὡς οἱ ὄφεις καὶ ἀκέραιοι ὡς αἱ περιστεραί.
Prenez garde ! Car des personnes vous livreront aux tribunaux et vous frapperont à coup de fouet dans leurs synagogues.17 Προσέχετε δὲ ἀπὸ τῶν ἀνθρώπων· παραδώσουσιν γὰρ ὑμᾶς εἰς συνέδρια καὶ ἐν ταῖς συναγωγαῖς αὐτῶν μαστιγώσουσιν ὑμᾶς·
Vous serez amenés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi, pour rendre témoignage devant eux et devant les nations.18 καὶ ἐπὶ ἡγεμόνας δὲ καὶ βασιλεῖς ἀχθήσεσθε ἕνεκεν ἐμοῦ εἰς μαρτύριον αὐτοῖς καὶ τοῖς ἔθνεσιν.
Lorsque l’on vous livrera, ne vous inquiétez pas au sujet de ce que vous direz et de comment vous le direz ; car ce que vous devrez dire vous sera donné à ce moment.19 ὅταν δὲ παραδῶσιν ὑμᾶς, μὴ μεριμνήσητε πῶς ἢ τί λαλήσητε· δοθήσεται γὰρ ὑμῖν ἐν ἐκείνῃ τῇ ὥρᾳ τί λαλήσητε·
Car ce ne sera pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit du Père qui parlera en vous. 20 οὐ γὰρ ὑμεῖς ἐστε οἱ λαλοῦντες ἀλλὰ τὸ πνεῦμα τοῦ πατρὸς ὑμῶν τὸ λαλοῦν ἐν ὑμῖν.
Evangile selon Matthieu 10,16-20 (traduction personnelle selon Nestlé-Aland 28e éd.)

Précaires : définition

Situations

Tenir tout juste le fil des frais quotidiens – à la fin du mois, payer ses factures, mais sans avoir pu mettre de côté. Je fais déjà énormément d’efforts, je coupe là où je peux dans les loisirs, dans la qualité de mon alimentation, etc. je fais un job supplémentaire pour pouvoir payer les abonnements de transports de mes enfants. Mais les finances de notre famille sont sur le point de bascule : s’il y a un coup dure, tout tombe. Un frais médical extraordinaire qu’il faut pouvoir assurer et tout d’un coup ce sont les assurances santé qu’on ne peut plus payer. Je reçois pourtant des soutiens, je profite des épiceries de Caritas.

Je ne peux plus assumer mon logement : je sais que je n’en trouverai pas en ville, donc il faudra que j’aille loin, là où le loyer est abordable. Mais je ne peux pas me payer un abonnement de train. Si le prix de l’essence augmente…

Je n’ose plus aller à l’aide sociale. J’ai honte. Au téléphone je peux entendre le jugement de la personne qui suit mon dossier. Je préfère ne plus solliciter les aide, ces aides auquel j’aurais pourtant droit – il faudrait que je sois patient, les délais sont longs. Mais c’est demain que la facture doit être payée.

Racine latine

Un mot Prex. C’est le mot latin pour prier. Il est à la racine du mot precarius : ce qui ne peut être obtenu que par la prière. Précarité : vivre sur le point de bascule, sans assurance – si ce n’est celle de la prière. Et avec le risque que la seule réponse que vous obteniez à la suite de votre demande soit : vous êtes prié de revenir plus tard, de rappeler plus tard. Je vous prie de bien vouloir sortir.  

 Du point de vue juridique, est précaire ce qui est révocable : ce qui ne tient que parce qu’on le tolère – le droit nous autorise à écarter du revers de la main ce qui est précaire.

La précarité : se trouver sur le point de bascule, se trouver sur le fil du rasoir, ou plutôt : sur le fil de la prière.

La précarité des disciples

Les conditions dans lesquelles Jésus envoie ses disciples sont de l’ordre de la précarité. Pour exercer leur mission, leur mandat, ils ne peuvent prendre avec eux ni bâton pour se défendre, ni argent pour assurer leur sécurité, leur pitance, un abris – et leurs chemins les mèneront par monts et par vaux, entre villes et hameaux, loin de la sécurité du groupe et de leur maison.

Exposé au monde – exposé surtout à son rejet, à sa violence.

Le maître envoie ses disciples à l’abattoir et leur refuse de quoi se défendre. Cela va jusqu’à l’extrême dans le passage que nous avons entendu : face à l’inquisitoire des autorités, pas le droit à un avocat, pas de préparation, pas d’artifices rhétorique, rien hormis cette attente que l’Esprit agisse – face au monde qui le questionne, le disciple ou la disciple, tout disciple, n’a d’autres choix que de se faire prophète, d’espérer que Dieu lui accordera de dire une parole juste.

Leur existence repose sur le fil d’une prière.

Avais-je la moindre idée de ce que j’ai fait au moment de confirmer ma foi ? Est-ce que quelqu’un m’avait prévenu de ça ?

La mission

Jésus parcourait toutes les villes et les villages ; il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la bonne nouvelle du royaume et guérissait toutes les maladies et toutes les infirmités.

Evangile selon Matthieu 9,35

         Celles et ceux qui se rassemblent autour de Jésus, ses disciples, ce sont des personnes ont reçu. Ils et elles ont goûté au Royaume : pécheurs, pauvres, parias, malfaiteurs, reclus de la société, des personnes qui avaient pour ainsi dire le couteau sous la gorge, voir pour lesquelles la société avait déjà tranché. Jésus leur a redonné une place dans la communauté. Il les a fait basculer vers une vie plus pleine – la précarité n’a pas disparu, mais elle n’est plus une source d’oppression, de mort, elle ne place plus de barrière entre Dieu et nous.

La puissance de mort liée à la précarité s’est effacé face à la puissance de vie qui émane des paroles et des gestes du Nazaréen. À celles et ceux dont la vie repose sur le fil de la prière, Jésus donne une réponse concrète, positive, bouleversant le status quo social. Et il peut le faire car lui-même ne se situe pas ailleurs que sur ce fil de la prière – fil tendu vers Dieu. Jésus permet à celles et ceux qu’il rencontre de se tenir vivant sur ce fil. Un fil aussi spirituel qu’il est matériel : suite à la bascule, ce sont aussi les conditions de vie qui changent, radicalement. Là où pour certains il était impossible de participer à la vie de la communauté (du fait d’avoir péché, du fait d’être possédé, du fait du métier qu’il ou elle exercce, etc.) à cet endroit, Jésus tend la main, libère, redonne une place.

Le maître n’attend pas autre chose de ses disciples.

Annoncez l’Évangile en disant : “Le royaume des cieux est tout proche“. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons.

Evangile selon Matthieu 10,7-8

Être disciple du Christ, c’est mettre sa vie au service du même mouvement que celui qui anime Jésus : un mouvement où la précarité n’est plus une menace qui pèse sur les épaules des plus petits, mais la condition fondamentale de notre existence commune, les uns avec les autres et avec Dieu – le fil de la prière qui trouve une réponse positive, de vie et non un refus mortel.

Être récusable

Mais cette vie sur le fil de la prière reste ce qu’elle est : précaire. Donc contestable, récusable : elle ne dispose pas d’appui pour s’imposer à celui ou celle qui refuse les conséquences de cette réponse positive face à la précarité, réponse positive qui par le pardon, la guérison, la réhabilitation sociale, l’accueil, prend parti pour la vie d’autrui – il n’y a pas d’appui pour tenir, contraindre, celui qui refuse l’image de Dieu que porte Jésus. Le fait d’être récusable, peut nous mener à la mort. C’est ce qui s’est passé avec Jésus : son propre fil l’a mené à la croix. Le dernier point de bascule possible en ce monde.

Mais dans la foi de Jésus, nous sommes tournés vers un Dieu qui, lorsqu’il répond – lorsqu’on lui laisse la réponse – fait pencher la bascule du côté de la vie et non de la mort. Il invite à la fête celui ou celle qui se trouve en dehors de la ville, en dehors de l’ordre, en dehors de toutes les limites que nous maintenons pour notre propre survie face à la précarité – il vient chercher celui ou celle qui est passé du côté « mort » de la précarité. Il donne à boire et à manger à celui ou celle qui en a besoin. Lui ouvre les portes de sa maison.

Vivre sur le fil de la précarité

Être disciple de Jésus, s’est se tenir sur le fil avec lui, fil tendu entre Dieu et lui, et moi, et toi, et vous, et tous les autres. La foi c’est affirmer une confiance, même dans la précarité, peut-être même jusqu’à consentir à la précarité.

Et ma foi ne peut qu’être confrontée par celles et ceux qui refusent cette précarité – c’est-à-dire : qui refuse le fil de la prière. Et face à ce refus, je n’ai que mes paroles et la congruence de celles-ci avec mes actes. Je n’ai rien de plus qui se tienne entre moi et celui ou celle qui m’accuse, m’interroge, me menace, je n’ai rien de plus que cette prière, que ce fil de la prière – je n’ai rien de plus que la parole et l’espérance que l’Esprit tournera en définitive cette situation à la faveur de Dieu.

Oui, il faut mettre la prière au centre de ce que nous faisons : demander à l’Esprit que notre action, que nos mots, notre témoignage fasse pencher la bascule  de la précarité vers le Royaume de Dieu – sachant qu’il n’est pas de notre ressort de l’imposer, qu’il pourra toujours être récusé. Ma foi, c’est que c’est bien là que je peux et dois me trouver : sur le fil de la prière avec les autres, avec Dieu.

Amen


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