sketch pad and coloring pens

Penser – Dessiner – Réveler. Echo personnel

Je m’intéresse à des formes d’animations théologiques qui sollicitent d’autres modes de la communication que le discours ou l’écriture. Varier les modes de communication me paraît important notamment à une période qui appelle à la collectivisation du travail en théologie.

Dans ce cadre je me suis notamment intéressé au rôle que peuvent jouer les arts visuels (dessein, peinture, collage, etc.). Etienne Guilloud m’a conseillé un livre d’Etienne Appart, accompagnant par le dessin, autrefois actif dans le monde du management. J’avais déjà croisé Etienne Appert lors de la lecture d’un livre/BD sur la gouvernance partagée (Holacracy), mais ici c’est au livre suivant que je m’intéresse : Penser – Dessiner – Révéler, éditions Eyrolles, 2018. Dans cet article j’en propose une brève présentation.

Accompagner par le dessin

Cet ouvrage est une introduction à une nouvelle profession : l’accompagnement par le dessin. Il présente à la fois la raison d’être de cette nouvelle profession (partie 1), en présente les principaux outils et pratiques (partie 2-3), ainsi que les perspectives de développements de la profession (partie 4). Le tout lie évidement texte et illustration – et c’est vachement chouette à lire ! Je recommande simplement d’aller feuilleter des extraits : vous pouvez vous faire une idée sur la page internet dédiée à ce livre sur le site d’Etienne Appert.

L’accompagnement par le dessin s’organise autour de trois axes principaux : (i) l’accompagnement – l’accent est mis ici sur les compétences relationnelles et une vision systémique des situations. Appert met également en évidence le rôle important que peut prendre la symbolisation dans l’accompagnement ; (ii) la création artistique – cet axe valorise la créativité et l’intuition. Il met notamment en valeur le rôle que peut prendre le dessein d’humour dans une dynamique de collective ; (iii) la modélisation – c’est sans doute la partie qui sollicite le plus l’intellect : il s’agit de produire des abstractions claires, synthétiques pour éclairer une situation donnée. (cf. p. 197).

Le dessinateur n’est pas uniquement celui qui a les compétences pour illustrer un produit, une fois qu’il a été pensé, mais il propose une pratique et des compétences qui peuvent impacter positivement le développement de l’activité elle-même (conceptualisation, stratégie, analyse, etc.). Dans ce livre Etienne Appert propose toute une série de portrait de professionnel de l’accompagnement par le dessin (11 portraits) qui sont de bon exemples de ce à quoi peut ressembler cette nouvelle profession. Je redonne ici les liens vers les sites de ces personnes ou de leurs projets :

Il propose aussi une boîte à outil de l’accompagnement par le dessin, sous forme de fiches. J’en redonne juste les titres ici – si cela vous intéresse, je vous recommande de vous procurer l’ouvrage.

  • Le gribouillage
  • Le Sketchnote
  • Le dessin méditatif
  • Le coaching visuel
  • Le scribing
  • La facilitation graphique
  • L’imprographie
  • La révélation graphique
  • La graphic analyse
  • Les cartes mentales
  • La Big Map
  • Le dessein d’humour
  • L’infographie dessinée
  • La performance artistique
  • La capitalisation des connaissances dessinées
  • Le storytelling dessiné
  • Le reportage dessiné
  • Le story-board de projet
  • L’innovation par le dessin
  • Le dessinateur mystère
  • Le dessin de proximité

Il donne également une liste de pratiques exploratoires qui soulignent l’axe « accompagnement ».

  • Le sketchnote de connaissance de soi
  • Le coaching par le dessin
  • L’exploration dessinée des représentations mentales
  • La graphic analyse étendue

Culturellement ce livre est calibré pour le monde de l’entreprise et des associations – les formes d’organisation sans doute les plus répandues et qui se développent le plus aujourd’hui.

Quelques perspectives

Le renouvellement de la pensée par le dessin

L’accompagnement par le dessin mène à mélanger les différents types d’intelligence et de modes de connaissance. Il correspond bien aux conditions contemporaines de la communication qui ne s’appuie pas uniquement sur l’abstraction ou la rhétorique verbale – texte, image et son sont constamment entrelacées pour solliciter différents aspects de l’intelligence (abstraction, émotion, synthèse, analyse, symbolisation).

Le dessin aide à réfléchir. Il externalise la pensée. Il en fait une matière concrète qui peut être modelée, malaxée, travaillée. Il rend palpables les concepts et leurs articulations. Apprendre à dessiner avec les outils issus, non seulement des arts dessinés, mais aussi de la pensée visuelle, c’est entraîner son cerveau à la réflexion intégrative, paradoxale, synthétique et globale. […] La vocation centrale du dessin n’est pas de vulgariser les idées en aval, ou de décorer les supports de communication finalisés, mais en amont, d’accompagner la pensée en mouvement, dans ces moments d’émergence où les cerveaux bouillonnent !

Penser – Dessiner – Révéler, pp. 66-67.

C’est sans doute pour cela que j’apprécie autant le travail qui est fait par le BibleProject ou la chaine de vulgarisation scientifique Kurzgesagt. Ces projets cross-média illustrent à mon sens la pluvalue du visuel pour accompagner la pensée – même si on est pas ici à strictement parler dans l’accompagnement par le dessin.

En théologie ?

Je vois plusieurs pistes du rôle que peux jouer l’accompagnement par le dessin en théologie.

Dessiner pour accompagner sa propre réflexion. Mon langage graphique est en général assez pauvre – je me limite en général à des listes à puces (Bulletpoint) et j’ai de la peine à faire de cartes mentales (Mindmap) de qualité. En même temps je suis assez à l’aise dans l’abstraction. Accompagner ma réflexion par le dessin me permettrait peut-être d’atteindre une plus grande fluidité – notamment saisir les enjeux d’une thématique plus rapidement que par le raisonnement écrit. D’autre part, le dessin me forcerait à faire des choix que je ne me sens pas obligé de faire au niveau de l’abstraction. J’ai l’impression que ma pensée fonctionne comme un panorama d’intuitions, qui saisit les relations générales, mais qui peine à avoir une clarté analytique – ce qui peut rendre mon propos passablement confus. Le dessin m’amènerait à gagner en précision dans la réflexion, sans pour autant perdre le caractère intuitif et panoramique de mon mode de pensée habituel. Ceci aura forcément un impact dans la communication.

Une plus grande inclusivité par la valorisation du dessin. J’émets ici une hypothèse : valoriser l’accompagnement de la pensée par le dessin, c’est donner un accès plus grand à la pratique théologique. Traditionnellement, la théologie valorise surtout les performances argumentatives orales et écrites. L’accompagnement par le dessin ne nie pas l’argumentation et la logique (cf. les compétences de modélisation), mais elle lui permet de se déployer par d’autres biais que le langage verbal. Valoriser le dessin ce serait donc permettre à plus de monde de participer de manière légitime à la production théologique. Ce serait aussi reconnaître et valoriser le charisme du dessinateur et potentiellement ouvrir sur un nouveau profil de théologien·ne.

Une collectivisation du travail théologique. Ici il s’agit d’une orientation personnelle. L’éclatement actuel des disciplines de la théologie appelle à développer des activités et des pratiques qui en re-déploie le caractère collectif. Le simple fait de consentir à se faire accompagner lors d’une activité théologique est déjà un pas en direction de cette collectivisation. L’accompagnement par le dessin apporterait ici des outils qui offriraient des synthèses expressives de ce travail collectif (lors d’un colloque ou d’un séminaire, mais aussi dans des équipes de recherche/groupe de travail). Il offrirait aussi un miroir sur l’activité collective qui permettrait de révéler des tensions, des angles morts ou des non-dits, non seulement au niveau du contenu de l’activité (la « théologie »), mais aussi au niveau de la dynamique collective – et ce sur différents plans : cognitifs, psycho-affectifs, relationnels, axiologiques (valeurs), etc. L’accompagnement par le dessin informerait les acteurices et leur permet de participer de manière plus consciente à l’orientation de l’activité.

Un accompagnement de l’organisation. L’accompagnement par le dessin tel que le propose Etienne Appert se développe surtout dans le monde de l’entreprise et des associations. Elles illustrent le type sociologique de l’organisation. Les facultés, hautes-écoles, instituts, séminaires, etc. rentrent aujourd’hui aussi dans ce paradigme. Elles sont appelées à former de manière consciente et responsable leur activité, et donc à donner forme à leur direction (ou gouvernance) – la tendance irait aujourd’hui à une collectivisation et une horizontalisation de cette direction, dans une perspective systémique. Les défis auxquels répond l’accompagnement par le dessin (modélisation des stratégies de développement, synthèse de l’information, facilitation de la communication, révélation des problèmes et tensions, etc.) dans le monde des entreprises concernent aussi les milieux de la théologie.

Avec Theologus, nous avons expérimenté quelques fois le dessin comme outil de travail collectif. On en trouve des traces dans l’article Exprimer sa communauté par le dessin. C’est quelque chose que j’aimerais expérimenter plus loin. Je vais peut-être aussi commettre un article sur la relation entre pensée visuelle et théologie.

Paradoxe

Je terminerai avec un paradoxe : cet article veut valoriser l’accompagnement par le dessin. Pourtant il n’en fait aucun usage. C’est pour l’instant une de mes limites – et je ne sais pas encore à quel point je vais pouvoir la travailler, notamment s’il s’agit d’accompagner mes productions sur ce blog. Dans mon parcours j’ai plutôt mis l’accent sur des compétences musicales, pédagogiques, systémiques et relationnelles.

Ceci va m’encourager plutôt à solliciter des personnes ayant les compétences pour l’accompagnement par le dessin – ou souhaitant développer ces compétences – plutôt qu’à moi-même développer ces compétences. Cela ne m’empêchera pas d’essayer de gribouiller un peu plus.


Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.

1 réflexion sur “Penser – Dessiner – Réveler. Echo personnel”

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