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Théologie de la vie épanouie

La fin de la semaine passée, dans le cadre du Collegium Emmaus j’ai participé à deux demi-journée de conférence et discussion Zoom sur la thématique Towards a Renewed Theological Culture. Les intervenants-es provenaient d’une pluralité d’horizons académiques et ecclésiaux.

Le Collegium Emmaus est un sous-projet de Glaube und Gesellschaft, dont je dis quelque mots ici : Spiritualité protestante. 5 Ressources pour s’orienter.

L’un des mots clefs de cette rencontre était la notion de « vie épanouie » (flourishing lifes). Cela renvoie à un chapitre de l’ouvrage co-écrit par les théologiens Miroslav Volf et Matthew Croasmun, For the Life of the World. Theology that makes a difference (Brazos Press, 2019).

L’une des idées centrales de cette rencontre était que la théologie engage sa pertinence sociétale, académique et ecclésiale lorsqu’elle engage son travail dans le développement de discours, de visions et de pratiques qui s’engagent en direction d’une « vie épanouie ».

Répondre à la crise

La « vie épanouie » ne doit pas être pensée pour ceux qui ont les moyens de se la payer. Il s’agit surtout de penser ce qu’est une telle vie épanouie au regard de la crise environnementale, des déplacements de population qu’elle va provoquer, de l’augmentation de l’écart dans la distribution des richesses, etc. (cf. L’intervention de Matthew Croasmun).

Il s’agit donc aussi pour une telle théologie de donner voix à ceux qui manifestent que l’existence est essentiellement un lieu de coping face à une souffrance intarrissable (cf. l’intervention de Graham Ward). Pour la foi chrétienne, il s’agit de penser et d’habiter une telle vie à partir d’un engagement volontaire dans la mortalité (cf. l’intervention de John Behr).

Theologia prima et secunda

Lors de cette rencontre j’ai eu l’occasion de découvrir une distinction que je ne connaissais pas, mais qui me semble très utile.

Dans certaines conceptions de la théologie, c’est la liturgie qui est le premier lieu de l’acte théologique (l’acte humain du service de Dieu, dans sa glorification). La théologie qui pose l’acte réflexif par rapport à ce premier niveau est appelée theologia secunda.

Ce qui me semble intéressant dans cette distinction, c’est qu’elle permet d’articuler un rapport entre le geste réflexif de la théologie et son engagement pratique à l’intérieur de la théologie qui rende compte aussi de la différenciation des lieux où se fait la théologie.

Certains lieux de formation, comme le St. Mellitus College, réarticule fortement les deux niveaux – renonçant précisément à dire que l’université séculaire devrait être le premier lieu de la théologie. (cf. l’intervention de Graham Tomlin).

Sagesse pratique

Dans sa présence dans la sphère académique, une manière de présenter l’apport de la théologie, c’est sa contribution au développement des biens epistémiques (epistemic goods) que sont la sagesse et la compréhension (cf. l’intervention de Kevin Hector) – un bien épistemique c’est ce qui confère, au niveau de la connaissance, confère de la valeur.

Avec cette idée, on dispose d’une conception relativement ouverte de la théologie et en même temps on renvoie l’activité académique à sa dimension pratique. On donne une occasion pour s’engager par rapport à sa finalité. Ceci permet d’ailleurs de reprendre toutes les réflexions qui ont eu lien dans l’espace germanophone sur la Bildung (formation) de l’humanité (cf. l’intervention de Jennifer Herdt).

De cette manière, on cherche réellement à développer une pertinence de la théologie au sein de l’académie, en tant qu’on thématise directement la pertinence du développement scientifique pour la société et les communautés religieuses.

Foi et Normativité

Je suis particulièrement stimulé par l’idée de comprendre la théologie comme une forme de sagesse pratique, et donc comme une manière de vivre – ce qui fait qu’elle devient quasi-identique avec le geste philosophique, comme l’a présenté Pierre Hadot (cf. Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel, 2002).

La théologie protestante centre cette manière de vivre autour de la foi – la relation personnelle à Dieu, vécue dans la confiance, initiée par Dieu lui-même. Le geste réflexif (critique et constructif) a pour but de recentrer la foi chrétienne sur la connaissance de Dieu qui est liée à l’expérience particulière de la foi (cf. l’intervention de Anne Käfer).

L’une des tâches de la théologie est de développer et d’expliciter le caractère non-arbitraire de la finalité de la vie de foi – ou de toute manière de vivre. Si l’on dit que la finalité visée par notre manière de vivre est la vie épanouie, alors il y a une certaine normativité à déployer et à explorer, qui donne des contours (et qui permet d’accéder à un vécu de ces contours) au caractère « non-arbitraire » de cette vie.

Défis

L’un des défis par rapport aux différents points que je viens de présenter trop brièvement, me semble être notre capacité à développer la théologie comme manière de vivre, répondant de la relation personnelle à Dieu, sans clôturer par avance les possibilités d’expression des manières de vivre concrète. C’est un enjeu particulièrement important si l’on veut honnêtement donner voix à la précarité de la vie à laquelle la théologie donne voix, de laquelle elle émerge et à laquelle elle s’adresse.

Mais en amont de tout cela, c’est bien le fait de réarticuler « théologie » et « vécu » au sein de l’exercice de la théologie qui me semble décisif. Tant que les acteurs institutionnels de la théologie ne reconnaissent pas que l’un dépend de l’autre et que l’on engage (qu’on le veuille ou non) la dépendance de l’un par rapport à l’autre au sein de la théologie, dès qu’on la pratique (que ce soit par le raisonnement philosophique, par l’étude empirique, expérimentale et phénoménologique, par l’étude littéraire ou historique, etc.), toute mise en oeuvre de la théologie comme manière de vivre est peine perdue – de même du coup, sa pertinence sociale, ecclésiale (et à terme, également sa pertinence au sein de l’académie).

Par delà cette reconnaissance, il sera peut-être possible de produire des modalités pratiques du développement de la théologie comme manière de vivre.


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