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Libérer le langage ?

Dans l’Evangile, j’entends que je suis infiniment plus que ce que l’on a projeté sur moi. Je suis aussi infiniment plus – et autre – que ce que j’ai moi-même pu dire de moi. Mon langage s’en trouve libéré. Je peux créer et inventer. Mais cela n’a rien d’évident.

26 Car vous êtes tous enfants de Dieu par la foi qui vous lie à Jésus Christ. 27 Vous tous, en effet, vous avez été unis au Christ dans le baptême et vous avez ainsi revêtu la manière d’être du Christ. 28 Il n’y a plus ni Juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni citoyen libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; en effet, vous êtes tous un, unis à Jésus Christ.

Galates 3,26-28 (NFC)

L’explosion du langage

Cette affirmation de l’épître aux Galates témoignent d’une libération. Les codes qui m’assignaient une certaine place, une certaine identité, une certaine fonction, etc. sont explosés par l’identité que je reçois de la part de Dieu lui-même.

Je pense que cette libération n’est pas seulement une affirmation de principe un peu abstraite. Elle vient se glisser au coeur de notre langage.

Les chrétiens et chrétiennes, portent avec eux une force subversive immense, par le simple fait de parler de « Jésus-Christ ». On le fait peut-être avec une certaine innocence. On n’a pas besoin réfléchir bien loin à ce que l’on dit quand on dit ce nom. Mais il s’agit pourtant bien du « nom au-dessus de tout nom » (Philippiens 2,9b)

L’association en un nom, « Jésus-Christ » de la figure historique « Jésus de Nazareth » et du titre divin de « Christ » ou « Messie » – sans même parler du fait qu’on lui attribue le titre impérial « Seigneur » – est déjà une modification fondamentale de la langue – et ainsi une modification fondamentale de la vie.

Que cet homme, mort sur une croix, soit le sauveur de l’humanité, cela devrait imposer un mutisme général. Et pourtant, ce n’est pas ce qui s’est passé : la parole a été libérée et s’est répandue dans le monde.

La voie formelle

Dans un post précédent, j’ai voulu parler de la figure de « Dieu, le Père« . Je crois que dans ce nom de Dieu, il y a plus que simplement une assimilation de Dieu au sexe et au genre masculin. En conséquence, j’ai souhaité couper dans ce qui, à mon avis, voile la richesse d’une connaissance de « Dieu » comme « Père ».

Du coup j’ai produis des phrases, comme la suivante : « Le Père ici, c’est celle qui donne son Nom. » Ce genre de geste va de paire avec l’utilisation de nouveau pronoms, comme « ielle ou celleux « . On trouve un bon exemple de cette écriture dans ce conte écrit par la théologienne Noémie Emery.

C’est une manière de mettre en évidence un travail de notre langue à un niveau formel. Dans d’autres contextes, ce travail formel a une dimension militante – voir par exemple cet article d’Alex Benjamin sur la création de pronoms neutres.

La création de nouveaux pronoms permet à toute personne de trouver une voix pour exprimer son identité, par-delà les codes de la langue que nous recevons. Ce geste fonde sur l’affirmation que notre identité n’est pas enfermé par le pronom que nos parents nous ont assigné à la naissance.

Créer de nouveaux pronoms ou altérer l’organisation de notre langue a un effet non seulement pour celleux qui, ainsi, trouvent une nouvelle manière de s’exprimer. Ces changements formels mettent en évidence notre part de responsabilité dans la manière de « nommer ».

Il n’y a pas d’évidences qui tiennent. Il n’y a que des choix et des possibles.

Ou… ?

Hésitations

Lorsque j’ai écris mon article, j’ai eu le droit à quelques réactions, que je redonne en résumé.

  • Cette manière de faire dé-range. (en bien ou en mal)
  • L’écriture pollue et masque la potentielle richesse du propos
  • La création de pronoms « neutre » contient une tentation, un désir de fusion. Elle masque la séparation et la différenciation.

Ces différentes réactions me font hésiter.

Il y a effectivement une facilité dans l’approche formelle : pour moi il me semble assez simple d’effectuer quelques modifications d’usage dans un langage qui grosso modo reste le même dans sa structure.

Il y a également une autre tentation : celle de maîtriser le langage. Je ne sais pas si c’est à cela qu’on a affaire en ce moment, mais comme toute entreprise systématique, une refonte des pronoms contiendra cette tentation de maîtrise.

Le « il ‘n’y a plus ni… ni… » de Ga 3,28 a quelque chose de formel, et de puissant dans sa formalité. En revanche, l’affirmation du nom de « Jésus-Christ » ouvre encore à une autre direction. Elle ne se laisse maîtriser par aucune systématisation, même le mieux attentionnée.

Il y a deux affirmations qui ensemble font des étincelles : (i) l’identité que je reçois de Dieu seul dépasse et fait exploser toute identité assignée ; (ii) dans cette identité reçue, je ne m’appartiens pas.

Si le langage est appelé à être libéré, c’est par le nom « Jésus-Christ » et non par un autre. Cette libération est l’oeuvre de Dieu et non la notre. Elle peut avoir lieu au travers de la création de nouveaux pronoms. Mais elle n’a pas lieu là où l’être-humain maîtrise son langage.

La voie poétique

Il y a aussi une voix « poétique » pour exercer cette libération du langage. Celle-ci travaille autrement que la voie « formelle ». L’enjeu ici n’est pas de modifier ou d’inventer des pronoms, ou d’introduire des modifications graphiques dans l’écriture.

Le problème de la voie « formelle » c’est qu’elle risque de masquer le fait que, même si l’on introduit de la créativité dans notre grammaires, celle-ci reste une loi – appelée à être reçue et transmise. La Loi nous est inévitable et nécessaire. Mais la seule loi qui est bonne est celle qui est exécutée selon la volonté de Dieu. Et cette volonté n’est pas réductible à la loi qu’elle donne : elle est créatrice et restauratrice.

Dans la poésie, il y a un renoncement à la maîtrise dans le travail sur le langage. La créativité de la langue, des associations d’images et métaphores font bouger les lignes du sens que nous recevons au-delà de ce que nous pouvons anticiper lorsque nous écrivons.

Cette voie est plus exigeante je pense. Elle me semble moins immédiatement efficace. Mais c’est celle qui est le plus immédiatement à l’oeuvre dans le nom « Jésus-Christ ».

C’est pourquoi je vais terminer ici en citant une prière, dans laquelle je crois percevoir de cette force poétique qui se trouve dans le nom de Jésus-Christ.


Dieu est assise et pleure. La merveilleuse tapisserie de la création qu’elle avait tissée avec tant de joie est mutilée, déchirée, en lambeaux, réduite en chiffons, sa beauté saccagée par la violence.

Dieu est assise en pleurant mais, voyez, elle rassemble les morceaux pour tisser à nouveau. Elle rassemble les lambeaux de nos tristesses, les peines, les larmes, les frustrations causées par la cruauté, l’écrasement, l’ignorance, le viol, les tueries.

Elle rassemble les chiffons du dur travail, des essais de plaidoyer, des initiatives pour la paix, des protestations contre l’injustice, toutes ces choses qui semblent petites et faibles, les mots et les actions offertes en sacrifices, dans l’espérance, la foi et l’amour.

Et voyez, elle retisse tout cela avec les fils d’or de l’allégresse, en une nouvelle tapisserie, une création encore plus riche, encore plus belle que ne l’était l’ancienne !

Dieu est assise, tissant, patiemment, avec persistance, et un sourire qui rayonne comme un arc-en-ciel sur son visage baigné de larmes.

Et elle nous invite non seulement à continuer à lui offrir les lambeaux et les chiffons de notre souffrance et de notre travail, mais bien plus que cela : à prendre place à ses côtés, devant le métier de l’allégresse et à tisser avec elle la tapisserie de la création nouvelle.

Prière de M. Riensiru (Rienstra?), théologienne du COE – repris du site Je Cherche Dieu.

Demande

On retrouve assez facilement cette prière sur internet, mais sans référence précise, ni à la source, ni à l’auteur. La référence la plus proche que l’on a pu m’indiquer pour l’instant est :

Broschüre des Ökumenischen Weltrates der Kirchen, Genf, englische Fassung von Yvonne Dahlin in: Of Rolling Waters and Roaring Wind. A celebration of the women song, ed. by Lynda Katsuno-Ishii and Edna J. Orteza, S. 63. A WCC Publications, 2000, Geneva, www.ecc.-coe.org.

On trouve également une impression de cette prière en fr. dans la revue Mission, vol. 17, 1991, p. 10.

Nous ne savons toujours pas qui est « M. Riensiru » : si quelqu’un peut me renseigner sur ce point, je lui en serai reconnaissant !

Merci à Jean-Pierre Thévenaz, Lauriane Savoy et Nicolas Friedli pour leur aide dans la recherche.


Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.

3 réflexions sur “Libérer le langage ?”

  1. Waaaaah ! Quelle belle réflexion, merci de la partager.
    (Et merci de me citer dans ce genre de thématique, ça fait bien plaisir ^^)
    L’exigence intellectuelle de tes propos est superbement soutenue par un souffle esthétique, poétique, émouvant. Bravo.

  2. Sandrine Landeau

    Oui grand merci Elio pour ce post ! Je suis décontenancée par la remarque que tu as reçue à propos des pronoms neutres qui contiennent une tentation de fusion. Beaucoup de langues ont des pronoms neutres… en introduire dans une langue qui n’en contient pas est un geste fort, qui bouscule et dérange ou, qui invite à se poser des questions sur une vision du monde qui jusque là s’imposait comme « naturelle ». L’apprentissage d’une langue autre me fascine parce qu’elle ouvre de nouvelle manières de dire et représenter le monde, qui interrogent celles portées par ma langue, qui ouvrent d’autres possibles là où tout semblait s’imposer comme allant de soi !
    Merci oui vraiment pour ce post, et j’espère que tu auras une réponse à la question de la source de ce magnifique texte « Dieu est assise », parce que j’ai cherché et je n’ai pas trouvé !

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