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Gouverner dans l’Esprit

Cet article est une préparation à une intervention dans le cadre d’une activité de la Société Vaudoise de Théologie : Gouverner dans l’Esprit (07.10.21).

Définition de gouvernance

Je propose ici une définition – trop – simple, afin de donner une base à la réflexion sur ce sujet. La « gouvernance » désigne les processus de prise de décisions qui débouchent sur une action coordonnée. On peut rajouter qu’en modernité, la prise de décision des actions collectives tend elle-même à prendre la forme d’une action coordonnée.

La « gouvernance » en christianisme

L’échec de la gouvernance humaine

La foi chrétienne (surtout protestante) tend à afficher un certain scepticisme face à tout mode de gouvernance qui prend racine dans l’existence humaine. L’histoire de la royauté d’Israël peut être relue comme le récit d’une longue série d’échecs de gouvernance, avec l’exception de quelques situations idéalisées, voire fantasmées (Cf. Dt 17,14-20).

Pour le christianisme, la gouvernance humaine prise pour elle-même est donc plus susceptible d’échec que de réussite dans la tentative de mener le collectif à bon port. Face à cette situation d’échec, Dieu se rend proche de l’être humain et lui donne accès au port – sans pour autant nier l’échec bien réel de la gouvernance humaine et ses conséquences désastreuses. L’option de la foi est donc d’affirmer que seul Dieu assure la gouvernance qui mène à bon port, ce qui est rendu manifeste dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth.

L’image de la gouvernance de Dieu en Jésus-Christ

Jésus est celui qui a laissé sa vie être gouvernée par Dieu, qui a pris des décisions et a agit selon la gouvernance de Dieu. La prière au jardin de Gethsémani (cf. Mc 14,36) est emblématique de la posture adoptée par Jésus dans la gouvernance de sa vie. Jésus n’est pas inactif dans la gouvernance – il en participe – mais le geste premier est de s’en remettre à la gouvernance de Dieu. Il offre l’image de toute manière humaine d’exercer la gouvernance.

Lorsque la foi chrétienne reconnait Jésus de Nazareth, le Crucifié-Ressuscité comme Messie et comme Seigneur, elle affirme que c’est lui qui donne la norme et la forme de toute gouvernance humaine possible. Là où Jésus-Christ est reconnu comme la « tête » de l’Eglise – voire du cosmos (cf. Col 1,15-20) – ou qu’à la suite de Jésus l’on prie le Notre Père (Mt 6,9-13 ; Lc 11,1-4), là des personnes essaient de se mettre à l’école de cette manière de « gouverner ».

Pour le dire brièvement, ceci implique que « gouverner » veut dire : (i) servir ; (ii) renoncer à posséder le pouvoir ; (iii) aimer Dieu et son prochain comme soi-même ; (iv) répondre activement et de toute sa personne à l’appel de Dieu ; (v) porter la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu dans le monde. De cette manière, on ne garantit pas le succès de la gouvernance, mais on rentre dans un mode de gouvernance où l’on a renoncer à la maîtriser une fois pour toute – où en définitive seul Dieu règne et gouverne.

Gouverner dans l’Esprit du Christ

Ce qui est caractéristique de notre vie actuelle c’est que nous vivons en l’absence physique de celui qui nous apprend comment prendre part à la gouvernance de Dieu en tant qu’être humain. Ou plutôt, nous n’expérimentons sa gouvernance que dans la présence de l’Esprit-Saint – qui est la manière dont Jésus, reconnu comme Seigneur, se rend présent au monde.

En l’absence immédiate de Jésus, nous sommes donc appelés à « gouverner » dans son Esprit, c’est-à-dire à prendre des décisions concertées qui débouchent sur une action coordonnée. On peut brièvement poser les caractéristiques suivantes de cette gouvernance:

(i) Dans l’Esprit du Christ, la gouvernance est une affaire collective – nul ne peut prétendre prendre la place de gouvernement, le pouvoir et la responsabilité qui reviennent à Dieu seul ;

(ii) Les rôles établis par et dans l’exercice de la gouvernance dans l’Esprit du Christ n’ont qu’un statut de fonction temporaire et ne confèrent pas de dignité particulière – toustes sont enfants de Dieu, accédant par Jésus-Christ à la dignité de roi, de prêtre et de prophète ;

(iii) Par sa participation à la gouvernance, chaque personne doit discerner la conformité entre le rôle qu’elle habite et l’appel que Dieu lui adresse – il n’y a pas de confusion entre le rôle déterminé par l’exercice de la gouvernance et la dignité de la personne face à Dieu ; la personne est responsable de la relation entre le rôle qu’elle exerce dans la gouvernance et sa propre vie, en tant qu’elle est sous la gouvernance de Dieu ;

(iv) L’exercice concret de la gouvernance est appelée à refléter l’image de la gouvernance de Dieu présentée en Jésus-Christ – l’exercice empirique de la gouvernance s’expose encore et toujours à cette image pour sa propre orientation ; il n’y pas ici de désordre, mais une orientation de fond sur l’accomplissement de la création dans la paix – dont ni la forme définitive, ni la forme provisoire ne nous appartiennent pas.

Gouvernance et Royaume de Dieu

Gouvernance Partagée

Résonances

On peut voir ici un certain nombre d’affinité avec ce que propose la Gouvernance Partagée et ce qui est proposé ici en perspective théologienne.

(i) L’exigence de clarté et d’explicitation dans la définition des rôles et des redevabilités accompagne le discernement dans l’adéquation entre l’habitation d’un rôle et la vocation personnelle.

(ii) La clarification des processus doit permettre de réguler la relation entre le « fonctionnel » et le « personnel » dans l’organisation – ce qui est une différenciation particulièrement importante pour pouvoir assumer à la fois l’aspiration à la paix dans l’exercice de la gouvernance et la prise en charge assumée des luttes qui caractérisent l’exercice de toute gouvernance.

(iii) La répartition du pouvoir – compris comme pouvoir-d’agir – entre les différents rôles et la participation des différents rôles aux différents processus de gouvernance défait (en théorie) le phénomène d’accaparement du pouvoir caractéristique des organisations hiérarchisées – ce qui rentre en résonance avec le fait de remettre le « pouvoir » à Dieu seul.

Risques

Mais il doit être clair en même temps que la forme de la Gouvernance Partagée n’offre pas l’accès au Royaume non plus.

Elle requiert le développement d’une responsabilité individuelle et d’une capacité importante d’autodétermination ; elle implique le développement d’une capacité à différencier clairement entre les rôles et les personnes ; elle implique une logique du consentement, où il faut notamment consentir à passer par une phase d’apprentissage à « gouverner ensemble » et à renoncer au pouvoir sur l’auto-détermination des autres rôles et cercles ; etc. elle présente des risques d’élitisme.

Exposer la gouvernance dans la Cène

Plutôt que de simplement rejeter le projet – parce que tout projet de gouvernance peut être légitimement repoussé lorsqu’il est considéré pour lui-même – on pourrait le soumettre à discernement.

Ma proposition serait la suivante : un modèle de gouvernance s’éprouve dans sa confrontation à la pratique de la Cène (ou eucharistie). Le Repas du Seigneur est en effet le lieu où l’humanité éprouve la présence du Royaume de Dieu en son sein et sa capacité à faire signe vers cette présence et la paix qu’elle promet.

On pourrait alors se poser les questions suivantes :

en amont de l’exercice : qu’est-ce que serait une Cène vécue et organisée sous le mode de la Gouvernance Partagée ? Quelles modifications est-ce que cela impliquerait au niveau de nos pratiques habituelles de la Cène ?

en aval de l’exercice : quelles sont les forces et les faiblesses qui apparaîtraient ? Quelle image de Dieu et du monde en ressortirait ? Qu’est-ce qui ferait signe en direction de la paix de Dieu, qu’est-ce apparaîtrait comme une distorsion de cette paix ? Ce serait à expérimenter et à analyser praxéologiquement.

Dans ce contexte il ne s’agit absolument pas de renoncer à la valeur sacramentelle et liturgique de la Cène, mais de l’investir comme lieu d’épreuve de nos manières de vivre à la suite du Christ, notamment en y incluant la dimension de la gouvernance – sans quoi, l’on n’expose pas nos pratiques de gouvernance à la source qui, elle seule, nourrit la vie humaine et la permet en premier lieu.

La gouvernance ne doit pas être isolée de la vie de l’Esprit, mais doit être ouverte sur son coeur : le rassemblement autour du Seigneur, dans la présence de son Royaume, au coeur d’un monde traversé de son attente, mais aussi de son refus. Cette tension traverse précisément l’Eglise et c’est pour cela qu’elle est appelée à exposer son mode de gouvernance à la manière dont Dieu a décidé de gouverner : ce qui se rend constamment présent dans les sacrements et qui nous est raconté en Pâques. Autrement dit : pour la foi chrétienne, la gouvernance est une partie de la « spiritualité » est doit être discernée et éprouvée comme telle.

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