Une théologie renouvelée pour un renouvellement de l’Eglise

Du 16 au 20 juin 2021, j’ai passé une semaine d’étude, de prière et de temps en communauté avec le Collegium Emmaus. Dans cet article j’offre un bout de témoignage et de retour sur cette semaine et ce qui y a été vécu.

Les personnes présentes

Ce projet regroupe essentiellement des doctorants·es en théologie des université Suisse (Fribourg, Zürich, Bern, Genève, Bâle) avec leurs professeurs – dans cette session les professeurs Ralph Kunz, Benjamin Schliesser et Christophe Chalamet. Nous venons de différents horizons : Suisse, Allemagne, France, d’Italie, aussi des Etats-Unis et du Royaume-Unis. Certains d’entre nous sont protestants, de différentes dénominations (majoritairement réformé) mais aussi catholiques.

Beaucoup sont jeunes parents dans le groupe. La chance que nous avions était que l’espace du Centre de rencontre (Begegnunszentrum) à Rüdlingen offre l’espace et pour accueillir les familles – époux·ses et enfants (des bébés au jeunes enfants). À quelques pas du Rhin, dans les vignobles du canton de Schaffhouse, l’endroit est idyllique et apaisant.

Les temps en communauté

Un renouvellement de la théologie passe par une redécouverte de la vie communautaire. Le temps que nous passons ensemble aux repas, autour de jeux et d’activités physiques (un tour de canoë sur le Rhin), des temps de recueillement/office et de la Cène forme nos discussions et nous forme au-travers pour notre travail intellectuel.

Ce qui me marque le plus, c’est la place laissée aux petits enfants et à la vie familiale dans ces moments – aussi parfois dans nos moments de travail. Pour une fois, ils ne sont pas considérés comme un problème ou une entrave pour le travail théologique. Leur présence est réellement vécue comme une bénédiction. Le travail intellectuel n’en était pas paralysée. Bien au contraire !

L’office, qui suit une liturgie à la fois simple et riche, accessible aux différentes sensibilités de foi, participe de manière significative à la qualité du travail en commun. Le fait de non seulement discuter, discerner et débattre ensemble, mais aussi de prier et chanter ensemble, de se mettre à l’écoute du texte biblique, de prier les uns pour les autres, de nous bénir mutuellement, jette le travail intellectuel dans une tout autre lumière. L’implication de nos paroles et de nos pensées acquière une densité plus importante – sans même qu’il faille pour autant parler plus. L’écoute mutuelle est différente et se prolonge par-delà les temps de travail.

Le temps informel, autour du repas, d’une petite balade, d’une bière ou d’une verre de vin ou d’un jeu de carte joue également un rôle important : le temps de travail et le temps face à Dieu est aussi du bon temps, pour le corps, l’humeur et les relations. Nous ne sommes pas seulement des collègues, mais nous tissons des amitiés et de la fraternité/sororité au-travers de nos discussions et des temps informels, pleinement valorisé par l’organisation.

Les textes étudiés et les discussions

Le sujet travaillé par la semaine était grosso modo l’Eglise et son développement actuel, dans une perspective théologique et de vie de foi. Ce sujet fait partie de manière générale du projet qu’est le Collegium Emmaus, d’une théologie qui se concentre sur la Vie Bonne, selon une initiative lancée par le théologien de Yale Miroslav Volf (Yale Centre for Faith & Culture), mais aussi par des projets dans l’Eglise anglicane, comme le St. Mellitus College. Avec le Collegium Emmaus il s’agit de développer une manière de faire de la théologie ou nous essayons de penser ce que nous vivons et de vivre ce que l’Evangile nous donne à penser, et de le porter plus loin dans la société.

Nous avons lu des textes de la Bible sur le thème du « reste » d’Israël (Gn 6,5-8 ; 7,11-23 ; Dt 1,19-39 ; Esaïe 10,1-23 ; 30,1-26), les parties de la Confession Helvétique Postérieure sur l’Eglise ainsi que des textes d’Augustin (Enchiridion), de Dietrich Bonhoeffer (Sanctorum Communio), Emil Brunner (Das Missverständnis der Kirche), Stanley Hauerwas (Resident Alien), Rodney Stark (The Rise of Christianity) et Rowan Williams (Holy Living). Le but était de rentrer en discussion sur ces textes pour voir en quoi ils peuvent – ou non – nous aider à penser et à projeter le développement de l’Eglise aujourd’hui. Nous avons abordé différents aspects, sur le rôle et la fonction de l’institution, sur l’importance du maillage ou du soutien communautaire, sur l’étendue de l’Eglise, sur les manières de penser l’évangélisation et la présence de l’Eglise au monde.

Il n’y a pas eu particulièrement de synthèse conclusive. L’intégration de la discussion sur les textes s’opère de manière différentes pour chacun des participants, suivant les harmoniques qui lui sont propres. Pour ma part je veux retenir les aspects suivants :

  • Seul le juste vit devant Dieu. Dieu me fait la grâce de ne pas devoir me préoccuper moi-même de qui est juste ou non, mais m’encourage et m’accompagne sur la voie de cette justice – qui se déploie dans la justice envers le prochain et la création.
  • La présence transformatrice de l’évangile au monde passe par le temps personnel de la contemplation. Dans la contemplation de Dieu en Jésus-Christ je me forme à ne pas être animé par la peur et la crainte dans ma présence au monde, et m’invite à contempler Christ en autrui avant toute chose.
  • L’Eglise, est premièrement le lieu où le pardon est vécu. Elle n’est pas le lieu de l’auto-affirmation de la sainteté, mais de l’accueil de l’Autre et ainsi condition de l’accueil de Soi – et ainsi seulement (si Dieu le veut) lieu de Sa sainteté.
  • L’amour est le moteur de l’existence chrétienne dans le monde – un amour qui forme la communauté, non pas pour elle-même, mais pour les autres et le monde dans lequel elle vit. Ceci me mène à porter une attention toute particulière à ceux qui sont concrètement proches de moi – voisins et voisines, membres concrets de la communauté où je me trouve.
  • La pertinence de l’état actuel de l’institution doit être mesurée en fonction de la visée de l’existence ecclésiale : l’annonce dans le monde de la venue du Royaume, telle qu’elle a lieu en Jésus-Christ, vécue de manière complète (en parole et en acte, dans la chair comme dans l’esprit).

Nous avons également pu entendre des doctorants·es sur leurs propres projet de recherche. De mon côté j’ai eu l’occasion de présenter mes réflexions sur la Spiritualité comme ascèse, comme gouvernance et comme droit. Les autres présentations portaient sur la nomination de Dieu dans la Constitution fédérale Allemande, sur la mariologie en perspective protestante, sur l’importance des religions d’Asie dans la théologie de Thomas Merton, sur une critique des généalogies qui guident l’auto-compréhension des Eglises dans le monde contemporain, sur la comparaison entre les clubs sportives et les Eglises en matière de recrutement/renouvellement des membres.

Le rythme de la journée

La journée commençait avec un bref office (laudes) à 8h, animé à chaque fois par une personne différente dans le groupe, mais suivant toujours la même liturgie. Le déjeuner était assuré par le centre d’accueil et nous travaillions ensuite en plénum de 09h30 à 11h15. De 11h15 à 12h00 nous étions en sous-groupe pour reprendre la discussion du plénum ou pour discuter de manière plus spécifique d’aspects de nos propres recherches et de la vie académique. Le repas de midi était organisé par des membres du groupe – ici surtout par les membres de familles qui ne participaient pas au travail en plénum. L’après-midi était libre, jusqu’à 16h30 – avec la possibilité de faire un tour en canoë le jeudi après-midi sur le Rhin. À partir de 16h30 nous reprenions avec un temps de travail en commun, jusqu’à 18h. Avant le repas, nous avions à nouveau un office (evensong) suivant une liturgie proche de l’office du matin. Après l’office nous vivions ensemble le repas assuré par les membres du centre d’accueil et nous nous retrouvions autour de 20h pour un dernier temps commun autour de la cheminée, orientée plus sur les vécus et les réflexions personnelles, le témoignage, etc.

Le programme n’était jamais complètement identique de jour en jour. L’une des soirées autour du feu a par exemple été remplacé par un Loto organisé par l’un des enfants. En même temps, les journées étaient rythmées d’une manière qui les rendait très fluide et agréable à vivre. Si nous avions des temps expressément consacrés au travail sur notre thème, la variation des « types » de moments assurait un travail de fond, avançant progressivement dans la thématique au fil de la semaine, entre moments formels et moments informels, l’intégrant de manière plus approfondie que si nous avions été non-stop autour en session de plénum. C’était un programme qui respirait.

Une expérience globale

L’enjeu de cette semaine était non seulement d’avoir un temps d’étude et de réflexion sur la thématique du renouvellement ecclésial, mais d’offrir un temps pour explorer une autre manière d’être théologiens·nes, de vivre une nouvelle culture théologique où le thème abordé intellectuellement s’articule et résonne avec ce que l’on vit autour de ce travail. C’est une culture théologique où le travail intellectuel, critique, réflexif et prospectif ne s’abstrait pas de la communauté, de la profondeur qu’elle donne, tout en étant attentif à laisser la place à l’expression de la sensibilité personnelle et à la diversité des rythmes individuels ou familiaux.

D’une certaine manière, cette semaine d’étude n’est pas sans me rappeler ce que j’ai pu vivre dans les camps du groupe de jeune Dé->Part (Gland, VD), ou encore au Camp Biblique et Oecuménique de Vaumarcus. C’est une expérience qui permet d’articuler vie de foi, travail intellectuel et service du prochain de manière concrète : on y vit de la joie, de la solidarité, le plaisir du travail intellectuel, de l’encouragement et du réconfort mutuel, le tout dans la prière et la reconnaissance à l’égard de Dieu. La tête, le corps et le coeur trouvent ensembles leur nourriture.

C’est comme un bassin d’eau rafraichissante, dans lequel on vient se plonger avant de retourner dans le travail quotidien (que ce soit dans l’Eglise ou ailleurs) – là où nous sommes moins préservés, plus exposés et plus seuls, « au front ». Mais c’est aussi un temps dont on peut s’inspirer pour imaginer, développer et offrir d’autres manières de vivre au quotidien, où l’on laisse plus de place à l’autre, à la respiration, à Dieu. J’espère pouvoir, à la place qui est la mienne et avec mes charismes, contribuer au rayonnement de la bonté que j’ai pu vivre à cet endroit. Non pas garder cette théologie pour moi, mais la partager : que Dieu me donne la patience et la sagesse dans ce cheminement !


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