Table des matières
En 2022 j’ai participé à une formation continue des ministres de l’Eglise Protestante Unie de France sur la créativité et la collaboration. Durant ces derniers mois j’ai travaillé à un rapport sur la thématique de l’innovation en Eglise. Récemment j’ai pu lire un livre qui combine les enjeux de ces deux domaines : Repenser la communauté à neuf. Orientation spirituelles dans une complexité croissante de Isabel Hartmann et Reiner Knieling 1.
Les auteurs
Les deux auteurs se sont rencontrés dans le Gemeindekolleg de l’Eglise luthérienne unie d’Allemagne et ont fondé Syntheo – un institut qui vise à soutenir le développement futur des organisations et de leur direction. Ils sont les deux pasteurs (ainsi qu’accompagnatrice spirituelle pour Isabel Hartmann et docteur en théologie pour Reiner Knieling) et souhaitent allier « spiritualité » et « professionnalité », afin de contribuer à une transformation de la culture du travail et du développement des organisations.
Contenu
Baliser le terrain
La situation des Eglises traditionnelles est caractérisée par le fait que la valeur des actions entreprises sur le terrain ne peut être mesurée à l’aide des coordonnées du système actuel. Les logiques qui ont présidé à la mise en place des structures ecclésiales actuelles (confessionnalisme, structure d’église nationale, service à l’ensemble de la population, maillage territorial, etc.) n’offrent plus de réponses pertinentes par rapport aux réalités contemporaines (porosité de l’identité religieuse, accroissement de la mobilité, perte de pertinence de la couverture territoriale à cause de la diminution des membres et des ressources, etc.).
Les acteurs et actrices de l’Eglise se trouvent en conséquence sur un terrain caractérisé par la complexité2, où l’on doit d’abord explorer et expérimenter avant de développer des réponses3.
Ne pas reconnaître l’état du terrain, c’est risquer des confusions importantes, où l’on continue à appliquer des stratégies de résolution de problèmes qui ne font qu’augmenter la pression sur les acteurs et actrices de l’Eglise, qui doivent faire face au dilemme de devoir assurer toujours plus avec moins de ressources – ce qui mène à un épuisement généralisé. Dans leur livre, Hartmann et Knieling invitent de manière conséquente à penser en fonction des ressources des acteurs et actrices et pas uniquement au niveau des stratégies institutionnelles.
Une théologie en accord avec la complexité
Tant les paraboles et images du Royaume liées à la croissance agricole (Mc 4 ; Mt 13), que les paraboles du jugement dernier (Mt 25) nous placent dans une situation où nous découvrons progressivement la réalité du projet de Dieu pour sa création. Elles nous invitent à développer une attention pour ce qui émerge, pour la manière dont nous sommes nous-mêmes transformés par ce qui arrive et à développer un jugement rétrospectif.
Cette attention pour ce qui émerge correspond également à une compréhension de l’Eglise large, ouverte et plurielle, qui permet une diversité de forme pour se déployer dans le monde. Les bases ecclésiologiques données par des textes comme la confession d’Augsburg ou la déclaration de Barmen permettent cette flexibilité : une Eglise précaire, qui n’est pas rigidifiée dans sa forme.
Tout en insistant sur la liberté de l’Esprit-Saint de laquelle participent les membres de l’Eglise – une liberté qui s’oppose à tout ce qui étouffe et qui crée des espaces de créativité – les auteurs insistent également sur l’importance du discernement des esprits. C’est en se mettant à l’écoute du Christ que l’on fait la différence entre l’esprit où l’on collabore au projet de Dieu pour sa création, et un esprit qui résiste à l’oeuvre de Dieu.
Pragmatisme et spiritualité
S’il s’agit de s’engager dans une approche pragmatique du développement ecclésial, qui sait se servir du savoir accumulé par les générations précédentes, en Eglise cette approche doit se reposer sur une praxis spirituelle individuelle et collective. Les acteurs et actrices du développement ecclésial gagnent à développer une perception de la réalité basée sur l’intuition, à chercher des temps d’arrêt, à créer de l’espace et du retard, pour ne pas être le nez dans le guidon par rapport aux situations complexes.
Le pari fait par les auteurs est que le suivi d’exercices spirituels ou la pratique de la prière contemplative créent un espace de liberté qui favorise l’action en terrain complexe. Le but n’est pas d’instrumentaliser ces pratiques pour une activité plus efficiente, mais d’ancrer l’activité dans une base qui permet aux personnes engagées dans le développement ecclésial d’être libre à l’égard de leur activité et de ses résultats : la relation à Dieu lui-même comme base du travail.
Hartmann et Knieling pensent également ce lien entre développement d’Eglise et spiritualité d’un point de vue collectif. Dans le livre ils proposent des animations qui mettent la créativité collective au service de projets concrets ou encore d’accueillir les résistances au changement. Ce caractère collectif du développement ecclésial mène à penser la relation entre acteurs sous forme d’un réseau ouvert : ce ne sont pas uniquement les personnes à l’interne de la communauté ecclésiale qui contribuent au développement de l’Eglise, mais c’est dans leur relation avec les personnes qui se trouvent à sa marge que celui-ci atteint sa pleine envergure.
Appréciation
Ce livre est une pépite d’intuitions et d’idées. Mon résumé est à ce titre plutôt pauvre. Pour celles et ceux qui savent lire l’allemand, c’est une lecture qui rafraîchit l’esprit et donne envie de pratiquer. Les auteurs arrivent à mettre en lumière les énergies libérées par la crise que vivent les églises traditionnelles.
L’un des points forts, à mon sens, et le fait que l’écriture de Hartmann et Knieling arrive à tenir ensembles de manière fluide et cohérente des éléments tirés d’une théorie managériale, de la théologie et de la vie de foi. Ils ne se gênent pas de faire de la théologie et sont en même temps capable d’adopter une attitude pragmatique, orientée par une perception attentive de la réalité. J’apprécie tout particulièrement l’attention portée à la dimension collective, tant d’un point de vue organisationnel que d’un point de vue spirituel.
Le défaut principal est sans doute que ce livre est en allemand. Une traduction en Français serait la bienvenue ! C’est également un livre qui reste relativement court : chaque idée mériterait des développement plus approfondis. Cependant, les nombreuses références en note de fin permettent d’approfondir l’enquête pour celles et ceux qui le souhaitent. De plus, ce livre ne permet pas de faire l’économie de la pratique et de l’expérimentation personnelle. Mais il encourage à s’y plonger joyeusement !
Si cet article t’as intéressé ou interpellé, n’hésites pas à partager ou à commenter!
Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.
- Isabel Hartmann & Reiner Knieling, Gemeinde neu denken. Geistliche Orientierung in wachsender Komplexität, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 2014[↩]
- Les auteurs renvoient ici au cadre conceptuel Cynefin développé en 1999 par Dave Snowden, qui vise à différencier les logiques qui sous-tendent la prise de décision en fonction de quatre types de situation [claire, compliquée, complexe, chaotique][↩]
- Schéma : essayer – faire du sens – répondre[↩]