Une vie dans l’épreuve (Marc 1,9-13)

Lectures

Lettre de Jacques 1,12-18

Heureux celui qui persévère dans l’épreuve ; car sa fermeté éprouvée lui vaudra la couronne de la vie éternelle que Dieu a promise à ceux qui l’aiment.

Si quelqu’un est mis à l’épreuve, qu’il ne dise pas : « C’est Dieu qui me met à l’épreuve ! » Car Dieu ne peut pas être éprouvé par le mal, et il ne met lui-même personne à l’épreuve. En réalité, tout être humain est mis à l’épreuve quand il se laisse entraîner et prendre au piège par ses mauvais penchants. Puis tout mauvais désir conçoit et donne naissance au péché ; et quand le péché est pleinement développé, il engendre la mort.

Ne vous y trompez pas, mes chers frères et sœurs : 17tout don excellent et tout cadeau parfait descendent des cieux ; ils viennent de Dieu, le créateur des lumières célestes, qui ne connaît ni déclin ni éclipse. Il a voulu lui-même nous donner la vie par sa parole, qui est la vérité, afin que nous soyons au premier rang de toutes ses créatures.

Evangile selon Marc 1,9-13

En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth, une localité de Galilée, et Jean le baptisa dans le Jourdain. Au moment où Jésus remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit saint descendre sur lui comme une colombe. Et une voix se fit entendre des cieux : « Tu es mon fils bien-aimé ; en toi je trouve toute ma joie. »

Aussitôt après, l’Esprit le pousse dans le désert. Jésus y resta pendant quarante jours et il fut mis à l’épreuve par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

Prédication

Cette prédication a été prononcé la première fois le dimanche 25 août au temple de Nyon

Le baptême de Jésus

Cette scène du baptême de Jésus dans l’évangile selon Marc est étrange. Nous sommes encore dans le Prologue de l’histoire : c’est la première apparition du personnage principal de l’évangile. On découvre son caractère, les enjeux qui l’entourent et qui vont se déployer au fil du récit.

Et le baptême de Jésus nous offre en fait un tableau paradoxal : par son baptême d’eau, Jésus manifeste sa volonté d’être en relation avec Dieu. Et la manifestation du don de l’Esprit, la colombe, montre qu’il y a chez cet homme quelque chose de nouveau, quelque chose de spécial, comme le commencement d’un nouveau monde, d’une nouvelle création.

Avec le départ dans le désert, on ne change pas encore d’étape dans l’histoire. On se trouve toujours dans le Prologue. On est toujours en train de mettre en place les éléments principaux du récit. Cela signifie en conséquence que le désiert est le corollaire immédiat de la présence du souffle de vie en Jésus, la présence de l’Esprit qui « planait au-dessus des eaux », l’Esprit créateur.

Le baptême a lieu au plein milieu de nos vies, de notre histoire. Il en est indissociable. C’est là, au cœur de notre pèlerinage sur terre, que Dieu manifeste sa présence avec nous, dans les pulsations de notre vie. Et plutôt que de nous sortir de ce monde, il nous y plonge encore plus intensément.

Dans le désert

Jésus se trouve mis à l’épreuve – et ce par une force terrible et angoissante : le Satan – c’est-à-dire : le maître des esprits mauvais, le maître de tout ce qui empoisonne ou détraque la vie, de tout ce qui la détourne de la bonté, de la santé. Il est le maître de ce qui fait du mal et non du bien. C’est un aspect de cette vie issue du baptême : celle d’une épreuve qui creuse et ne laisse pas indemne.

On en voit une belle illustration de cette lutte dans le Christ de l’artiste russe Ivan Kramskoï (1837-1887). Dans un style réaliste, on peut y contempler un homme aux traits fatigués, lassés, dans un environnement aride, stérile. On se demande peut-être depuis combien de temps il est là, depuis combien de temps il attend. L’aurore pointe sur le fond de la toile – mais nous sommes encore dans la nuit.

Le Christ dans le désert – Ivan Kramskoï (1872)

Le baptême nous place sur un chemin de transformation. Le baptême manifeste d’où nous venons, il signale notre origine, il montre où se trouve le début de notre chemin : en Dieu. Mais il n’est pas encore la fin de la route. Il y a encore du chemin à parcourir. Il y aura des frottements, des petites morts – et notre propre mort aussi. Et cela peut être source de doute, d’angoisses, parfois de désespoir. Lorsque Dieu dit « celui-ci est mon fils bien aimé », c’est la parole d’un parent qui sait que son enfant, la prunelle de ses yeux, va faire face à l’innommable.

Ivan Kramskoï est un peintre marqué par le socialisme russe naissant et les idées démocratiques. Il veut montrer l’expérience et l’expression humaines de manière réaliste – et se porte ainsi en opposition à la doctrine de l’académie des beaux-arts où il fut formé. Par une présentation réaliste de la condition humaine, l’artiste cherche aussi à participer au changement des conditions de vie – matérielles, sociales, économiques, politiques. Montrer le monde tel qu’il est, c’est aussi contribuer à sa transformation. Lorsque Jésus vient proclamer le Royaume de Dieu guérir les malades et les possédés, réintroduire les marginaux dans la société, exposer les abus, il participe lui aussi d’une transformation et d’une lutte – il y est plongé par son baptême.

Mais ce n’est là que l’une des faces de ce baptême. L’autre semble être son opposé total.

Paradis originel

Dans le désert, Jésus mène une vie paisible avec les animaux sauvages : sans conflit, crainte ou animosité. Pas besoin d’avoir peur des uns et des autres – pas de risque de se faire manger. Il en va de même de la présence des anges. Leur présence est un indice en direction d’un paradis restauré. Et le fait qu’ils servent Jésus indique la réconciliation des cieux et de la terre, du monde le plus spirituel avec le monde le plus terrestre. Les anges ne sont plus ceux qui gardent ceux qui se trouvent sur la limite extérieure du paradis, ceux qui en gardent les frontières, mais vivent en commun avec l’être humain. Dans le désert, c’est un moment de paix et d’harmonie. Quelque chose d’une plénitude joyeuse et sereine.

Avec la deuxième peinture, nous plongeons dans la période de la Haute Renaissance, un moment que certains considèrent comme l’apogée de l’art en occident. Alessandro Bonvicino (1498-1554), Moretto da Brescia sous son nom d’artiste, fait partie des peintres les plus importants de cette période, dans le nord de l’Italie. Ces peintures mélangent habilement une dimension réaliste, simple, et une dimension sacrée, quasi mystique. Les cieux, présents sur terre.

Le Christ dans le désert – Alessandro Bonvicino (env. 1515-20)

Des siècles séparent le Christ de Kramskoï et celui de Bonvicino. Non seulement du point de vue du style, mais aussi du contexte : si Kramskoï a des affinités avec les révolutionnaires, Bonvicino lui vit du mécénat, est proche de l’Église et de la noblesse. Plutôt que de peindre des paysans, Bonvicino fait des portraits d’aristocrates et de nobles. Mais quelque chose de bien plus fondamental sépare encore ces deux peintures : le Christ de Bonvicino semble paisible, détendu – presque joueur, avec ce pied nonchalamment détendu. Non pas une lutte, mais presque un moment de rêverie. Tous les animaux se prosternent devant lui, les anges virevoltent de part et d’autre du plan. L’ours et le lion semblent paisiblement assoupis.

Le baptême est le signe de la victoire de Dieu sur la mort, une victoire qui vient prendre sa place dans notre vie directement. Le baptême manifeste la présence de Dieu en nous et en dehors de nous, aussi là où l’on ne s’y attendrait pas. Dans le désert – un lieu de précarité et de danger – la paix est là, avec Dieu, et nous pouvons la goûter – parce que c’est de cette paix de Dieu que nous vivons en dernier lieu.

La  présence de Jésus dans le désert et comme un résumé de son identité, de sa vie, de ce qu’il apporte dans le monde. Il est le prince de la paix, celui qui pour vaincre définitivement le mal, est passé par la grande plus épreuve – débouchant sur la plus grande transformation.

L’épreuve

Lorsque nous vivons notre baptême, nous montrons notre appartenance à Jésus-Christ, nous montrons au monde que notre identité est définie en dernier lieu par ce qui se passe en Christ, dans cette personne – et non ailleurs.

Cela signifie aussi que notre vie, notre vie dans le baptême, a cette double marque : celle de la lutte contre les puissances de mort, celle de la paix avec l’ensemble de ce qui est et respire. Comme les deux faces d’une même pièce. Lorsque l’on regarde une face de la pièce, on ne voit pas l’autre – mais l’autre face reste bel et bien présente.

Mais cette image pourrait laisser croire que la lutte et la paix se situent au même niveau – comme deux puissances opposées de même force. Il n’en est pas ainsi : dans la foi, la grâce et la bonté de Dieu prévalent en définitive. Elles n’annulent pas la souffrance de la lutte – voir son caractère désespérant. Mais elles offrent la vie pleine au bout de la lutte, une vie donnée gratuitement, une vie pour laquelle nous n’avons pas à faire nos preuves.

« Bienheureux sont celles et ceux qui persévèrent dans l’épreuve ! » (Jc 1,12). Formule qui dit le paradoxe de la vie chrétienne. Les luttes que nous vivons dans notre baptême témoignent d’une transformation en cours, d’un monde en train de naître. Mais en Christ nous sommes déjà nés à cette vie pleine – et nous pouvons déjà pleinement y goûter.

Amen


Sur mon site vous trouverez d’autres messages dans la rubrique Prédications, messages et exégèses

Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights