Rien n’est advenu sans la Parole (Jn 1,1-13)

Lectures

Psaumes 139,1-6.13-18

Seigneur, tu regardes jusqu’au fond de mon cœur, et tu sais tout de moi : Tu sais si je m’assieds ou si je me lève ; longtemps d’avance, tu connais mes pensées. Tu sais si je suis dehors ou chez moi, tu es au courant de tout ce que je fais. La parole n’est pas encore arrivée à mes lèvres, que déjà tu sais tout ce que je vais dire. Tu es derrière moi, devant aussi, tu poses ta main sur moi. Une connaissance aussi prodigieuse me dépasse, elle est trop élevée pour que je la comprenne. […]

C’est toi qui as créé ma conscience, qui m’as tissé dans le ventre de ma mère. Je te loue d’avoir fait de moi une aussi grande merveille ! Ce que tu réalises est prodigieux, je le reconnais bien ! Mon corps n’avait pas de secret pour toi, quand tu me façonnais en cachette, quand tu me tissais dans le ventre de ma mère. Quand j’étais encore informe, tu me voyais ; dans ton livre, tu avais déjà noté toutes les journées que tu prévoyais pour moi, sans qu’aucune d’elles ait pourtant existé.

Qu’il m’est difficile de saisir tes pensées, mon Dieu ; quel effort pour en considérer la somme ! Si je voulais les compter, il y en aurait plus que de grains de sable. Même si j’arrivais au bout de mon calcul, je n’aurais pas fini de te comprendre.

Jean 1,1-5.10-13

Au commencement de toutes choses, la Parole existait ; la Parole était avec Dieu, elle était Dieu. Elle était donc avec Dieu au commencement. Tout est venu à l’existence par elle, et rien de ce qui est venu à l’existence n’est advenu sans elle. En elle se trouvait la vie et cette vie était la lumière pour les êtres humains. La lumière brille dans l’obscurité, et l’obscurité ne l’a pas arrêtée. […]

La Parole était dans le monde et le monde est venu à l’existence par elle, et pourtant le monde ne l’a pas reconnue. Elle est venue dans son propre pays, mais les siens ne l’ont pas accueillie. Cependant, à tous ceux qui l’ont reçue et qui croient en elle, elle a permis de devenir enfants de Dieu. Ils ne sont pas devenus enfants de Dieu par une naissance naturelle, par une volonté humaine ; c’est Dieu qui leur a donné une nouvelle vie.

Prédication

Cette prédication a été prononcé la première fois le dimanche 27 novembre au temple de Crans

Dieu rejoint notre passé

Nous ne sommes pas sans ce que nous avons vécu. Cette année était remplie d’événements – certains joyeux et exubérant, d’autres plus tristes, voire dramatiques. Ce n’est pas tous les ans que notre vie se retourne sur elle-même, mais chaque année laisse son lot de traces sur notre vie, sur notre corps, sur notre âme.

Les événements font des choses avec nous. Ils nous marquent dans notre identité. Certains partent dans l’oubli, d’autres sont encore vifs dans notre esprit – il y a ces événements qu’on voudrait pouvoir oublier, mais qui restent. Il y a ces événements qui semblent s’être terminés trop vite, qu’on aurait voulu voir se prolonger encore un peu, un jour de plus. Il y a aussi ces événements qui restent et qui continuent à réchauffer notre cœur. Tout cela, c’est une partie de qui nous sommes maintenant. Ils nous forment dans notre identité.

Et Dieu était là lui aussi – dans ces différents événements, il se rend présent par sa Parole. Car « tout est venu à l’existence par elle, et rien de ce qui est venu à l’existence n’est advenu sans elle. » (Jean 1,3)

Aujourd’hui on regarde en arrière. « Tout est venu à l’existence par la Parole de Dieu, et rien de ce qui est venu à l’existence n’est advenu sans elle. » Une phrase qui prend différentes couleurs, qui se matérialise dans différents fils, que j’aimerais traverser avec vous.

Trois fils

Le fil où je me trouve en paix

Il y a ces moments de l’année où l’Éternité de Dieu semble avoir rempli ma vie. Ces moments d’alignement où tout résonnait en harmonie : une rencontre, une découverte. Un cadeau inattendu que l’on a reçu. Juste un moment paisible, pour soi, en famille, avec les amis. Peut-être cette promenade dans la forêt où l’on s’est senti plein, en communion avec la nature qui nous entoure. Ou ce moment, le matin, quand je suis en train de boire un café, au début d’une journée paisible. Je parle ici de choses du quotidien. Il peut aussi s’agir d’un moment unique, un moment où tout a changé : un mariage, un anniversaire, un passage important dans la vie.

Ces moments sont comme des phares : des moments de ressources auxquels on peut se raccrocher quand la météo se fait plus orageuse, les conditions plus difficiles et ardues. On y retourne pour puiser courage et force face aux défis qui nous confrontent au quotidien. Ce sont les fils dorés de la tapisserie de notre année.

Ces moments sont à honorer. Ils sont précieux et à soigner. Ce n’est pas pour rien que nous leur donnons une place singulière dans notre mémoire, en tout cas lorsque nous le pouvons. Ils nous fortifient et nous encouragent. Nous y vivons une reconnaissance gratuite, pleine : c’est beau parce que c’est beau, et c’est tout.

Le fil où je me trouve libéré

J’aimerais évoquer un deuxième fil, qui est proche de celui que je viens d’évoquer, mais qui raconte autre chose, une autre histoire.

Certains événements marquent un tournant : je luttais contre une maladie, et j’ai été guéri. J’étais seul et isolé et j’ai retrouvé le lien avec mes proches. Je subissais une situation professionnelle intenable, j’en suis sorti. J’étais dans l’épreuve et j’en ai été libéré. Mon souffle était coupé – et je respire à nouveau.

Ces moments sont tout aussi forts que les états harmonieux que j’ai évoqués avant, mais ont sans doute une couleur un peu différente, peut-être plus douce-amère. Des moments où l’innocence a été entamée, où les choses ne peuvent plus l’être comme elles l’étaient avant. C’est beau, ça peut aussi être exubérant mais c’est peut-être aussi marqué d’une certaine nostalgie.

Le fil où je me trouve en lutte

Finalement, il y a ces moments pour lesquels les mots nous échappent – une couleur pour laquelle il n’y a pas de couleur. Des moments où la libération ne s’est pas passée. Ces moments qu’on voudrait pouvoir oublier, mais qui restent et continuent à être présents pour nous, même s’ils sont dans le passé. C’est une blessure qui ne s’est pas cicatrisée, un licenciement, l’annonce d’une maladie, d’un décès, une dispute qui ne s’est pas résolue. C’est le traumatisme qui se rappelle quotidiennement à nous. C’est ces moments qui nous font douter de tout, du fait qu’il y a quelque chose de bon dans cette existence.

Dans notre tapisserie, c’est le fil que l’on n’a pas choisi, que l’on aurait choisi en aucun cas, parce qu’il défigure le tout, mais qui est quand même là, qu’on le veuille ou non. Et on lutte avec lui.

La tapisserie

Aujourd’hui, c’est le dimanche de l’Éternité. Le point de passage, avant l’entrée dans le temps de l’Avent, où nous recommençons le cycle de l’année ecclésiastique. Nous regardons en arrière et contemplons les couleurs de la tapisserie qui compose notre année. Il y a les fils de la paix, les fils de la lutte surmontée et les fils d’une souffrance qui persiste. Des fils qui se nouent ensemble dans cette toile.

Et qui la gâche ?

Les fils de la souffrance ne gâchent-ils pas ce qu’il y avait de beau, ou les victoires qui composent l’année ? Car la souffrance ne reste pas locale, comme enfermée dans son temps : elle affecte l’ensemble de la tapisserie. On pourrait se dire que ce serait mieux de les oublier. Mais alors leur revanche se fait plus forte : on ne gagne pas à oublier ou à ignorer ce qui fait mal. Le traumatisme qui est ignoré s’installe et nous rend la vie impossible. Il ne peut être relativisé.

Le dimanche des enfants de Dieu

Nous sommes le dimanche de l’Éternité : c’est le jour où le temps dans son ensemble est placé dans la lumière de Dieu. Notre présent, notre avenir, notre passé. Dans son Éternité, Dieu ne surplombe pas ces différentes parties de notre temps. Il s’invite en elles. Par sa Parole, il se rend présent dans notre temps : notre présent, comme notre passé.

Le Prologue de Jean dit des personnes qui ont reçu la parole et qui croient en elle qu’elles ont ce qu’il faut pour devenir « enfants de Dieu » (Jean 1,12). C’est vrai pour nous qui vivons maintenant, pour celles et ceux qui nous serons à l’avenir. Mais c’est vrai aussi pour notre passé.

« Nous ne sommes pas sans ce que nous avons vécu ». Dans la foi, Dieu se rend présent à chacun de ces temps que j’ai évoqués. Il se rend présent dans les temps de paix, pour les faire rayonner, pour leur permettre de nous encourager et de nous consoler au quotidien, d’être une force pour autrui ; il se rend présent dans les moments de victoires, pour maintenir vive en nous l’espérance d’une paix qui a pris racine en nous ; il se rend présent dans les temps de souffrance, en lutte avec nous, à nos côtés et parfois contre nous, mais toujours pour faire naître ces « enfants » qu’il appelle de ses vœux.

Car c’est qui cherche à se montrer dans nos tapisseries, qui cherche à devenir manifeste, à se faire connaître par nous : au milieu de ces nouages se trouve l’enfant que Dieu aime, qu’il se réjouit de voir grandir et qu’il vient rejoindre de sa présence.

Nous sommes le dimanche de l’Éternité, le jour de l’année où nous sommes invités à nous poser avec Dieu devant la tapisserie du temps qui vient de s’écouler – et où Dieu nous parle de ce temps écoulé, et où il nous parle de son temps à lui. Pour se réjouir avec nous des joies et des victoires, pour être présents auprès de nous face aux souffrances qui persistent. Et pour ouvrir nos yeux sur ce que nous ne voyons pas encore dans cette tapisserie – ce qui va encore lui arriver. Un jour où Dieu, de son Éternité, touche la tapisserie de notre histoire. Un jour dédié à l’enfant qu’il voit naître dans notre histoire, dans ces nouages qui ponctuent notre vie, dans cette grande et immense tapisserie.

Amen


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