Mauvaise foi

Prédication prononcée le 16.07.2023 au temple réformé de Crans (VD-CH)

Lectures

Livre du prophète Esaïe 29,15-24

15 Malheur à ceux qui se dérobent à YHWH pour cacher leurs plans, ceux qui sont dans un lieu obscure pour faire leurs œuvres, qui disent « Qui nous voit et qui nous connaît ? »	הֹ֛וי הַמַּעֲמִיקִ֥ים מֵֽיהוָ֖ה לַסְתִּ֣ר עֵצָ֑ה וְהָיָ֤ה בְמַחְשָׁךְ֙ מַֽעֲשֵׂיהֶ֔ם וַיֹּ֣אמְר֔וּ מִ֥י רֹאֵ֖נוּ וּמִ֥י יֹודְעֵֽנוּ׃
16 Vous inversez tout. Considère-t-on le potier comme de l’argile ? L’ouvrage dit-il à celui qui l’a fait « il ne m’a pas fait » ? et le vase dit-il au potier « Il n’y connaît rien ! » ?	הַ֨פְכְּכֶ֔ם אִם־כְּחֹ֥מֶר הַיֹּצֵ֖ר יֵֽחָשֵׁ֑ב כִּֽי־יֹאמַ֨ר מַעֲשֶׂ֤ה לְעֹשֵׂ֨הוּ֙ לֹ֣א עָשָׂ֔נִי וְיֵ֛צֶר אָמַ֥ר לְיֹוצְרֹ֖ו לֹ֥א הֵבִֽין׃
17 Encore un tout petit peu de temps et le Liban ne se transformera-t-il pas en verger et ne considérera-t-on pas le verger comme une forêt ?	הֲלֹוא־עֹוד֙ מְעַ֣ט מִזְעָ֔ר וְשָׁ֥ב לְבָנֹ֖ון לַכַּרְמֶ֑ל וְהַכַּרְמֶ֖ל לַיַּ֥עַר יֵחָשֵֽׁב׃
18 En ce jour, les sourds entendront les paroles du rouleau ; depuis l’obscurité et depuis les ténèbres, les yeux de l’aveugle verront.	וְשָׁמְע֧וּ בַיֹּום־הַה֛וּא הַחֵרְשִׁ֖ים דִּבְרֵי־סֵ֑פֶר וּמֵאֹ֣פֶל וּמֵחֹ֔שֶׁךְ עֵינֵ֥י עִוְרִ֖ים תִּרְאֶֽינָה׃
19 La joie des pauvres augmentera en Yhwh ; les personnes dans le besoin se réjouiront dans le Saint d’Israël.	וְיָסְפ֧וּ עֲנָוִ֛ים בַּֽיהוָ֖ה שִׂמְחָ֑ה וְאֶבְיֹונֵ֣י אָדָ֔ם בִּקְדֹ֥ושׁ יִשְׂרָאֵ֖ל יָגִֽילוּ׃
20 Car ce sera la fin des violents et les escrocs périront ; et tous ceux qui veillaient sur la tristesse seront anéantis,	כִּֽי־אָפֵ֥ס עָרִ֖יץ וְכָ֣לָה לֵ֑ץ וְנִכְרְת֖וּ כָּל־שֹׁ֥קְדֵי אָֽוֶן׃
21 ceux qui par leurs jugements amenaient des personnes à pécher, qui prennent au piège ceux qui débattaient à la porte, qui étendent pour rien le juste.	מַחֲטִיאֵ֤י אָדָם֙ בְּדָבָ֔ר וְלַמֹּוכִ֥יחַ בַּשַּׁ֖עַר יְקֹשׁ֑וּן וַיַּטּ֥וּ בַתֹּ֖הוּ צַדִּֽיק׃ ס
22 C’est ainsi que parle Yhwh à la maison de Jacob, lui qui a racheté Abraham : « Dès maintenant, Jacob ne sera plus humilié et il n’aura plus à pâlir ».	לָכֵ֗ן כֹּֽה־אָמַ֤ר יְהוָה֙ אֶל־בֵּ֣ית יַֽעֲקֹ֔ב אֲשֶׁ֥ר פָּדָ֖ה אֶת־אַבְרָהָ֑ם לֹֽא־עַתָּ֤ה יֵבֹושׁ֙ יַֽעֲקֹ֔ב וְלֹ֥א עַתָּ֖ה פָּנָ֥יויֶחֱוָֽרוּ׃
23 Car lorsque leurs enfants verront l’œuvre de ma main au milieu d’eux, ils sanctifieront mon nom ; ils sanctifieront le saint de Jacob ; ils craindront le dieu d’Israël.	כִּ֣י בִ֠רְאֹתֹו יְלָדָ֞יו מַעֲשֵׂ֥ה יָדַ֛י בְּקִרְבֹּ֖ו יַקְדִּ֣ישֽׁוּ שְׁמִ֑י וְהִקְדִּ֨ישׁוּ֙ אֶת־קְדֹ֣ושׁ יַֽעֲקֹ֔ב וְאֶת־אֱלֹהֵ֥י יִשְׂרָאֵ֖ליַעֲרִֽיצוּ׃
24 Ceux dont le souffle errait connaîtront ; ceux qui murmurent apprendront l’enseignement.	וְיָדְע֥וּ תֹֽעֵי־ר֖וּחַ בִּינָ֑ה וְרֹוגְנִ֖ים יִלְמְדוּ־לֶֽקַח׃

Evangile selon Matthieu 10,16-20

Alors un possédé, aveugle et muet, lui fut amené. Il le guérit, en sorte que la personne muette parle et vive.	22 Τότε προσηνέχθη αὐτῷ δαιμονιζόμενος τυφλὸς καὶ κωφός, καὶ ἐθεράπευσεν αὐτόν, ὥστε τὸν κωφὸν λαλεῖν καὶ βλέπειν.
Et toute la foule fut étonnée et dit : « celui-ci n’est-il pas le Fils de David ? »	23 καὶ ἐξίσταντο πάντες οἱ ὄχλοι καὶ ἔλεγον· μήτι οὗτός ἐστιν ὁ υἱὸς Δαυίδ;
Mais les pharisiens ayant entendu cela dirent : « celui-ci ne peut chasser les démons si ce n’est par Belzébul, le chef des démons ».	24 οἱ δὲ Φαρισαῖοι ἀκούσαντες εἶπον· οὗτος οὐκ ἐκβάλλει τὰ δαιμόνια εἰ μὴ ἐν τῷ Βεελζεβοὺλ ἄρχοντι τῶν δαιμονίων.
Mais ayant connu leurs pensées, il leur dit : « Tout royaume divisé en lui-même est dévasté. Toute ville, ou toute maison, divisée en elle-même ne tiendra pas »	25 Εἰδὼς δὲ τὰς ἐνθυμήσεις αὐτῶν εἶπεν αὐτοῖς· πᾶσα βασιλεία μερισθεῖσα καθ’ ἑαυτῆς ἐρημοῦται καὶ πᾶσα πόλις ἢ οἰκία μερισθεῖσα καθ’ ἑαυτῆς οὐ σταθήσεται.
« Si c’est Satan qui chasse Satan, il est divisé en lui-même ; comment donc son royaume tiendrait-il ? »	26 καὶ εἰ ὁ σατανᾶς τὸν σατανᾶν ἐκβάλλει, ἐφ’ ἑαυτὸν ἐμερίσθη· πῶς οὖν σταθήσεται ἡ βασιλεία αὐτοῦ;
« Et si moi je chasse les démons au nom de Belzébul, vos fils, au nom de qui chassent-ils les démons ? À cause de cela, ils seront vos juges ! »	27 καὶ εἰ ἐγὼ ἐν Βεελζεβοὺλ ἐκβάλλω τὰ δαιμόνια, οἱ υἱοὶ ὑμῶν ἐν τίνι ἐκβάλλουσιν; διὰ τοῦτο αὐτοὶ κριταὶ ἔσονται ὑμῶν.
« Mais si c’est dans l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, alors c’est que le royaume de Dieu vous a atteint. »	28 εἰ δὲ ἐν πνεύματι θεοῦ ἐγὼ ἐκβάλλω τὰ δαιμόνια, ἄρα ἔφθασεν ἐφ’ ὑμᾶς ἡ βασιλεία τοῦ θεοῦ.
« Ou bien : comment quelqu’un pourrait-il entrer dans la maison de la personne forte et se saisir de sa vaisselle, s’il ne l’a pas d’abord ligoté ? Et ainsi, il pillera sa maison. »	29 ἢ πῶς δύναταί τις εἰσελθεῖν εἰς τὴν οἰκίαν τοῦ ἰσχυροῦ καὶ τὰ σκεύη αὐτοῦ ἁρπάσαι, ἐὰν μὴ πρῶτον δήσῃ τὸν ἰσχυρόν; καὶ τότε τὴν οἰκίαν αὐτοῦ διαρπάσει
« Celui qui n’est pas avec moi et contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse. »	30 ὁ μὴ ὢν μετ’ ἐμοῦ κατ’ ἐμοῦ ἐστιν, καὶ ὁ μὴ συνάγων μετ’ ἐμοῦ σκορπίζει.
C’est pour cela que je vous dis tout cela : tous les péchés et tous les blasphèmes seront pardonnés aux êtres humains, mais le blasphème envers l’Esprit ne le sera pas.	31 Διὰ τοῦτο λέγω ὑμῖν, πᾶσα ἁμαρτία καὶ βλασφημία ἀφεθήσεται τοῖς ἀνθρώποις, ἡ δὲ τοῦ πνεύματος βλασφημία οὐκ ἀφεθήσεται.
Et si quelqu’un dit une parole contre le fils de l’Humain, il sera pardonné ; si quelqu’un parle contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné ni en ce siècle, ni dans celui à venir.	32 καὶ ὃς ἐὰν εἴπῃ λόγον κατὰ τοῦ υἱοῦ τοῦ ἀνθρώπου, ἀφεθήσεται αὐτῷ· ὃς δ’ ἂν εἴπῃ κατὰ τοῦ πνεύματος τοῦ ἁγίου, οὐκ ἀφεθήσεται αὐτῷ οὔτε ἐν τούτῳ τῷ αἰῶνι οὔτε ἐν τῷ μέλλοντι.

Le bénéfice du doute

Un bien pour un mal plus grand ?

Je résumerais la logique des pharisiens de la manière suivante : Jésus ferait le bien (guérit une personne), mais ce faisant provoquerait un mal plus grand encore. On en connaît des exemples de ce type, plus ou moins proches de nous – exemples à prendre avec une pincée de sel :

• les missionnaires occidentaux apportent la civilisation, l’éducation et la technologie aux peuplades des colonies. Mais surtout : ils s’accaparent des ressources naturelles et humaines (les esclaves) pour leur propre profit, l’art et les objets de valeur des cultures indigènes pour leur propre plaisir et leur propre prestige.
• Les réacteurs nucléaires nous donnent accès à beaucoup d’énergie sans augmenter le taux de CO2 dans l’atmosphère : une énergie favorable au climat ! Mais surtout : ils produisent des déchets qui empoisonnent l’environnement pour une très longue période et génèrent des cancers. Une fuite dans un dépôt de déchêts nucléaire et c’est toute une zone qui est condamnée.  
• tout ce qui a le nom de thérapie ne soigne pas forcément. Certaines « thérapies » provoquent même des dégâts irréparables – je pense notamment aux témoignages que l’on récolte au sujet des fameuses thérapies de conversion. Mais il y aurait sans doute d’autres exemples que l’on pourrait évoquer dans le domaine de la santé.

Ces exemples invitent au doute : on commence à ne plus pouvoir faire confiance à ce que l’on voit à première vue, à ce que l’on nous dit.

Questionner Jésus ?

Jésus, le faiseur de miracles. N’y a-t-il pas une certaine vigilance critique à avoir ? Ne risquons-nous pas de tomber dans le piège du caractère extraordinaire des guérisons miraculeuses ? N’y a-t-il pas cette autre parole de Jésus, qui nous invite aussi à cette vigilance critique :

« Gardez-vous des faux prophètes ! Ils viennent à vous en vêtement de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. »

Evangile selon Matthieu 7,15

On peut poser des questions, avoir un regard critique. Mettre la réalité à l’épreuve : chercher ce qui se rapproche le plus de la vérité. Mais ce n’est pas ce que font les pharisiens dans ce passage de l’évangile.

Preuve de mauvaise foi

Absurdité

L’accusation des pharisiens a un effet un caractère absurde. Elle ne peut que difficilement convaincre, si on prend le temps de l’examine.  Jésus chasserait les démons avec l’aide du prince des démons : mais pourquoi le malin dépenserait-il de l’énergie à libérer une personne de son pouvoir ? Pourquoi rendrait-il à l’être humain la parole, la vue ou la raison alors qu’il le tenait sous son joug ? Le caractère absurde de l’accusation des pharisiens révèle en creux leur intention : il s’agit de décrédibiliser Jésus, de faire que le peuple détourne le regard – même si c’est au prix de la logique. L’effet compte plus que le bon sens.

Obstruction

Le biologiste et écrivain Jean Rostand aurait écrit : « L’odieux dans la mauvaise foi, c’est qu’elle finit par donner mauvaise conscience à la bonne foi. » La mauvaise foi tord notre regard sur la réalité.

Pourquoi est-ce que cette mauvaise foi paraît si impardonnable à Jésus ? Pourquoi s’arrête-t-il avec tant de véhémence sur ce point ?

Ce qui est important pour Jésus, ce n’est pas le respect de sa propre personne, mais le fait que l’Esprit de vie soit donné au monde, que l’Esprit qui fait vivre toute vie circule, que l’Esprit qui inaugure le Royaume de paix sur terre soit répandu. La mauvaise foi des pharisiens entrave le travail de l’Esprit. Elle met des bâtons dans les roue d’une vie qui pourtant est donnée gratuitement. Et mettre des bâtons dans les roues du travail de l’Esprit c’est quelque chose de particulièrement grave : c’est entraver ce qui nous fait vivre pleinement, c’est entraver l’écoulement de la source de toute vie bonne et pleine.

Impasse

Cette posture de mauvaise foi est d’autant plus rageante que les pharisiens devraient être les premiers à reconnaître ce qui est en train de se passer autour de Jésus : ils sont experts de la Loi et des prophètes, ils entretiennent et soignent la tradition, ils espèrent la venue du Messie et de grands changements sociétaux et politiques. Ils ont les connaissances nécessaires pour reconnaître les signes du Royaume et les guérisons effectuées par Jésus sont des indices très clairs de l’accomplissement des promesses de Dieu, telles qu’elles ont été annoncée par les prophètes.

La mauvaise foi dont font preuves les pharisiens montre qu’ils sont en fait préoccupés par autre chose que par l’entrée du règne de Dieu dans le monde. Peut-être par une certaine pureté morale ? Une certaine vision de l’ordre des chose ? Une certaine compréhension de la Loi, qui fait passer le respect des règles avant la vie des personnes. Peut-être qu’ils sont préoccupés par le pouvoir, le prestige et l’autorité que leur donne leur rigueur morale, leur capacité à interpréter la Loi. Jésus – cet homme qui ne pense qu’à manger et à boire, cet ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs (cf. Matthieu 11,19) – remet tout cela en question. Cela ne serait pas si problématique s’il n’attirait pas autant l’attention sur lui, si le peuple ne commençait pas à se poser des questions : est-ce le Fils de David ? On peut peut-être avoir de la compréhension pour leurs motivations. Mais leur mauvaise foi reste et persiste.

Leur mauvaise foi illustre une impasse : au fond, je vois bien que je n’ai pas d’argument en faveur de ma position. Mais je vais quand même la tenir, même si c’est absurde. Je refuse de changer de position, alors que tout dans la réalité m’y appelle. C’est une impasse dans la relation entre Jésus et les pharisiens.

Donner réponse à la mauvaise foi

Travail sur soi

D’abord débusquer les moments où nous-mêmes faisons preuve de mauvaise foi. Et cela signifie de dé-brouiller notre regard, pour que nous puissions à nouveau porter notre attention sur ce qui compte et de nous réjouir lorsque le royaume arrive, indépendamment des conséquences pour notre propre statut, nos propres conditions de vie : lorsque la vie, à son niveau le plus basic, est restaurée, lorsque nous sommes témoins d’une guérison, d’une réconciliation, lorsque quelqu’un trouve à nouveau sa place dans la société.

La reconnaissance et la valorisation de cette simplicité de la vie du Royaume devrait être notre préoccupation première. C’est pour cela que nous devons-nous même demander l’aide de l’Esprit, quotidiennement, pour ne pas perdre de vue cette réalité simple et directe de la vie restaurée : d’avoir accès à ce regard neuf, lorsque les plus affligés trouvent une joie pleine, lorsque les plus démunis peuvent à nouveau faire résonner leur voix dans notre vie, dans nos sociétés.

Ne pas perdre espoir

Mais il reste aussi la mauvaise foi qui nous confronte chez les autres – celle dont nous sommes témoins au quotidien. Face à la mauvaise foi qui persiste, il s’agit de rester dans l’espérance :

« Eux qui avaient perdu tout bon sens, ils commenceront à me comprendre ; eux qui protestaient toujours, ils se laisseront instruire »

Esaïe 29,24

Autant le texte d’Esaïe condamne sans retour les paroles qui tordent la réalité, autant il s’attend à ce que ces mêmes personnes qui tordent la réalité changent. La mauvaise foi n’aura pas le dernier mot face à la puissance de l’Esprit.

Notre tâche ne peut être de contraindre par la violence, contraindre les personnes faisant preuve de mauvaises foi à développer quelque chose comme une « bonne foi » (si ça existe). Notre tâche est de continuer ce travail patient et long en vue du Royaume qui vient. Pour ce qui nous concerne : continuer à nous mettre à l’école de Jésus, sans laisser la mauvaise foi nous impressionner, d’en démasquer l’absurdité lorsqu’elle est apparente et de continuer à prier, et ne pas renoncer à cette espérance, que même les plus bornés peuvent être touchés par l’Esprit de Dieu. Amen

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