Lecture en spiritualité #3 | Un concept de spiritualité chrétienne

Introduction

La théologienne luthérienne Corinna Dahlgrün a produit avec son Christliche Spiritualität. Formen und Tradition der Suche nach Gott (Mohr Siebeck, 2018²) l’une des oeuvres de référence sur l’étude de la spiritualité en théologie protestante germanophone. Son livre propose une description phénoménologique de 7 types de la « quête de Dieu » en christianisme, une histoire de la « spiritualité chrétienne » ainsi que la description de différentes formes de « spiritualité chrétienne ».

À la suite de son enquête phénoménologique, elle propose un concept de spiritualité, qui cadre de manière assez complète le contenu d’une spiritualité chrétienne.

Le concept

La spiritualité chrétienne est la relation d’amour à Dieu (4) et à son commandement (2), l’attitude de dévouement dans la réalisation de cette relation, suscitée et sollicitée (2) par l’action de Dieu (1) – qui peut être expérimentée par l’être humain (3) comme action libératrice, comme Parole transmise et comme communication présente de l’Esprit de Dieu (6) ; en conséquence, cette relation d’amour à Dieu comprend également la relation au prochain (4) comme amour actif (5) et la responsabilité à l’égard du monde, comme création qui nous a été confiée par Dieu (4) ; cette relation est réalisée par l’individu et par la communauté des croyants dans laquelle il se trouve placé (7), dans un processus qui ne trouve pas sa fin dans ce monde (10), et où les divers éléments s’influencent mutuellement (9), en ceci que mon expérience imprègne ma piété, ma foi, laquelle influencera ensuite ma relation au monde, et que les expériences faites avec le monde influencent à leur tour ma foi ; et ce processus comme avec lui toutes mes pensées, mes sensations et mes actions, doit toujours faire l’objet d’une réflexion nouvelle, dans le but d’une connaissance de soi et d’une responsabilité à l’égard de la pratique face à l’intégralité de la Parole de Dieu transmise et de ses interprétations possibles (8) – Christliche Spiritualität, pp. 107-108 (ma traduction).

Quelques précisions

Cette expérience de la relation d’amour se présente premièrement comme une expérience du sacré. Elle ne peut être construite : c’est une expérience où l’être humain se trouve saisi par une puissance qui la dépasse. Cette expérience est profondément ambivalente. Toute forme d’expérience du sacré implique donc un travail de discernement des esprits, qui doit notamment viser à faire la part entre les aspects psychologiques de telle expérience et de ce qui en elles relèvent réellement du Dieu qui se donne dans une relation d’amour.

La théologie protestante insiste sur la primauté de l’action de Dieu dans la spiritualité (sola gratia). Le processus de sanctification dans lequel se retrouve le croyant ou la croyante n’amène pas la libération inaugurale, mais est un chemin où la personne cherche à se maintenir dans l’ouverture à Dieu et se prépare ainsi à sa rencontre renouvelée.

Dans son cheminement spirituel, il s’agit également de se faire guider, d’être accompagné par une personne qui aura pour rôle d’introduire une distance à soi-même et à sa propre expérience, notamment pour soutenir le discernement à l’égard des expériences du sacré. Ce guide doit à la fois avoir le charisme du discernement des esprits et un charisme d’humilité.

Quelques critères

Au niveau de la compréhension que les croyants et croyantes ont de leur spiritualité ils sont appelés à considérer que la spiritualité chrétienne est initiée par Dieu seul, que Dieu peut être expérimenté, que Christ se trouve au centre, qu’elle est animée d’une « aspiration à Dieu », qu’ils doivent maintenir une réserve dans l’appréciation des réalisations liées à leur spiritualité (elles ne peuvent être confirmées que par Dieu).

Au niveau du faire et de l’agir, Dahlgrün souligne que la « spiritualité chrétienne » doit chercher à exprimer le double commandement d’amour, qu’elle implique une forme d’ascèse, une prière continue (quelle qu’en soit la forme), la lecture régulière des Écritures, la recherche de la vie communautaire (centrée autour de l’écoute de la Parole et de la célébration des sacrements) et la recherche d’un guide spirituel.

Finalement elle indique également les traits de caractères caractéristiques de la « spiritualité chrétienne » : l’humilité, l’obéissance, le renoncement à toute forme d’assurance, une disposition à toute attendre de la part de Dieu, l’espérance joyeuses (en référence à Rm 12,12).

Remarques

L’insistance sur la relation est caractéristique d’une théologie luthérienne contemporaine. Elle souligne chez Luther la présence d’une compréhension relationnelle de la subjecitvité qui contraste avec une compréhension moderne du sujet comme individu autonome. Cette compréhension relationnelle du sujet se marie assez bien avec les aspects « mystiques » de sa christologie – on peut penser ici à certains passages du Traité de la liberté du chrétien.

À certains égards, la compréhension de Dahlgrün peut paraître assez conservatrice et traditionnelle. En même temps, elle valorise fortement le moment de l’expérience – notamment le fait que Dieu lui-même puisse être expérimenté – ce qui est un revirement important par rapport à une théologie protestante réfractaire à toute identification de Dieu avec des parties de l’existence humaine.

Dans une période où l’on est très attentif aux abus spirituels, l’insistance sur la nécessité d’avoir un guide ou un conseiller spirituel doit être soutenue avec la plus grande prudence et précaution. Autant l’importance du passage par le tiers dans le cheminement spirituel me semble important, autant le type d’autorité qui se déploie dans cette relation doit elle-même être bien encadrée ou délimitée – la seule référence au charisme ne me semble pas suffisant ici.

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