Lecture en spiritualité #2 | Sur les traces de Jésus

L’essai de Jean Zumstein est une tentatives récente de la part d’un théologie protestant de proposer un profil de spiritualité chrétienne. En se focalisant sur le témoignage rendu à la Parole vivante qu’est Jésus-Christ, il indique les contours d’un cheminement possible dans la quête de sens et d’identité de l’être humain.

Jean ZUMSTEIN, Sur les traces de Jésus. Un essai de spiritualité chrétienne, Genève, Labor et Fides, 2021, 240 p.

Cadre général

Zumstein propose une interprétation de la « spiritualité » du christianisme primitif (surtout en référence aux évangiles canoniques et aux lettres de Paul), et d’autre part il met cette interprétation en comparaison avec d’autres horizons : celui donné par les penseurs de l’antiquité (surtout les traditions contemporaines au christianisme primitif), celui donné par la modernité (Blaise Pascal est régulièrement invoqué) et aussi par d’autres perspectives religieuses (surtout le bouddhisme).

La « spiritualité » est comprise dans cet essai comme une conversation intérieure où « ce qui est en jeu, c’est la conduite de la vie personnelle, la question du sens à lui donner, l’aspiration à la compréhension de soi. » (p. 22) Zumstein précise d’emblée quelle est la finalité de cette conversation intérieure pour le christianisme : « Donner du sens, mettre en perspective et créer du possible grâce à la Parole reçue. » (p. 30)

L’objectif poursuivi par Zumstein n’est pas de faire une présentation systématique et complète de la spiritualité chrétienne, mais de « tracer un itinéraire » (p. 230) afin de « faire valoir (l’)offre de sens » (p. 232) du christianisme. Dans une perspective toute protestante, cette offre de sens se construit sur la base d’une relecture des Écritures, comprises comme « mémoire fondatrice » du christianisme, sur la base de la conviction « que dans l’histoire du Nazaréen, c’est la parole ultime de Dieu pour le monde qui s’exprime. » (p. 229)

Un dernier point : pour Zumstein. Si la « spiritualité » aspire à une Vérité, nul ne peut se targuer de la posséder. Ceci implique une perspective ouverte et tolérante à l’égard de la manière dont chacune et chacun va tenter d’articuler cette vérité. Sa propre interprétation de la « spiritualité » du christianisme primitif est elle-même comprise comme une possibilité parmi d’autres et qui doit aussi être éprouvée dans le dialogue.

Itinéraire thématique

La relation. Le « Je » croyant se découvre au sein d’une relation avec un « Tu » (cf. Martin Buber). C’est une relation asymétrique (Dieu a l’initiative) et d’accueil, qui implique le langage et qui est porteuse de vie en abondance.

Dieu. « Dieu » est le signe d’une altérité totale par rapport au monde. Dans la perspective chrétienne, c’est un Dieu qui vient du futur (qui arrive/qui vient) et qui dans sa venue apporte une libération à l’égard de toute forme de mal, ouvrant ainsi l’accès au bonheur. Le fait que ce Dieu se révèle dans la crucifixion de Jésus indique qu’il reste entièrement imprévisible, ne se laisse pas enfermer dans les images qu’on peut se faire de lui.

Connaissance. La spiritualité chrétienne n’est pas porteuse d’une connaissance assurée, mais vise des effets disruptifs : à partir de la croix et dans la prédication de Jésus, la connaissance établie est mise en crise, pour être renouvelée.

Bonheur. Être de relation, l’être humain aspire à la reconnaissance d’autrui. La foi chrétienne découvre cette reconnaissance comme un don inconditionnel et non comme un bien à acquérir de haute lutte. Dans la perspective de Jésus, le bonheur est une promesse pour l’existence présente, elle est une mise en perspective d’une vie fondamentalement ambigüe « à la lumière de la solidarité du Dieu qui vient » (p. 82). Il implique la reconstruction des relations sociales, de la relation avec Dieu et le don d’une reconnaissance inconditionnelle – la notion de « justice » est elle aussi reconfigurée à partir de cette logique du don. Zumstein offre ici une réinterprétation de ce que signifie le « salut ».

Liberté. Le don de la relation à Dieu vient avec une libération pour un engagement renouvelé dans les relations et potentiellement à une transformation des aliénations sociales. Libération à l’égard d’un Soi en quête perpétuelle de reconnaissance, d’une Loi jamais satisfaite, d’un Monde placé sous le signe de la fatalité, du caractère définitif de la Mort, de la Rupture de la relation.

Foi. Pour le christianisme primitif, selon Zumstein, la « foi » désigne avant tout le cheminement existentiel – ici des disciples avec leur maître. La foi consiste « dans une relation, dans le fait de mettre toute sa confiance dans la personne de Jésus comme visage de Dieu au sein du monde » (p. 113) – particulièrement dans l’évangile selon Jean. Cette confiance se cristallise chez Paul autour de l’attachement à la « confession de la mort et de la résurrection du Christ accueillie comme le geste libérateur de Dieu au bénéfice de tous les êtres humains. » (p. 113). Le croire, comme chemin de la foi, « est un acte de (re)connaissance de l’action de Dieu ou, en d’autres termes, l’adhésion de toute la personne à une parole qui transforme l’existence. » (p. 113) Sur ce chemin, il peut y avoir des hauts et des bas, des doutes, des hésitations, voir des effondrements complets. Mais Dieu ne retire pas pour autant son don.

Éthique. Le christianisme offre une réinterprétation de l’éthique : il radicalise la relation entre le commandement d’amour à l’égard de Dieu et d’autrui en intégrant l’amour de l’ennemi. Simplification et créativité sont les caractéristiques de cette éthique. Ceci implique un geste de prise de distance critique par rapport aux normes et valeurs en vigueur, ainsi qu’un décentrement en vue d’autrui – qui comprend l’ensemble du vivant. « Pour le disciple de Jésus, le bien d’autrui est plus important que l’affirmation débridée de sa conviction. » (p.147)

Prière. Si la « spiritualité » est une conversation intérieure, la prière elle est la conversation avec Dieu (le « Tu » éternel). À la suite de Jésus, elle implique notamment un renoncement à la toute-puissance – ce qui n’exclut ni la demande, l’expression de désirs, ni le cri face à l’injustice subie (cf. Mc 15,34). Le Notre Père est le lieu d’apprentissage de la prière. La prière est l’habitation d’une situation de fragilité, comme « espace de la présence libératrice de Dieu » (p. 163).

Le monde et la nature. Tout en étant reconnu comme un espace profondément ambivalent, le monde est d’abord compris comme l’espace de déploiement du bonheur – c’est ce qu’il est comme création de Dieu. Cette compréhension est rendue possible grâce à la distance critique introduite par la Parole de Dieu : le monde dans sa condition actuelle n’est pas identique avec la création de Dieu. Cet écart permet d’habiter de manière créative et résiliente un monde toujours menacé de plonger dans le chaos. Dans la résistance face au chaos, le respect et la bienveillance sont les attitudes cardinales à adopter selon le christianisme antique.

Le temps. Le rapport au temps est celui du pardon (« La foi revisite le passé pour le relire dans la perspective du pardon. » p. 183) et de l’attente d’une nouveauté qui libère d’un souci qui fait du présent une prison. Ce double rapport pardon-attente donne le cadre pour un agir libéré.

Mort. La foi chrétienne suppose un regard lucide sur la mort. Elle est là, elle existe. Elle invite notamment à concevoir la vie comme un don : la vie est plus que le cours de la vie biologique. La fin de la vie dans la mort ne signifie pas la fin de la relation. À partir de la perspective donnée par la résurrection, la mort de Jésus sur la croix n’est pas une mort qui ferme, mais une mort qui ouvre l’avenir. Dieu garde et accueille les relations : lucidité, confiance et apaisement.

Mémoire. À la suite de Jésus, la présence de Dieu dans le monde se pense sous le mode de l’Esprit, c’est-à-dire : le don d’une identité renouvelée, au travers du faire-mémoire de la vie de Jésus, dans l’attente de son retour. « La mémoire des premiers chrétiens n’est ainsi pas un acte de commémoration au sens habituel, mais un geste qui conduit à une rencontre à venir. » (p. 224, en référence à Jn 14,26). La Cène et le Baptême sont les instances communes aux chrétiens de ce faire-mémoire.


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