Table des matières
Lectures
Genèse 12,1-3
Le Seigneur dit à Abram : Va-t’en de ton pays, du lieu de tes origines et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand, et tu seras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te maudira. Tous les clans de la terre se béniront par toi.
Evangile selon Matthieu 2,1-18
Après la naissance de Jésus, à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem et dirent : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus nous prosterner devant lui. A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. Il rassembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui dirent : A Bethléem de Judée, car voici ce qui a été écrit par l’entremise du prophète : « Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certainement pas la moins importante dans l’assemblée des gouverneurs de Juda ; car de toi sortira un dirigeant qui fera paître Israël, mon peuple. » (Michée 5,1 ; Ezéchiel 34,23ss)
Alors Hérode fit appeler en secret les mages et se fit préciser par eux l’époque de l’apparition de l’étoile. Puis il les envoya à Bethléem en disant : Allez prendre des informations précises sur l’enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que moi aussi je vienne me prosterner devant lui.
Après avoir entendu le roi, ils partirent. Or l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les précédait ; arrivée au-dessus du lieu où était l’enfant, elle s’arrêta. A la vue de l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent l’enfant avec Marie, sa mère, et tombèrent à ses pieds pour se prosterner devant lui ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en rêve de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Après leur départ, l’ange du Seigneur apparut en rêve à Joseph et dit : Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à nouvel ordre ; car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire disparaître. Joseph se leva, prit de nuit l’enfant et sa mère, se retira en Egypte et y resta jusqu’à la mort d’Hérode. Cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l’entremise du prophète : « D’Egypte j’ai appelé mon fils. » (Osée 11,1)
Quand Hérode se vit joué par les mages, sa fureur fut extrême ; il fit supprimer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans son territoire, d’après l’époque qu’il s’était fait préciser par les mages. Alors s’accomplit ce qui avait été dit par l’entremise du prophète Jérémie : « Une voix s’est fait entendre à Rama, des pleurs et beaucoup de lamentations : c’est Rachel qui pleure ses enfants ; elle n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus. » (Jérémie 31,15)
Prédication
Cette prédication a été prononcé la première fois le dimanche 5 janvier au temple de Burtigny
Signe évident
Aujourd’hui c’est le dernier dimanche du temps de Noël, cette brève période qui s’étend de la veillée de Noël jusqu’au dimanche de l’Épiphanie. À Noël Dieu révèle la gloire de son Fils aux bergers et à la nouvelle famille. Durant l’Épiphanie, cette gloire est révélée à l’ensemble du monde peuplé. C’est ce que symbolise la venue des mages.
Celui ou celle qui connaît un peu les prophéties de l’ancien testament verra là un signe de la venue du messie de Dieu : les prophètes formulent la vision d’un rassemblement des peuples du monde vers la ville de Jérusalem, alors que le peuple se trouve dispersé en exile, que la capitale du Royaume doit être reconstruite.
Par exemple dans Esaïe 60 : « Debout Jérusalem, brille de mille feux, car la lumière se lève pour toi : la gloire du Seigneur t’éclaire comme le soleil levant […] Alors des peuples marcheront vers la lumière dont tu rayonnes, des rois seront attirés par l’éclat dont tu te mettras à briller. » (Esaïe 60,1-3) Il y aurait encore d’autres exemples à citer. La venue des mages à la suite de l’étoile est un signe est absolument évident : le nouveau roi est né, le messie du Dieu d’Israël est arrivé.
Violence manifeste
Ce qui a retenu mon attention en méditant ce récit pour préparer cette prédication, c’est la réaction d’Hérode et de la ville de Jérusalem à ce signe : plutôt que d’être dans la joie et la reconnaissance, ils répondent par la défiance et la violence. En mettant à mort les petits enfants à Bethlehem et dans les alentours, Hérode se range du côté des chefs de guerres, pharaons, rois et empereurs qui ont persécutés et violentés le peuple d’Israël au cours de son histoire.
Mais Hérode n’est pas tout seul dans cette violence. Il est rejoint par l’ensemble de la ville, symbolisé par les scribes et les prêtres. Rien d’étonnant pour celui ou celle qui connaît la suite des événements : ce n’est là que le début d’un conflit qui va traverser l’ensemble de l’évangile selon Matthieu et qui culminera lors de la crucifixion : les passants de la ville et les dignitaires se moquent de Jésus alors qu’il est suspendu à la croix. Et c’est précisément sa royauté qui est sujette de moquerie : « Il est le roi d’Israël ? Qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. Il a mis sa confiance en Dieu et a déclaré ‘Je suis le Fils de Dieu.’ Eh bien, si Dieu l’aime, qu’il le sauve maintenant !» (Mt 27,41-42) Il y a un lien sombre et douloureux entre le début de l’évangile avec le massacre des innocents et ce moment de la crucifixion.
Inquiétude
Culturellement et par habitude, nous percevons Noël comme une fête de la lumière. Et pourtant, avec ce récit de l’Épiphanie, une forme d’obscurité se fait présente, créant un contraste frappant. D’un côté des étrangers, qui a priori ne connaissent rien de l’histoire de Dieu et de son peuple, des étrangers qui viennent rendre hommage au roi du peuplé élu. De l’autre, le peuple élu et ses autorités qui répondent à cette naissance avec suspicion, violence et pulsion de mort.
Pour l’évangile, Dieu se rend présent auprès de son peuple, auprès de sa création. Il traverse l’Éternité pour nous rejoindre – « Emmanuel », Dieu avec nous. Et certains répondent à cette venue par la peur, par l’épée et le sang versé. C’est un fait choquant. Il l’est d’autant plus que cette violence vient de celles et ceux qui ont toutes les clefs pour décrypter la venue du salut dans le monde – celles et ceux qui possèdent les prophéties et leur interprétation.
Chemin et transformation
Le refus violent de la présence de Dieu fait partie du chemin que Dieu parcourt avec nous. Au début de ce chemin se trouve une promesse : devenir une bénédiction pour toute la création, une source de vie, de joie et de plénitude pour tout ce qui vit et respire.
Cette promesse persiste, mais le chemin s’avère toutefois cahoteux, incertains – marqué d’une violence qui réapparait à chaque fois que la confiance dans le Dieu de la promesse vacille. C’est bien ce que nous montre l’histoire du peuple d’Israël, depuis le départ d’Abraham jusqu’à l’Exil du peuple hors de la terre promise. Mais c’est aussi un chemin où des transformations ont lieu. Où la situation et les personnes changent : Jacob, le margoulin, le filou, se bat à main nue avec Dieu. Blessé, il s’appelle maintenant Israël. De même pour Saul, le persécuteur de l’Église qui devient Paul, l’apôtre des nations.
Cette relation ambivalente à la violence n’est pas le propre du peuple élu – car nous qui sommes membres du corps du Christ, nous avons été rattachés à l’histoire de ce peuple. Nous sommes les bénéficiaires d’une même promesse, et manifestons une même propension à la violence. Sur ce chemin, la violence d’Hérode, la violence de Jérusalem, ne nous est pas étrangère.
Rien ne nous dit donc que cette violence était nécessaire – mais elle a lieu. Et Dieu est celui qui ouvre des chemins qui invitent à ne pas y rester enfermer.
Miroir du chemin
Ce récit nous offre un miroir de notre propre cheminement en direction de l’Emmanuel, de Dieu qui s’est rendu présent auprès de nous. Nous sommes mages, comme nous sommes Hérode.
L’Emmanuel n’arrive pas là et comme nous l’attendions, il apparaît ailleurs qu’à l’endroit où nous sommes installés, là où nous avons de la sécurité, du pouvoir, de l’autorité. Et cela veut dire que retrouver l’Emmanuel, c’est sortir de chez soi, sortir de sa zone de confort et de privilèges. Mais plus loin, la rencontre avec l’Emmanuel nous confronte à la violence qui peut prendre possession de nous lors de cette rencontre.
Car il y a fort à parier que lorsque nous rencontrerons l’Emmanuel, nous serons saisis de jalousie, de peur, voire de suspicion : parce que d’autres personnes nous aurons précédé pour aller le rencontrer. Nous qui nous comprenons comme les membres du corps du Christ, nous ne serons pas les premiers – peut-être même que nous serons les derniers à le rencontrer.
Saisis
Nous serons saisis de jalousie, de peur et de suspicion, parce que nous ne rencontrerons pas celles et ceux que nous nous attendrions de rencontrer. En fait, c’est plus que ça : auprès de l’Emmanuel, nous rencontrerons celles et ceux que nous ne voulons surtout pas rencontrer – ceux qui nous dégoûtent, qui nous embêtent, qui nous dérangent. Celles et ceux que nous n’aimons pas. Nous ne serons pas chez nous, mais à l’étranger. Nous serons saisis de jalousie, de peur et de suspicion, parce qu’au cours de notre chemin nous perdrons tout ce qui nous empêche d’atteindre notre destination, tout ce qui empêche l’Emmanuel de nous rejoindre. Nous serons saisis de jalousie, de peur et de suspicion, parce qu’il s’agit en définitive de l’adorer lui, le seul Seigneur, de l’écouter, de vivre selon son enseignement. Que ce n’est jamais nous qui serons adorés, mais toujours nous qui devrons en adorer un autre.
Oui, le récit de Noël nous confronte à tout cela. Et tout cela, c’est ce qui se trouve sur notre chemin à nous, quelque part entre celui de mages étrangers celui d’un tyran qui cède à la panique.
Ce que je décris peut paraître dur, un chemin que l’on n’a pas envie d’entreprendre – notamment parce qu’il nous confronte à cette violence. Mais Noël c’est un cri d’espérance, de joie, de confiance dans l’adversité. Noël c’est l’espérance qu’au bout de ce chemin, je vais me découvrir ni mage, ni tyran, mais je vais me découvrir disciple de l’Emmanuel, et comme son disciple j’entendrais que Dieu me reconnaît comme son enfant aimé, porteur d’une bénédiction qui surpasse tout ce que nous aurons traversé sur la route qui mène à l’Emmanuel, le seul que nous voulons adorer.
Amen.
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