Ecoute Israël (Dt 6,1-9.20-25)

Texte biblique

Deutéronome 6,1-9.20-25 (NFC)

Voici les commandements, les décrets et les règles que le Seigneur votre Dieu m’a ordonné de vous enseigner, pour que vous les mettiez en pratique dans le pays dont vous allez bientôt vous emparer. Tu apprendras ainsi, tout au long de ton existence, à reconnaître l’autorité du Seigneur ton Dieu et à obéir aux décrets et aux commandements que je t’ai donnés, pour toi et pour tes descendants, afin que tu jouisses d’une longue vie. Tiens-en compte, Israël, et veille à les mettre en pratique. Tu y trouveras le bonheur et tu deviendras un peuple nombreux dans ce pays qui ruisselle de lait et de miel, comme l’a promis le Seigneur, Dieu de tes pères.

Écoute, Israël : Le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta force. Les paroles que je te donne aujourd’hui demeureront sur ton cœur. Tu les répèteras à tes enfants ; tu en parleras quand tu seras assis chez toi ou quand tu seras en route, quand tu te coucheras ou quand tu te lèveras. Tu les attacheras sur ton bras et sur ton front, 9tu les écriras sur les montants de porte de ta maison et sur les portes de tes villes.

[…]

Lorsque, dans l’avenir, ton fils te demandera : « Pourquoi le Seigneur notre Dieu vous a-t-il donné ces instructions, ces décrets et ces règles ? », tu lui répondras : « Nous étions esclaves du pharaon en Égypte, et le Seigneur nous a fait sortir de ce pays grâce à sa puissance irrésistible. Nous avons vu les signes impressionnants et les prodiges par lesquels il a infligé le malheur au pharaon, à sa famille et à tout son peuple. Il nous a fait sortir d’Égypte pour nous conduire dans le pays qu’il veut nous donner, comme il l’a promis à nos ancêtres. Alors il nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois. Nous trouverons en tout temps le bonheur si nous reconnaissons l’autorité du Seigneur notre Dieu ; il nous maintiendra en vie, comme c’est le cas aujourd’hui. Oui, si nous mettons soigneusement en pratique tous les commandements que le Seigneur nous a donnés, notre conduite sera conforme à ce qu’il veut. »

Prédication

Cette prédication a été prononcé la première fois le dimanche 24 octobre au temple de Signy

« Écoutes Israël : le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force  ». C’est peut-être l’un des textes les plus anciens de l’Ancien Testament. Un serment qui se trouve à la source du monothéisme – à la source de la foi chrétienne elle-même.

C’est presque comme une confession de foi. Cette phrase ressemble au Credo/Symbole des Apôtres, ou au Notre Père – encore qu’elle soit beaucoup plus simple à mémoriser que le Notre Père, ou encore que le Credo.

D’ailleurs, lorsqu’un spécialiste des Écritures demande à Jésus quel est le plus grand des commandements, il lui répond cela : « Écoutes Israël : le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta pensée et de toute ta force  ».

Lorsque nous confessons un seul Dieu (Père, Fils et Saint-Esprit), nous nous lions à ces mots dits par Israël jour après jour. Et nous nous lions ainsi aux héritiers et héritières de ce peuple. C’est parce qu’eux et elles disent inlassablement l’unicité de Dieu, et leur amour pour lui, que nous pouvons le faire nous-mêmes. C’est une part de la grâce de Dieu dans le monde.

Comment entendre ces mots aujourd’hui alors que le conflit fait rage au Proche Orient et que l’État d’Israël ne semble reculer devant aucune violence ?

« Écoute Israël ». Peut-être qu’on aurait envie aujourd’hui d’utiliser ces mots pour interpeller des personnes comme le Premier ministre Netanyahou ou son ministre de la défense Yoav Gallant – à toute personne qui entretient la spirale infernale. Avec l’espérance que l’écoute interrompe le cycle d’une violence macabre et sans bornes. Car pour écouter, pour écouter vraiment, il faut s’arrêter – on ne peut pas continuer son geste, on ne peut pas continuer à tuer.

Et en même temps, cette confession contient toute l’ambivalence de l’histoire d’Israël – notamment dans la relation entre le peuple et la terre. Ces deux phrases sont une base fondatrice pour l’identité du peuple en Exil et dans la dispersion. Elle fait que le peuple est un par-delà les contingences politiques et les frontières nationales. En même temps, cette phrase lui sert aussi de référence de base pour habiter le pays : comme le préambule d’une Constitution pour pouvoir bien vivre dans la terre promise. C’est d’ailleurs très clair dans plusieurs parties du texte que nous avons entendu : il y est fait mention de la terre que Dieu a promise au peuple, de la joie qu’on y trouve, mais aussi de la prise de pouvoir sur le terrain. Si le peuple pratique les paroles que Dieu lui transmet, alors il trouvera le bonheur dans le pays, il deviendra nombreux, comme Dieu le lui a promis en le libérant d’Égypte et comme il l’a promis à la descendance d’Abraham.

On doit s’arrêter pour écouter. Mais ça ne veut pas encore dire que l’on va cesser de rêver du pays promis ou que l’on ne va pas chercher à faire usage de la violence pour conquérir ou défendre ce pays. La seule chose que l’on peut attendre de l’écoute, c’est que l’on agisse en conséquence de ce que Dieu commande.  

Méditer

Nous ne pouvons pas trancher notre lien avec Israël. Nous ne pouvons pas non plus trancher aujourd’hui dans l’ambivalence douloureuse de notre relation à l’État d’Israël – comme si l’on pouvait si facilement distinguer l’État moderne d’Israël de l’histoire du peuple d’Israël et bien que l’on soit légitimé à le faire, et que cela peut même être aidant de le faire.

Nous ne pouvons pas trancher ce lien. Mais ce que nous pouvons faire en revanche, c’est méditer avec Israël cette parole qui nous rassemble avec eux. Car ce qui est en jeu au bout du compte c’est le geste même de l’Écoute. Le fait même que nous nous mettions à l’écoute, c’est le signe que Dieu vient chez nous et converti lui-même nos cœurs à sa volonté. « Le Seigneur ton Dieu lui-même circoncira ton cœur et celui de tes descendants, pour que tu l’aimes de tout ton cœur et de toute ton âme, et qu’ainsi tu vives. » (Dt 30,6)

« Écoute Israël »

L’écoute est une manière de se mettre en lien, ou en tout cas de rechercher ce lien. Dans le monde biblique, l’écoute présuppose toujours que l’on va chercher à faire ce qui est entendu. On connaît ce dicton qui dit « ils ont des oreilles pour entendre, mais n’entendent pas ». Ce n’est pas que ces personnes sont sourdes, qu’elles ont un handicap auditif : mais les phrases et les mots ont beau faire résonner leurs tympans, cela ne change rien, cela ne porte pas à conséquence. Il y a une manière d’entendre où je ne m’engage pas, où je suis comme immunisé à ce qui m’est dit.

« Écoute Israël ». Cette première phrase est plus qu’une injonction, un impératif : c’est une interpellation. Elle constitue l’identité du peuple. Ce n’est pas un « Ecoute » à la volée, à qui veut bien l’entendre : c’est un « Ecoute » qui s’adresse à un peuple tout à fait spécifique – le peuple de la promesse, le peuple libéré. S’engager dans l’Écoute c’est recevoir un nom. « Israël » : une humanité nouvelle créée à partir de sa propre ruine. Pour nous, c’est « enfant bien aimé », le nom qui nous est dit dans notre baptême. Écouter et devenir ce qui nous est dit.

« Le Seigneur est Un »

« Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est Un. » Cette phrase nous renvoie au premier commandement du Décalogue : « Tu n’adoreras pas d’autre Dieu que moi ».

Dieu n’est pas relatif : là où l’on parle de notre Seigneur, c’est toujours le même Seigneur dont il est question. Dieu n’a pas de concurrent : notre Écoute va spécifiquement à ce Dieu et pas à d’autres – car il n’y en a en fait pas d’autres. Il n’est pas simplement exclusif : il est unique.

Cette phrase, cette confiance est une force libératrice et émancipatrice fantastique et terrifiante à la fois. La source de ma vie, celle qui me constitue, est unique. Que j’en aie conscience ou non, ce n’est pas la question. Il n’y a qu’un seul nom, celui du Seigneur, le nom qui désigne la source et l’origine de ma vie, qui fais que je suis celui que je suis, que nous sommes ce peuple et pas un autre : aucune autorité naturelle, ni aucune autorité humaine, ni aucune autorité que l’humain s’est inventée, ne peut réclamer ce statut – ou alors d’outrepasser sa place, de vouloir être calife à la place du calife. Et donc de se couper de cela même dont il vit. « Écoute, le Seigneur est Un »

« Tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force »

Le mot « amour » désigne ici une allégeance complète et totale. L’amour dépasse le registre de l’émotion ou du sentiment. C’est un terme qui était utilisé dans le cadre de traité politique, entre un suzerain et son vassal.

Le Dieu unique, seule source de qui nous sommes, qui nous appelle à la vie en dehors des ruines de l’inhumanité, appelle à un engagement entier, qui couvre toutes les dimensions de l’existence.

Cela se voit bien à la manière dont le peuple doit ensuite incorporer ces deux phrases. Ils doivent non seulement les répéter jour après jour, mais les porter visiblement sur leur corps et aussi sur ces extensions d’eux-mêmes que sont la maison et la ville. Et assurer la transmission aux générations suivantes. On pourrait dire qu’il s’agit d’être ces paroles que Dieu dit à celui qui veut bien les écouter.

Quelle est la grâce là-dedans ?

Il y a une certaine radicalité dans ce qui est dit dans cette petite phrase. Une radicalité qui peut-être vous parle, mais qu’il vous semble peut-être impossible de suivre (notamment au vu des événements contemporains)  –une radicalité qui pourtant dit tout à fait l’extension de l’amour de Dieu pour nous et sa portée pour notre vie.

Les paroles de Dieu ne se limitent pas à cette phrase : comme le dit Jésus, l’amour de Dieu ne vient pas sans l’amour du prochain. Mais de même, l’amour du prochain ne vient pas sans cet amour de Dieu et l’unicité de cet amour.

Alors, lorsque la radicalité de cet amour pour Dieu nous semble une limite impossible à franchir pour notre propre foi – notamment lorsqu’elle semble bafouer l’amour du prochain, comme on peut le pressentir chez différents acteurs des conflits actuels dans le proche orient – lorsque l’amour unique pour Dieu nous semble une limite infranchissable, il existe un peuple qui n’a pas besoin de croire intellectuellement ou d’adhérer existentiellement à ce commandement, cette phrase, que nous venons de méditer, mais qui a seulement besoin de la dire, de se la répéter, de se l’incorporer. C’est une partie de la grâce de Dieu.

L’assurance de cette grâce fait partie de la foi qui nous vient de Jésus-Christ : celui qui se tient entre les mondes, la « pierre angulaire » (Eph. 2,21) d’un peuple nouveau, qui nous rassemble, nous qui sommes des nations du monde et le peuple élu par Dieu pour le salut du monde.

Alors, que ce soit la foi du Christ Jésus lui-même qui nous guide dans notre Écoute du commandement que Dieu adresse à son peuple – et que ce soit cette foi du Christ Jésus qui guide nos préoccupations autour de ce même peuple, le peuple d’Israël. Que ce soit cette foi qui guide nos paroles et nos réflexions, dans le soutien – nécessaire – comme dans la dénonciation critique – tout aussi nécessaire de ce qui se vit et se passe autour d’Israël, notamment autour de la question du rapport à la terre. Que ce soit cette foi qui nous guide et qui nous soutienne dans le scandale auquel les médias nous exposent quotidiennement, scandale qui nous appelle à l’Écoute de Dieu et d’autrui.

Amen


Sur ce site vous trouverez d’autres messages dans la rubrique Prédications, messages et exégèses

Cette création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights