La cité idéale

Civisme, religion et spiritualité

Quand tu te déclares d’une certaine foi – dans mon cas de la foi chrétienne – de quelle cité es-tu le citoyen ?

Avec l’irruption à échelle internationale du Covid-19, on entend ressortir beaucoup l’appel au « civisme » – c’est en tout cas ce que l’on souligne fortement en Suisse.

Mais de quoi parle-t-on ? Qu’est-ce que le civisme aujourd’hui, à l’heure du pluralisme, de l’inter-culturalité, de la culture consommation, d’internet, etc. ?

A) Être citoyen

D’un civisme à l’autre

Le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL – FR) définit le « civisme » de la façon suivante :

Ensemble des qualités propres au bon citoyen; zèle, dévouement pour le bien commun de la nation.

CNRTL

Voilà ce qu’on est appelé à être face au Covid-19 : de bons citoyens, dévoués au bien commun.

Dans l’Antiquité, on était citoyen lorsqu’on jouissait d’un « droit de cité », c’est-à-dire qu’on pouvait participer à la vie politique et religieuse d’une cité donnée. Maintenant il s’agit plutôt de l’appartenance à un Etat – généralement en Occident, un Etat démocratique.

En Suisse, on est donc renvoyé à notre appartenance cantonale et par extension à l’appartenance fédérale. L’appartenance à un certain régime politique, une certaine administration, la localisation dans un certain espace, l’obtention de certains droits et de certains devoirs – respect des lois, impôts, service militaire ou civil, etc.

Mais dans tout cela, rien n’est encore dit de ce qui fait le « bon » citoyen. Doit-on parler de valeurs communes ? De principes éthiques et moraux fondamentaux ? De respect mutuel et de responsabilité ?

Les principes abstraits et dominants ne sont pas voie d’avenir… mais toujours est-il : qu’est-ce qui fonde mon civisme ici et maintenant ?

Un civisme attendumais pas donné !

Aujourd’hui, qu’est-ce que ça veut dire que d’être citoyen du canton de Vaud et membre de la confédération helvétique ? Quel est le civisme qui y correspond ?

Actuellement, ce que je comprends du civisme, c’est que je ne fais pas preuve de civisme lorsque je ne suis pas les règles d’hygiènes et de comportement édictés par l’OFSP – et que l’on mérite mépris et insulte si l’on ne respecte pas ces règles. Parce c’est une question de vie et de mort !

Et pourtant, je ne sais toujours pas ce qui fait mon civisme. On semble attendre de moi une certaine responsabilité. Est-ce que je l’ai naturellement ? Qu’est-ce qui me permet de comprendre de manière intégrée ce que ça veut dire pour moi d’être citoyen ?

La connaissance de mes droits et de mes devoirs est-elle suffisante pour éduquer ma responsabilité ? L’éducation générale est-elle suffisante pour que chacun soit responsable ?

Apparemment pas… peut-être ? Je ne sais pas…

Ce que je sais cependant, c’est que les seuls fois où j’ai été explicitement engagé dans un développement de mon propre civisme, c’est à l’école secondaire (en 8e année ancien système je crois…) et à la protection civile – et encore, si on fait preuve de bonne volonté. Est-ce que c’est suffisant ?

Des éléments éparses

Par le passé, c’était peut-être l’unité des valeurs communes, le fait que chacun avait une éducation religieuse, que chacun participait du même rythme de vie, qui constituait le civisme des personnes. Je ne sais pas si c’est vrais, je ne sais pas si cette époque a existé – je ne sais pas si j’aurais voulu la vivre. Le fait est que je n’ai pas vécu ça.

Personnellement, mon civisme commence avec la reconnaissance de la valeur inestimable de la personne humaine.

Mas cela, est-ce que je le sais par les droits ? Oui. En partie je pense. Est-ce que je le sais par mon éducation personnelle ? Certainement. Est-ce que je met ça en lien avec mon statut de citoyen, de membre d’un même corps social et politique ? Je ne suis pas certain… depuis mon engagement à la protection civile, oui… depuis que je m’intéresse aux votations peut-être.

Il se trouve cependant que je suis aussi chrétien et pas seulement un vaudois générique. C’est sans doute là que cette reconnaissance trouve, en tout cas pour moi, son ancrage et sa concrétisation la plus forte.

Mais alors, ce n’est pas au nom de la même cité que celle qui me réclame du « civisme ».

B) Être membre du peuple de Dieu

Conflit de citoyenneté ?

En entendant les impératifs de la cité, le chrétien fait face à une contradiction : au bout du compte, il n’est pas premièrement citoyen de tel ou tel Etat. Il est membre du peuple de Dieu : l’Humanité réconciliée avec Celui qui lui fait face. Israël et le reste des nations : un seul peuple.

Ceci relativise toute appartenance citoyenne. Le témoins de Jésus-Christ sur terre appartient bien à une cité. Mais il ne peut s’agir de l’Etat politique sous le régime duquel il vit, ou même de la communauté religieuse dans sa forme visible, locale, contingente, située. Il y a une « autre » cité dont il est le citoyen.

Une cité qui doit encore « venir », une cité vers laquelle on se rend, qui n’est pas encore là, mais que l’on attend, que l’on espère, que l’on vit déjà maintenant dans l’amour – si on le vit, ce qui n’est pas de notre propre force.

Être citoyen de cette cité implique que l’on a un modèle à suivre qui doit prendre forme dans chaque vie. Jésus-Christ lui-même est la mesure du civisme propre à cette citoyenneté.

Citoyen des cieux et Cité à venir

C’est dans les épîtres que l’on trouve notamment cette idée de l’appartenance à une « autre » cité.

Philippiens 3,20

17 Frères et sœurs, imitez-moi tous et regardez les personnes qui prennent modèle sur nous. 18 Je vous l’ai déjà dit souvent et je vous le répète maintenant en pleurant : il y en a beaucoup qui se conduisent en ennemis de la croix du Christ. 19 Ils courent à leur perte, car leur dieu c’est leur ventre ; ils tirent gloire de ce qui devrait leur faire honte et ils n’ont en tête que les choses de ce monde. 20 Mais nous, nous sommes citoyens des cieux, d’où nous attendons que vienne notre sauveur, le Seigneur Jésus Christ. 21 Il transformera notre misérable corps mortel pour le rendre semblable à son corps glorieux, grâce à la puissance qui lui permet de soumettre toutes choses à son autorité.

Epître aux Philippiens 3,17-21 (NFC)

Hébreux 13,14

10 Les prêtres qui officient dans la tente de la rencontre n’ont pas le droit de manger de ce qui est offert sur notre autel. 11 Le grand-prêtre apporte le sang des animaux dans le lieu très saint, afin de l’offrir comme sacrifice pour le pardon des péchés ; mais les corps de ces animaux sont brûlés en dehors du camp. 12 C’est pourquoi Jésus aussi est mort en dehors de la ville, afin que par son propre sang, il rétablisse le peuple dans sa relation à Dieu. 13 Allons donc à lui en dehors du camp, en supportant le même mépris que lui. 14 Car nous n’avons pas ici-bas de cité qui dure toujours ; nous recherchons celle qui est à venir. 15 Par Jésus, présentons sans cesse à Dieu notre louange comme sacrifice, c’est-à-dire l’offrande des paroles de nos lèvres qui célèbrent son nom. 16 N’oubliez pas de faire le bien et de vous entraider fraternellement, car ce sont de tels sacrifices qui plaisent à Dieu.

Epître aux Hébreux 13,10-16 (NFC)

Il y aurait beaucoup à dire et à commenter sur ces versets tirés des épîtres – et c’est sans doute trop téméraire de les présenter juste comme ça. – Philippe Golaz, pasteur de l’église réformée à Meyrin, a d’ailleurs travaillé le texte de l’épître aux Philippiens dans son travail de mémoire, accessible ici.

Un civisme contre ce qui n’en est pas un

Ce que je retiens, c’est que dans les deux cas, le fait d’avoir cette citoyenneté spécifique change quelque chose dans les manières de faire et de vivre. Dans l’épître aux Philippiens, une attitude auto-centrée est opposée à une attitude d’engagement envers un Autre. Dans l’épître aux Hébreux, une attitude religieuse est opposée à une attitude d’entraide et de solidarité. Le sens du « sacrifice » en est modifié : ce n’est plus seulement un devoir religieux duquel on doit s’acquitter à part du reste. Au contraire, le sacrifice prend place au milieux de nos actions et interactions les plus quotidiennes.

Un civisme (ré)formé

Ici mon « civisme » trouve une certaine forme, ou du moins une orientation, une espèce de détermination.

La citoyenneté en Jésus-Christ, la participation à cette identité différente de celle conférée par tout autre citoyenneté, forme un certain agir, un certain ethos, une certaine déontologie.

La foi chrétienne n’est certainement pas une foi désengagée où l’on pourrait croiser les bras face à ce qui se passe en attendant la fin des temps. Il y a à agir.

En effet, de même que le corps sans le souffle de vie est mort, de même la foi sans les actes est morte.

Epître de Jacques 2,26 (NFC)

Jésus appelle cette forme d’action « Royaume » – cela même que lui rend présent et manifeste dans le monde (cf. Mc 1,15). Dans les épîtres de Jean et chez Paul, c’est l’amour (αγάπη) qui est cette forme d’action – une forme d’action que l’on n’a pas sans la foi et l’espérance. Car c’est Dieu lui-même qui est cette forme d’action(cf. 1 Jn).

Concrètement : une seule citoyenneté

Est-ce que cette citoyenneté s’oppose à ma citoyenneté vaudoise ? Est-ce que l’on aurait affaire à deux sortes de civismes différents ?

Je ne crois pas – surtout dans la mesure où je ne sais pas vraiment ce qui fait mon civisme vaudois (hormis de payer mes impôts, éventuellement de voter et de me faire reprendre lorsque je ne fais pas ce que l’on semble attendre de moi).

Je crois au contraire que l’appartenance à cet autre cité implique de rendre très concret le civisme attendu dans les moments de crise – et cela quel que soit l’Etat dans lequel on se trouve, quelque soit la culture, la langue dominante, la religion majoritaire, etc.

Ce que l’on peut dire à partir du civisme dans la perspective religieuse s’incarne dans un chemin de spiritualité.

C) Discerner l’action responsable

Marcher concrètement

Le civisme ne se décrète pas par en haut. Il se discerne, il s’éprouve, il se vit concrètement.

Être citoyen du peuple de Dieu implique de discerner jour après jour la forme concrète que va prendre mon action civique là où je me trouve, dans le contexte qu’il m’est donné d’habiter.

L’action responsable au sein d’un monde en plainte, en crainte, en panique, se discerne avec l’aide de l’Esprit-Saint, en écoutant le Christ, en le regardant, en s’arrêtant auprès de lui, en se laissant toucher par lui – entre les lignes des caractères numériques ou imprimés, dans le visage de celui qui me voit, et que je vois.

Lire les Ecritures, écouter la Parole, prendre au sérieux les gémissements du monde, porter la prière à Dieu : prendre Dieu encore plus au sérieux.

Dépossédé, mais avec les autres

Je ne possède pas la bonne action. Je ne sais pas ce qui fait de moi un bon citoyen – Dieu le sait, il me le redit chaque jour en Christ. La seule chose que je peux faire c’est de quotidiennement me mettre à l’écoute et de servir, suivant ce qu’il me sera demandé de faire.

Ici et maintenant : ne pas faire le con. Mais ne pas crier au con non plus. Accompagner le mouvement, participer d’un effort commun de discernement, avec sérieux et bienveillance, esprit critique et empathie.

La spiritualité n’est pas qu’une affaire individuelle: ce qui se passe à l’échelle nationale et internationale est une mise en jeu de la spiritualité des Etats et de leurs membres.

Discernement : le mot clef pour chaque chemin de spiritualité. S’ils ne sont pas soumis à l’épreuve du chemin, les points de repères – religieux, cultures, légaux ou administratifs – ne servent à rien .

Des veuves et des veufs

En ce moment de nombreuses personnes courent, pleurent, attendent – la guérison ou la mort. Ce sont des membres de la cité, des membres du peuple.

Voilà ton chemin citoyen.

1 Hélas ! la voilà seule, à l’écart, la ville autrefois si peuplée ! Elle est comme une veuve, elle autrefois si renommée parmi les autres peuples. Hier princesse dominant les provinces, à présent réduite aux travaux forcés !

Lamentations 1,1 (NFC)

En tant que citoyen, tu n’en es pas détaché. Tu en es solidaire, d’une manière ou d’une autre. En Christ, face à Dieu, dans l’Esprit-Saint, je ne peux me dérober à ma responsabilité : que vas-tu faire?

Voilà ton civisme.


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