Carte des sources de spiritualité

Sources de spiritualité

Récemment le théologien Gilles Bourquin a publié un article La vie chrétienne et les autres sources de spiritualité. Je saisi l’occasion de cet article, publié sur son blog personnel, mais aussi chez Réformés, pour initier un bout de reprise et de dialogue autour de sa réflexion sur la spiritualité.

Un essai de compréhension

En écho de sa réponse

Les autres religions et sources de spiritualité peuvent-elles être une ressource positive pour la foi chrétienne? C’est ainsi que je reformulerais la question directrice de Gilles Bourquin dans cet article.

Je tente aussi une reformulation de sa réponse à cette question. Oui, dans la vie menée à la suite de l’appel du Christ, notre pèlerinage peut nous mener auprès d’autres pratiques et de formes de spiritualité (Lc 5,27 ; Mt 7,21 ; Mc 9,40). Sur l’arrière-plan d’un mouvement de sagesse inhérent à l’humanité, l’appel du Christ suscite une conversion constante à la vie de Dieu qui se manifeste dans lui et par lui. La radicalité du recentrement christologique de la foi chrétienne se fait au bénéfice d’un mouvement d’excentricité tout aussi radical.

Dans son rapport aux autres formes de spiritualité la foi chrétienne est donc dans une situation de discernement.

« Examinez toutes choses : retenez ce qui est bon ! « 

1 Thessaloniciens 5,21

Ma réponse en écho

Pour ma part, je spécifierais encore plus loin. Dans la vie chrétienne, je suis appelé à discerner la pertinence de toutes pratiques, de toutes formes et de toutes sources de spiritualité, ou de religion.

« ‘Tout m’est permis’ mais je ne me laisserai pas asservir par quoi que ce soit »

1 Corinthiens 6,12

Le recentrement christologique et la confiance en Dieu qui l’accompagne ouvre un chemin de liberté et de libération où toute forme d’aliénation est à dénoncer et à combattre. Le pèlerinage qu’est la vie chrétienne n’est ni contre, ni pour une tradition – même la sienne. Elle est pour le royaume de Dieu qui est annoncé dans la vie et la personne de Jésus-Christ.

Le mouvement dont atteste la foi chrétienne met en évidence l’oeuvre de la sagesse dans le monde (Pr 8,12-31 ; Jn 1,1-18), tout comme elle la soumet à jugement (1 Corinthiens 2,6-16). Elle interroge la perception que nous en avons et la manière que nous avons de la mettre en oeuvre..

Complément

Un prolongement que j’entrevois à l’article de Bourquin porte sur les critères du discernement. Lui-même met en avant l’articulation entre engagement dans la réalité quotidienne et renvoi à l’excès de la transcendance au sein de cette réalité.

Ce schéma offre un point de départ intéressant : il pointe en direction d’une dynamique. À mon sens il reste encore un peu abstrait. Qu’est-ce qui, dans la suivance de Christ, me met sur le chemin de liberté qu’il manifeste ? Comment est-ce que je fais pour ne pas transformer les différentes indications pratique qu’offre le témoignage rendu à de Jésus-Christ en une nova lex qui vient se substituer à la liberté ainsi provoquée ?

Je l’affinerais en ajoutant les points suivants : (i) l’espace dans lequel je peux discerner la fécondité des ressources offertes par d’autres traditions religieuses, ou spirituelles, est balisé par l’histoire de la personne qu’est le Crucifié Ressuscité : « Pâques » ; (ii) ma propre vie est l’espace dans lequel se rejoue et se redit « Pâques ».

C’est en exposant toute réalité à la communication pascale que le chrétien, la chrétienne, discerne la voie qu’ielle est appelée à prendre. C’est là pour moi une manière privilégiée de re-dire ce qu’est la spiritualité pour la foi chrétienne, afin que celle-ci continue à répondre de l’appel qui l’a suscité. Rien n’est à craindre en soi et par soi, mais tout est à soumettre à une même lumière, à une même histoire.

Questions

Si je devais prolonger la réflexion sur les autres traditions religieuse et de spiritualité pour la vie chrétienne, je poserai les questions suivantes :

La terminologie

Pourquoi, dans le discernement de la vie chrétienne, devrait-on faire usage des catégories de « religion » et de « spiritualité » ? Sont-elles nécessaires? Si non, pourquoi et si oui à quel titre ?

Cette question se pose, à mon sens à cause de deux phénomènes : (i) la production d’un discours sur les autres spiritualités ou religion pour situer le chemin sur lequel soit-même on se situe ; (ii) l’énonciation de typologies qui assignent une place spécifique à la propre position au sein d’un spectre de possibilités.

Qui ou Quoi la classification de certaines formes de vie et de certaines traditions à partir des catégories de la « religion » et de la « spiritualité » sert-elle ?

La définition

Quelle définition de la « spiritualité » sur l’arrière-plan d’une affirmation de l’universalité de la quête de sagesse ? Plus spécifiquement par rapport aux travaux antérieures de Gilles Bourquin, comment l’idée de « sagesse » s’articule-t-elle aux éléments de définitions qu’il a proposé dans sa thèse doctorale à partir d’une posture vitaliste ?

La spiritualité désigne […] la façon dont la vie personnelle s’assume à l’aide de repères culturo-religieux, ces derniers devant répondre de la vie et la porter, l’illuminer, la délivrer, lui conférer un statut corrélé à ses plus hautes aspirations.

G. Bourquin, Théologie de la spiritualité, 2011, p. 92

À cette proposition articulée sous forme de théorie de la religion, on peut ajouter la suivante, plus centrée sur l’expression doctrinale traditionnelle.

Dans le cadre du christianisme, le concept vitaliste de spiritualité désigne le déploiement temporel de la foi chrétienne et rejoint le concept traditionnel de vie chrétienne. Etant donné que le salut extrinsèque, obtenu par la seule grâce divine, ne soustrait pas le croyant à la vie temporelle, celui-ci développe nécessairement un modus vivendi qui intègre la foi dans le temps. C’est le vécu effectif de la foi qui désigne le concept de spiritualité chrétienne, lequel, ainsi défini, ne devrait souffrir d’aucun caractère optionnel ou annexe, mais constitue une question nécessaire et centrale pour la théologie chrétienne.

G. Bourquin, Théologie de la spiritualité, 2011, p. 265

Ce qui est au centre

Si le texte biblique demeure un élément fondamental pour le pèlerinage qu’est la vie chrétienne, à quel titre l’est-il ? L’est-il uniquement par tradition, ou l’est-il par foi ? Quel(s) rapport(s) entre ce texte et mon vécu (de foi) tel qu’il demande à être explicité et interprété jour après jour ? Par rapport à la réflexion sur les sources de spiritualité, quel rôle joue-t-il?

On peut trouver quelques réflexions personnelles que j’ai déjà mise par écrit par rapport à ce sujet dans deux articles, l’un sur les Ecritures en général et l’autre sur la Bible pour moi.


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6 réflexions sur “Sources de spiritualité”

  1. Deppierraz Jacques-Etienne

    « Le recentrement christologique et la confiance en Dieu qui l’accompagne ouvre un chemin de liberté et de libération où toute forme d’aliénation est à dénoncer et à combattre. Le pèlerinage qu’est la vie chrétienne n’est ni contre, ni pour une tradition – même la sienne. Elle est pour le royaume de Dieu qui est annoncé dans la vie et la personne de Jésus-Christ. »
    Magnifique ! Essentiel ! Merci Elio !

  2. Cher Élio, merci pour tes lignes super stimulantes faisant écho au livre de Bourquin. J’apprécie aussi ton questionnement et cette question liée au discernement. Question : un dialogue avec Bourquin ne serait-il pas intéressant ?

  3. Jean-Patrice Cornaz

    Bonsoir,
    Lors de mes promenades sur Internet, je me rends dans des mondes que je découvre au hasard ou dont on me parle….Et qui me parlent. C’est le cas ce soir. En plus, votre nom de famille ne m’est pas inconnu (Je sens que je commence à faire vieux schnock car j’allais écrire « et je connais bien vos parents »… . Misère !)
    Cela dit, si j’ai bien compris ce que vous écrivez, votre réflexion autour du livre de G. Bourquin que je n’ai pas lu (donc je n’en parlerai pas), pose qu’il faut exercer un discernement face aux traditions (toutes, même la sienne propre: on est protestant ou on ne l’est pas…), un discernement qui s’enracine selon vous dans ce que vous nommez la « communication pascale ».
    C’est hyper intéressant, car c’est cette question du discernement qui est au coeur des textes bibliques eux-mêmes: les épîtres de Paul portent les traces de débats qui sont tranchés par le recours à une interprétation de la Croix et de la Résurrection. Les évangiles (sortes de récits de la Passion avec introduction plus ou moins longue, pour paraphraser je ne sais plus qui), chacun à sa façon, témoignent aussi d’une sélection, d’un travail de discernement face à des questions et des débats internes aux communautés. Ainsi, on pourrait montrer que les textes bibliques ne sont pas un « gisement de vérité » à ressortir tel quel, ni même la restitution « face caméra » d’un moment miraculeux de l’histoire, mais les traces d’une certaine « communication (de la mémoire) pascale » aux prises avec des défis et selon les termes et les idées du temps dans lesquels cette communication a lieu. De sorte que ce qu’il faut suivre dans l’Ecriture, ce n’est pas juste des propositions (tenues pour) vraies, mais un mouvement. Il me semble que c’est pour cela que le critère qui revient comme un refrain pour garder certains écrits dans le canon, c’est la référence aux apôtres qui furent témoins du Crucifié (et pour Paul, du ressuscité, au sujet duquel il élabore une solide théologie de la Croix… tiens, tiens… ).
    Ce critère de discernement est toujours à l’œuvre et entretenu par une lecture continue des Ecritures au cours de l’existence, tant en communauté qu’en solo. Cela dit, même en solo, l’Ecriture est toujours reçue dans et par une tradition particulière, qui devient le lieu (et l’objet !) du discernement. La spiritualité, c’est peut-être ce travail de discernement au contact de la (des) tradition (s) et des courants de pensée qui nous façonnent /en nous traversant. Ce travail est tant une activité de l’intelligence informée par sa « communication /mémoire pascale » que de son « sens » spirituel, ou de son « intuition » spirituelle (« mes brebis connaissent ma voix », ou « nul ne vient à moi si le Père ne l’attire »), de ses expériences (douloureuses souvent) ainsi que de ses dialogues avec d’autres. De sorte que la spiritualité, ce n’est pas juste un ensemble de « pratiques-qui-me-font-du-bien » (même si c’est par là que ça commence des fois. Le souci, c’est quand on s’y installe), ni le sentiment d’être libre (sentiment peu fiable, car nul n’est transparent à soi), ni la certitude d’une identité fixe et bien arrêtée, mais un travail de maturation et de conquête de liberté intérieure, au contact de ces choses(traditions, rites, communication/mémoire pascale, événements de l’existence) qui nous précèdent et que nous élaborons lorsque nous les reprenons à notre compte (réflexions, dialogues, pratiques religieuses /spirituelles) de sorte que notre agir et notre vie (et un peu, du coup, celles de ceux/celles qui nous côtoient) s’en trouvent transformées. Il y a dans ce travail, une dimension passive fondamentale: en fait, je reçois d’abord la « communication pascale », la tradition ou les traditions que je rencontre, les pratiques spirituelles que je n’ai pas inventées, même les attirances ou les intuitions qui me font m’orienter ici plutôt que là. L’intelligence formule, pèse, sélectionne et intègre tout cela, avec reconnaissance et finesse (ou pas…). C’est dans cette passivité première que l’activité trouve sa source: « ceux/celles qui se confient au Seigneur renouvellent leurs forces ».
    Bon, mes propos sont loin d’être définitifs, c’est un peu un essai de penser et de formuler les choses. En attendant mieux. (Vivement le monde à venir et le silence d’une demi-heure de l’Apocalypse…)
    (Ah, encore une chose: si un jour pour le Seigneur vaut mille ans, combien vaut une demi-heure de silence, à la minute près ? A vos calculettes !)

    Merci pour votre site et votre recherche, qui fait avancer la mienne !

    Bien à vous, bonne continuation à tous égards,

    Jean-Patrice Cornaz.

    1. Cher Jean-Patrice, merci beaucoup pour votre contribution! On essaie ensemble 🙂 J’apprécie particulièrement votre attention sur le « discernement » qui s’opère par et dans le canon biblique – dont je tends à penser qu’il reste « ouvert », même si une Bible peut être fermée. En fait, je crois que je résonne fortement avec tout ce que vous développez ici – la « spiritualité » comme travail de maturation, telle que vous le proposez me semble particulièrement fécond. Une piste que j’explore en ce moment, c’est que le discernement n’opère pas tant par ce que l’on fait, mais par ce à quoi on s’expose et par le consentement à cette exposition – une sorte de « laisser faire ». Je tendrai en revanche à ne pas chercher à accentuer le pôle d’activité ou le pôle de passivité : il y a une circulation entre les deux. « Discernement » pourrait vouloir dire aussi « jugement » : c’est parce qu’avec ma vie, mes actes, mes paroles je pose un jugement dans le monde (sous le mode de la Sagesse ou sous le mode de la Prophétie) que je le veuille ou non, que je dois discerner ce qui m’advient en amont et en aval de ce que je pose, afin que le jugement posé ne soit pas le « mien », mais toujours celui de Dieu (Cf. Lc 6,37-38).

      Volontiers pour prolonger la discussion et dans tous les cas, belle route à vous aussi !

  4. Merci Elio pour ce travail de reprise et de poursuite de mon texte. C’est en parcourant la liste des publications où je suis identifié que j’ai découvert tes réflexions. Je te remercie, et sans entrer ici en dialogue sur un point ou l’autre, je peux te dire que j’apprécie tes remarques stimulantes. N’hésites pas à me contacter le cas échéant. Bien à toi. Gilles

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