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Lectures
Apocalypse 7,9-17
Après cela, je vis une foule immense que personne ne pouvait compter. C’étaient des gens de tout pays, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue. Ils se tenaient devant le trône et devant l’agneau, vêtus de vêtements blancs et avec des branches de palmiers à la main. Ils criaient d’une voix forte : « Le salut vient de notre Dieu, qui siège sur le trône, et de l’agneau ! » Tous les anges se tenaient autour du trône, des anciens et des quatre êtres vivants. Ils se jetèrent face contre terre devant le trône, et ils adorèrent Dieu en disant :
« Amen ! Oui, la louange, la gloire, la sagesse, la reconnaissance, l’honneur, la puissance et la force sont à notre Dieu pour toujours ! Amen. »
L’un des anciens me demanda : « Qui sont ces gens vêtus de vêtements blancs et d’où viennent-ils ? » Je lui répondis : « C’est toi qui le sais, mon seigneur. » Il me dit alors : « Ce sont ceux qui ont passé par la grande persécution. Ils ont lavé leurs habits et les ont blanchis dans le sang de l’agneau. C’est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu. Ils lui rendront un culte nuit et jour dans son temple. Celui qui siège sur le trône les abritera. Ils n’auront plus jamais faim ni soif ; ni le soleil, ni aucune grande chaleur ne les brûleront plus. Car l’agneau qui est au milieu du trône sera leur berger et les conduira aux sources d’eau vive. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »
Actes 13,42-52
Quand Paul et Barnabas sortirent de la synagogue, on leur demanda de revenir au prochain jour du sabbat pour parler de ce même sujet. Après la réunion, beaucoup de Juifs et de gens qui reconnaissaient l’autorité de Dieu suivirent Paul et Barnabas. Ceux-ci leur parlaient et les encourageaient à demeurer fidèles à la grâce de Dieu.
Le sabbat suivant, presque toute la population de la ville s’assembla pour entendre la parole du Seigneur. Quand les Juifs virent cette foule, ils furent remplis de jalousie ; ils contredisaient Paul et l’insultaient. Paul et Barnabas leur dirent alors avec assurance : « Il fallait que la parole de Dieu vous soit annoncée, à vous d’abord. Mais puisque vous la repoussez et que vous vous jugez ainsi indignes de la vie éternelle, eh bien, nous irons maintenant vers ceux qui ne sont pas Juifs. Voici en effet ce que nous a commandé le Seigneur : “Je t’ai établi comme lumière pour les peuples, afin que tu apportes le salut jusqu’au bout du monde !” »
Quand ceux qui n’étaient pas juifs entendirent ces mots, ils se réjouirent et louèrent la parole du Seigneur. Et ils devinrent croyants, eux qui se trouvaient disposés à la vie éternelle. La parole du Seigneur se répandait dans toute cette région. Mais les autorités juives excitèrent les femmes de la bonne société qui reconnaissaient l’autorité de Dieu, ainsi que les notables de la ville ; elles provoquèrent une persécution contre Paul et Barnabas et les chassèrent de leur territoire. Les deux hommes secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et se rendirent à Iconium. Quant aux disciples à Antioche, ils étaient remplis de joie et de l’Esprit saint.
Prédication
Cette prédication a été prononcée pour la première fois le 11 mai 2025 au temple de Vufflens-le-Château
Je dois dire, j’ai été un peu interpellé quand j’ai constaté que les textes qui m’étaient proposés pour mon culte d’accueil étaient tous en lien avec la thématique de la persécution. L’enchaînement des textes durant cette période pascale est frappante : il y a deux semaines, il était question de la paix et la force que le ressuscité donne aux disciples au matin de Pâques, la semaine passée il était question du fait que le ressuscité nous accueille toujours auprès de lui, avec nos réussites et nos échecs, pour trouver en lui en lieu de ressourcement pour notre mission – et aujourd’hui il est question de la persécution que subisse les disciples porteurs de la bonne nouvelle de Jésus-Christ. Une forme de refus, voire de violence subie, du fait que l’on vive à la suite de Jésus-Christ, mort et ressuscité pour nous, que l’on porte la proclamation de son royaume dans le monde.
Les persécutions sont une partie importante de la vie des premières communautés chrétiennes. Il y a d’une part celle infligée par les membres du peuple élu, à l’exemple de ce que nous avons pu entendre de ce récit dans le livre des Actes. La prédication de Paul et de Barnabas reçoit un écho positif au sein de la synagogue – il faut le souligner – mais génère aussi de la jalousie chez certaines personnes, une jalousie qui débouche finalement sur le fait que Paul et Barnabas se trouvent chassés de la région. Ça c’est une première forme de persécution : celle qui a lieu on pourrait dire depuis l’intérieur de la communauté.
Mais il y a aussi cette autre persécution, celle qui vient des autorités publiques, du pouvoir romain et de ses agents. C’est plutôt ce qui sous-tend le texte de l’Apocalypse que nous avons également entendu. Pour différentes raisons, la communauté chrétienne pouvait être perçue comme un danger pour l’empire, notamment dans le fait qu’elle refusait de pratiquer le culte de l’empereur et de faire les sacrifices publics, mais aussi du fait d’être porteur d’un style de vie qui renversait les hiérarchies établies.
Les premières communautés chrétiennes s’exposent de différentes manières et pour différentes raisons à une répression violente. Le souvenir de ces violences marque l’identité chrétienne dans les premiers siècles, et même au-delà de la reconnaissance du christianisme comme religion de l’empire (vers 380).
Cette expérience des persécutions n’est pas la nôtre – ou en tout cas ce n’est pas la mienne. Nous, notre Église, le christianisme en général dans notre coin de pays ne faisons pas l’expérience d’une répression violente. Comprenez-moi bien : ailleurs dans le monde des chrétiens et chrétiennes sont bel et bien persécutés au nom de la vie qu’ils mènent à la suite de Jésus-Christ. Mais ce n’est pas le cas pour nous – et même plus : le régime de liberté de religion dont nous bénéficions vise à nous prémunir de toute forme de répression violente ; plus loin, la reconnaissance de notre Église par la Constitution nous donne un statut privilégié – mais qui est bien étranger aux textes du Nouveau Testament.
Comment comprendre cette distance ?
Plusieurs pistes. On pourrait se dire d’abord que c’est surtout le signe que nous ne sommes pas suffisamment radicaux – que nous faisons partie des « tièdes » comme le dit un autre texte de l’Apocalypse. Au fond, le fait que nous ne sommes pas persécutés serait le signe de notre compromission avec le monde. Si nous étions vraiment des chrétiens, nous serions en train de subir la violence du monde. C’est d’ailleurs un discours que vous pouvez parfois entendre dans plusieurs milieux chrétiens.
Mais je ne crois pas que ce soit la bonne piste – ça voudrait dire que Dieu nous veut souffrants. Or ce n’est vraiment pas ce que Dieu nous promet en Jésus-Christ. La souffrance de la persécution n’est pas désirée par Dieu. C’est simplement quelque chose qui arrive et avec lequel il faut composer bon gré mal gré. De plus, la foi chrétienne n’est pas simplement en opposition avec le monde : elle veut son bien, qu’il puisse être habité de la lumière de Dieu. Donc non : la persécution n’est jamais un moyen ni une fin en soi pour les disciples du Christ. Elle est une réalité avec laquelle il faut composer, dans laquelle Dieu se fait présent, mais elle n’est pas comme telle un signe de la présence de Dieu.
Donc écartons cette voie. L’autre voie que l’on pourrait imaginer, c’est celle qui consiste à dire que ce qui est dit là, qui porte sur la persécution, ne nous concerne simplement pas. Ces textes n’ont au fond rien à nous dire, à nous. Ils sont pertinents pour un autre temps, un autre contexte. Pas pour nous.
Là aussi ça me semble trop rapide. Au moins pour deux raisons : 1) premièrement, dans l’Église, nous participons d’un même corps, faits de juifs et de païens, qui s’étend à travers les âges et les temps. D’une manière ou d’une autre, ces violences subies par l’Église du Christ sont des violences subies par ce corps dont il nous est donné de participer, notre corps. Nous ne pouvons pas simplement nous en détacher – parce que nous nous détacherions de Jésus-Christ lui-même ; 2) Deuxièmement, ce n’est pas nous qui choisissons les chemins par lesquels Dieu veut nous parler. Ces textes sont le chemin qui nous est offert aujourd’hui.
Alors nous devons écouter, entendre. Et j’ai trois éléments que j’aimerais vous proposer, pour nourrir cette écoute.
Premièrement, là où il y a la persécution, il y a aussi un débordement, un excès, quelque chose de plus grand qui arrive. C’est particulièrement frappant dans le texte des Actes. Ce qui se passe dans un premier temps, c’est que certains parmi les membres de la synagogue ne peuvent pas accueillir le message des apôtres – et ce refus se mue en jalousie face à l’intérêt que suscite la prédication de Paul et Barnabas. Mais ce refus mène finalement à agrandir la perspective, à élargir la proclamation du royaume à celles et ceux qui ne sont pas nés dans le peuple élus. Il y a un grand contraste entre la jalousie dont fait preuve une partie des juifs d’Antioche et la joie qui habite cette communauté élargie. Là où l’on dresse des barrières contre l’Évangile, la Parole de Dieu déborde, dépasse les barrières. Et ce débordement n’a pas lieu avec ressentiment : les apôtres ne sont pas les bienvenus ? Forts bien : alors nous n’insisterons pas, et nous irons ailleurs. Et pourtant, la joie de l’Évangile continue à se répandre.
Deuxièmement et c’est un peu lié, nous ne pouvons pas enfermer l’Évangile. S’il déborde, c’est non seulement à l’égard des barrières qu’on lui dresse depuis l’extérieur de l’Église, mais aussi celle que nous pouvons parfois lui dresser nous-mêmes autour de nous : en en faisant une affaire purement privée par exemple, déconnectée du monde dans lequel nous vivons, ou en le cachant, parce que nous avons peur de ce que l’on pourrait nous faire, s’il se savait que nous appartenons à Jésus-Christ. Là aussi, que nous le voulions ou non, l’Évangile déborde – ouvre les fenêtres des chambres dans lesquelles nous nous sommes enfermés et nous envoie sur les routes du monde, avec l’assurance que nous ne serons jamais seuls sur ces routes. C’est bien ce qui se passe au matin de Pâques.
Troisièmement la réponse donnée par la communauté persécutée à la violence de la persécution n’est pas plus de violence, mais une joie à la fois simple et rayonnante, ancrée dans le temps partagé avec Dieu – symbolisée dans le récit de l’Apocalypse par ces images de culte. Une joie qui prend ses racines dans la confiance qu’en Jésus-Christ, Dieu nous donne tout ce dont nous avons besoin pour vivre une vie pleine, heureuse et sauve.
Alors oui, la violence des persécutions fait, d’une manière ou d’une autre, partie de notre histoire – c’est une possibilité dont il ne nous appartient pas de choisir le temps ni le lieu. Mais dans la lumière de Pâques, Dieu promet qu’il n’abandonnera pas son peuple à cette violence. Car l’Évangile de Jésus-Christ déborde tous les murs qu’on dresse face à lui et autour de lui, car c’est la joie et la vie de Dieu qui demeurent pour l’éternité, car « Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux », de nos yeux.
Amen
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