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Communication pascale (IV) – La « spiritualité » comme lieu commun

Dans cet article, j’essaie de présenter l’intérêt théologique du terme « spiritualité » si on le comprend comme « lieu commun ». Ceci permet de mettre en lien différents champ de signification, qui se rassemble autour de ce terme.

Le « lieu commun »

En rhétorique, un « lieu commun » est une idée sur laquelle un grand nombre de personne sont d’accords. Il permet de rapidement gagner un auditoire, car il fonde sur assentiment général préalable.

Le mot « spiritualité » n’est pas un « lieu commun » en ce sens restreint. L’idée que la « spiritualité » s’oppose à la « religion » pourrait en revanche être considéré comme un « lieu commun ». 

En revanche, dans le discours, il est en général un formidable générateur d’assentiment. Pragmatiquement, il a une fonction analogue à celle du « lieu commun ». Je reprends ici l’un des résultats de l’étude de Heinz Streib et Barbara Keller.

Pour les personnes religieuses qui souhaiteraient parler de leur propre expérience, pour celles et ceux qui ne s’identifient que partiellement, voire pas du tout, à la « religion », mais qui aimeraient s’exprimer au sujet d’expériences « particulières », la plus-value de la « spiritualité » se trouve dans le fait qu’elle ouvre un espace de jeu pour l’articulation et l’exploration de la transcendance, expérimentée personnellement.

H. Streib & B. Keller, Was bedeutet Spiritualität?, Göttingen, 2015, pp. 245-6 (ma traduction)

Je fais le pari que pour la théologie, il est possible d’offrir une interprétation du terme « spiritualité » qui permette de conserver son caractère « lieu commun », tout en respectant le caractère « déterminé » de la « spiritualité » pour la foi chrétienne. Celle-ci n’est en effet pas le fruit de l’arbitraire humain, mais s’inscrit à la suite de l’action souveraine de Dieu, prétend y faire signe et contribuer à son rayonnement.

Comme « lieu commun », la notion de « spiritualité » met en résonance un ensemble de champ de signification, dont les titres peuvent être identifiés comme tant de synonymes du terme « spiritualité ». Il s’agit des termes suivants :

  • Religiosité
  • Vie chrétienne
  • Foi vécue
  • Développement personnel

Religiosité, Religion

Une catégorie analytique

« Religion » est avant tout une catégorie analytique. C’est un terme du discours scientifique qui vise à donner sens d’un certain nombre de phénomènes et de réalités de la vie humaine, surtout en ce qui concerne son rapport à l’ultime, à la transcendance (dans les différentes manières de l’exprimer).

J’émet ici l’hypothèse que pendant tout un temps, le terme de « religion » était lui-même utilisé comme une forme de « lieu commun » – surtout dans le contexte des querelles confessionnelles. Le terme avait dans l’antiquité un sens plus spécifique que ce qu’il a maintenant. Du sein de ces querelles s’est progressivement imposer l’idée de développer une approche scientifique de la « religion », ce qui dans ses développements récents mène à en souligner le caractère de construit.

La « religion » est une réalité qui est à définir, sans quoi elle ne se « donne » pas de manière évidente. L’intérêt de ce terme est qu’il nous permet de faire sens et de mettre en lien un ensemble de discours et de pratiques qui mettent en évidence le rapport à l’ultime dans la culture humaine, indépendamment de toute réduction historique ou biologique.

Dans son ouvrage Qu’est-ce que la religion? (Genève, 2019) Nicolas Meylan offre un panel instructif de définitions scientifiques de la « religion ». L’enjeu n’est pas de trouver « la » définition universel, mais de consentir au jeu de la définition heuristique, au sein d’un projet de recherche méthodologiquement balisé.

La « spiritualité » comme phénomène religieux

En conséquence, sur le plan de l’enquête empirique la notion de « spiritualité » n’apporte rien de plus que celle de « religion », si ce n’est de la confusion. En revanche, en tant que son usage fait partie du champ religieux elle est une catégorie religieuse intéressante à investiguer, la théologie elle-même participant à la formation de cette catégorie.

C’est sous ces conditions qu’il peut être intéressant théologiquement de distinguer « religion » et « spiritualité », même s’ il faudra dire que l’on a affaire à du « religieux ».

Le défis de l’usage de cette catégorie analytique, c’est précisément qu’elle doit rendre compte de la distinction entre « religion » et « spiritualité », en tant qu’elle a un impact sur des dispositifs institutionnels et juridiques (comme c’est le cas, par exemple, dans le développement du spiritual care).

Vie chrétienne, vivre en disciple

Théologiquement, la notion de « vie chrétienne » désigne sans doute de manière la plus compréhensible l’extension du terme « spiritualité » pour le christianisme. Exprimer et pratiquer sa « spiritualité », c’est vivre à la suite du Christ dans la puissance de l’Esprit-Saint.

Cette conception est intéressante, parce qu’elle permet justement d’intégrer la « critique de la religion », que l’on peut observer dans les récits sur la vie de Jésus, comme on l’observe dans les discours du christianisme antique.

Dans l’antiquité, le christianisme pouvait se comprendre lui-même comme une « philosophie », un art de vivre. La notion de « vie chrétienne » met en évidence la concrétude d’une vie personnelle intégrée, au sein d’une même communauté.

S’intéresser théologiquement à la « spiritualité », ce ne sera s’intéresser à rien d’autre qu’à la vie chrétienne, dans la mesure où cette vie est issue de la révélation de Dieu qui a eu lieu en Jésus-Christ.

En ce sens, elle est une vie clairement orientée par Dieu, ce qui invite à formuler certaines « règles de vie » (tout en pouvant assumer la contingence et la relativité de ces règles).

La limite de ce terme, c’est qu’il semble fermer ce qui précisément a pour vocation d’être ouvert.

Théologiquement, le problème ici c’est que la « vie chrétienne » ne prétend pas être autre chose que la « vie humaine », pleinement humaine, en dehors de toute appartenance circonscrite, si ce n’est l’appartenance de l’être-humain à Dieu.

L’enfermement du mouvement des disciples de Jésus sous l’étiquette « christianisme » est une tendance que l’usage « chrétien » du terme « spiritualité » voudrait essayer de contrer.

Vie de foi, vécu de foi

C’est l’expression privilégiée dans la théologie des Eglises protestantes de langue allemande pour parler de la « spiritualité », ou de la « vie chrétienne ».

La vie de foi, ce n’est rien d’autre que vivre sa vie, en tant qu’elle est fondamentalement fondée dans la relation à Dieu et sur la primauté de l’action de Dieu. La possibilité de vivre cette vie s’offre à nous dans l’humanité de Jésus-Christ. Mais il s’agit bien de quelque chose qui s’offre à tout être humain. La « foi » est à comprendre comme une dimension fondamentale de l’être-humain comme tel, une dimension dont on peut faire l’expérience et où la liberté humaine prend ses contours.

L’Eglise est la communauté concrète formée par celles et ceux qui ont été appelée à vivre dans la foi, à vivre dans la confiance fondamentale à l’égard « Dieu » – qui n’est autre que ce « Père » que Jésus priait.

Le problème ici c’est que le terme de « foi » apparaît trop vite comme un principe abstrait, un peu hermétique. Il recouvre et met en lien un ensemble de termes comme « confiance », « certitude », « connaissance », « relation ». La foi tend souvent à être réduit à l’idée de certitude.

Il faudrait pouvoir parler de la « spiritualité » comme du « vécu de la foi », sans que par là on puisse parler de la foi comme d’une possession. Là foi n’est pas quelque chose que l’être humain possède, mais qui lui est donné à vivre, pour qu’il puisse vivre.

Là où j’ai bon espoir, c’est que le discours sur la « spiritualité » mène précisément à redéfinir le discours sur la « foi ».

Développement personnel, personnalité intégrée

Si l’on voulait parler de la « spiritualité » en des termes non-religieux, ce serait sans doute avec ce langage. Cela concerne aussi la théologie chrétienne.

Ce qui se passe dans la « spiritualité », ce n’est rien d’autre que l’advenue de la personne à elle-même. Il me semble que c’est bien ce que vise tout le discours sur le développement personnel, mais aussi ce qu’on appelle les approches « centrées sur la personne ». Celle-ci est inspirée de la méthodologie développée par Carl Rogers.

La pratique et le développement de la « spiritualité » fait cheminer la personne vers l’intégration des différentes parties de son existence. Dans ce processus se dit l’identité d’une personne. Le « développement personnel » a son assise dans une pensée humaniste. Ceci fait que la notion de « personne » pourrait être l’équivalent de celle d' »être-humain », mais en laissant ouvert ce que ce terme recouvre exactement.

Cette compréhension de la « spiritualité » a l’avantage de consoner avec un système juridique où la « personne » (sujet porteur de droits et de devoirs) est un élément clef.

Théologiquement, il me semble que cette intégration est précisément ce qui a lieu en Jésus-Christ et qui est promis dans l’Evangile. Dieu crée l’être-humain à son image, comme son propre vis-à-vis, suivant l’existence relationnelle qui est la sienne. « Dieu est amour » ou « Dieu est trine », désigne l’existence de Dieu comme personne, c’est-à-dire comme existence particulière et irréductible dans un ensemble infini de relations.

Le risque ici, c’est de voiler l’aspect religieux du « développement personnel », ce qui laisse la porte ouverte à toute une série de dérives possibles, si elle n’est pas réfléchie critiquement à ce niveau.

Penser la « spiritualité »

Penser théologiquement la « spiritualité », en tant qu’il s’agit d’un « lieu commun », c’est essayer de rendre compte du réseau formé par les différents champs de signification que je viens d’exposer.

L’intérêt du terme, tel qu’il est utilisé en ce moment, est qu’il invite à penser les relations entre ces différents champs de signification (religion, vie chrétienne, foi vécue, développement personnel).

Le défi est de ne pas produire une vision totalisante, ce qui empêcherait à la « spiritualité » d’opérer comme « lieu commun ». Pour moi, il s’agirait théologiquement à approfondir le sens de ces relations à l’aune de la foi chrétienne, mais de maintenir l’ouverture qui caractérise l’usage du terme « spiritualité ». C’est ce que j’essaie de faire avec l’idée de « communication pascale« .

Et pour toi, quel est le champ de signification principal du mot « spiritualité »?

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1 réflexion sur “Communication pascale (IV) – La « spiritualité » comme lieu commun”

  1. Si le terme hébreu « ruah » signifie à la fois « esprit », « souffle », « vent », « respiration », alors la spiritualité est peut-être beaucoup plus simple qu’on ne le croit. Pour moi, la spiritualité est ce qu’il y a de plus simple: socle fondamental de toute vie. Elle est aussi ce qu’il y a de plus sacré, insaisissable parce que liée à Dieu (le Dieu créateur, l’esprit qui souffle et le Fils qui sauve).

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