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La spiritualité comme aspect de la théologie académique

Cet article est une préparation pour la rédaction d’un texte que je souhaite soumettre à une revue scientifique.

Thème et tensions

La « spiritualité » devient un thème de la théologie académique contemporaine – notamment dans des facultés de tradition protestante. Cela réactive différentes tensions : 

  • La distinction traditionnelle entre théologie universitaire et praxis religieuse. 
  • La demande des Églises d’intégrer la « spiritualité » dans les cursus de théologie (préparation à la vie ecclésiale, discernement de la vocation) et l’auto-affirmation des facultés de théologie de ne pas former des pasteurs mais des théologien·ne·s.
  • La compréhension expérientielle de la théologie (Martin Luther – Sola experientia facit theologum) et l’affirmation de l’objectivité dans le travail théologique.

Je souhaite proposer quelques éléments de réflexion au sujet de l’intégration de la « spiritualité » au sein de la théologie académique contemporaine en partant des objections que l’on pourrait adresser à une telle (ré)intégration.

Définitions

Spiritualité. La « spiritualité » est une catégorie de la communication religieuse qui désigne les moments (espace-temps et pratiques) où la personne advient à elle-même par l’exploration pratique et discursive de son expérience de l’ultime, ainsi que par les tentatives d’explicitation de cette expérience.

Théologie académique. La « théologie » académique est une activité scientifique, publique et post-confessionnelle qui a « Dieu » pour objet.

Question centrale

Lorsque la théologie académique n’est plus comprise uniquement comme une préparation à l’exercice du ministère ou comme une instance de réflexivité ecclésiale, la « spiritualité » a-t-elle encore une place dans cette discipline, et si oui sous quelles conditions ?1

Quatre tensions

« Spiritualité » et liberté académique

Tension. L’intégration de la « spiritualité » pose la question du respect de la liberté de conscience en relation avec la liberté de recherche. L’empêche-t-elle ?

Résolution. En principe et en pratique, l’intégration de la « spiritualité » ne devrait pas poser de problèmes, tant que sont garanties les réserves personnelles en matière d’adhésion à telle ou telle option convictionnelle et dans la participation à telle ou telle pratique évaluée comme « spirituelle » ou « religieuse ». Ce que cette intégration met en évidence, c’est que l’exercice de la théologie implique l’identité de celles et ceux qui la pratique et que l’attention portée aux effets de cette implication sur l’identité personnelle peut être un moment de ce travail. Ceci mène cependant à interroger les redevabilités des facultés de théologie à l’égard des communautés religieuses dont elles sont traditionnellement issues – à examiner au cas par cas. Il est cependant à relever que cette relation est plutôt lâche entre les églises protestante et les facultés de tradition protestante.

« Spiritualité » et pertinence publique de la théologie

Tension. La « religion » comme la « spiritualité » tendent à être renvoyées à la sphère privée. L’intégration de la « spiritualité » n’est-elle pas une entrave à la pertinence publique de la théologie ? 

Résolution. La réponse à cette tension dépend de la manière que l’on aura de comprendre la redevabilité publique de la théologie. Dans une société pluraliste on peut proposer la compréhension suivante : la théologie désigne la pratique d’expert·e·s du religieux qui assument d’être également des « acteur·trice·s du religieux » – de cette manière ils prennent part à la formation de discours et de pratiques « religieuses » dans une société pluraliste en proposant une expertise spécifique (critique et [re]constructive). Le passage par la « spiritualité » est un moment important, dans la mesure où la connaissance de soi apparaît comme un moment indépassable pour garantir la pertinence des propositions de l’acteur·trice·s du religieux dans une société pluraliste – puisqu’elles dépendent notamment de sa capacité à articuler son propre positionnement au sein de la pluralité.

« Spiritualité » et scientificité de la théologie

Tension. L’intégration d’une dimension qui implique radicalement la subjectivité du chercheur, ne nie-t-elle pas le caractère scientifique de la théologie à l’université ? 

Résolution. Une partie de l’épistémologie scientifique contemporaine (postfondationaliste) reconnaît que tout travail scientifique repose sur une expérience interprétée, qui dépend d’une certaine culture de travail (discours et pratiques), de la participation des chercheurs à certains milieux sociaux et aussi des valeurs et des affects qui définissent la personnalité et les communautés de chercheurs à un moment donné, etc. Les critères du travail scientifiques ne sont donc jamais absolus – ils consistent principalement en la capacité à résoudre des problèmes concrets, à effectuer un jugement responsable et repose sur une forme de réalisme critique minimal. La validité du travail scientifique s’éprouve surtout au-travers de la discussion interdisciplinaire. La « spiritualité » désigne alors le moment du travail scientifique où le chercheur ou la chercheuse porte attention à soi-même, que ce soit de manière réflexive ou par le truchement expérimental d’une pratique donnée. L’engagement avec la « spiritualité » permet de clarifier l’un des outils principal du chercheur ou de la chercheuse : elle-même. Plutôt que de nier la scientificité de la théologie, l’intégration de la « spiritualité » permet de la rendre au contraire plus féconde dans la discussion interdisciplinaire. 

« Spiritualité » et tâche de la théologie

Tension. La théologie porte sur « Dieu ». Dans la mesure où la « spiritualité » se rapporte d’abord à la personne son intégration ne mène-t-elle pas à se détourner de la tâche première de la théologie ? 

Résolution. La réponse à cette question peut varier en fonction des compréhensions de « Dieu ». Dans le cadre du christianisme et de la foi qu’il propose, la connaissance de Dieu et la connaissance de l’être humain sont intimement liées l’une à l’autre – et cette relation n’est pas sans échos avec la place centrale qu’a pris la notion de personne dans le monde occidental contemporain (notamment dans le système juridique). Jésus-Christ est la figure centrale de cette relation et l’Esprit-Saint, répandu dans la création, figure l’actualisation de cette relation et son accomplissement à venir. L’attention portée à soi en théologie chrétienne ne se fait donc pas indépendamment de ces figures, mais l’advenue d’un « soi personnel » est bien l’une des dimension visées par le discours chrétien sur « Dieu ».

Complément

Je parle beaucoup de la personne dans cette proposition. Cela pourrait donner à ma réflexion des traits très « individualistes ». Pour être clair : la personne individuelle ne peut être dissociée de la culture, des collectivités, des traditions, des systèmes juridiques, etc. Il s’agit de conditions élémentaires de son être-personne – autrement dit : l’individu n’est jamais seul. Il ne peut être dissocié des collectivités dont il participe. Le succès contemporain de la « spiritualité » peut d’ailleurs être compris comme une évolution dans cette relation : elle permet à la personne individuelle de découvrir qui elle est pour elle-même, en affirmant le caractère constitutif de sa relation aux autres, à Dieu et au monde.

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  1. Il existe par ailleurs une réflexion importante sur la réintégration de la « spiritualité » en théologie, comprise comme une fonction de l’Eglise. Mais ce n’est pas à cet aspect de la théologie que je m’intéresse ici.[]

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